Basil Dearden – « The Gentle Gunman » (« Un si noble tueur ») (1952)

Réalisateur affilié aux studios Ealing, quant à eux principalement spécialisés dans la comédie british (Hue and Cry), Basil Dearden s’est en réalité déjà essayé à divers genres tels que le film de guerre (The Bells Go Down) ou le fantastique (son segment dans Au cœur de la nuit) lorsqu’il s’attelle au tournage de The Gentle Gunman. Adaptation de la pièce éponyme de Roger MacDougall (scénariste de L’Homme au complet gris pour le compte de la firme anglaise), le long-métrage s’ancre en pleine Seconde Guerre mondiale. Matt et Terence Sullivan, deux frères Irlandais travaillant pour l’IRA, espèrent voir un jour leur terre natale libérée du joug britannique. Terence ne croit plus à l’efficacité de la lutte sanglante que mènent les patriotes et tente de rallier son cadet à ce point de vue. Pour la soixante-huitième édition de sa collection Make My Day!, Jean-Baptiste Thoret a décidé de remettre le cinéaste à l’honneur et d’explorer l’un des versants les moins connus de sa filmographie.

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S’il ne prend jamais de position claire, laissant l’opposition de ses héros questionner le bien fondé de la lutte armée de l’IRA, Basil Dearden présente ses membres tels des hors-la-loi, dans une démarche proche de celle de Jean-Pierre Melville sur L’Armée des ombres. À mi-chemin entre le résistant et le criminel, leur fonctionnement, leurs rouages, occupent la majeure partie de la première moitié du métrage, l’intrigue de rivalité fraternelle étant reléguée au second plan. Bien loin de ses débuts dans le registre comique, le réalisateur fait ici preuve d’un talent incontestable dans les montées de tensions par une mise en scène sèche. Ainsi, une séquence muette dans le métro, au montage millimétré signé Peter Tanner (Noblesse oblige), dont les échos sont encore perceptibles dans Munich de Steven Spielberg, fait basculer le film dans le thriller pur et dur. Loin de tout compromis, le cinéaste va jusqu’à montrer frontalement, dans une lumière crue, la mort d’un sympathisant à peine sorti de l’adolescence. Le Londres de 1941 est dépeint comme un monde à part, où la population s’est accommodée des bombardements, où chaque alerte est prise avec calme, où la guerre est quasiment banalisée.  Les héros, quant à eux, sont littéralement prisonniers de leur environnement. Matt, campé par Dirk Bogarde, se retrouve par exemple dans une voie sans issue lorsqu’il tente de fuir, stoppé par des murs, des impasses, comme si la ville elle-même le condamnait. La capitale anglaise devient un dédale tant horizontal que vertical, les indépendantistes opérant dans des sous-sols et des caves. Le Royaume-Uni est ainsi, géographiquement et architecturalement, opposé à l’Irlande, foyer de la fratrie, quant à elle majestueuse, champêtre, étonnamment calme, à l’image de ces plans sur la nature qui s’étirent après une poussée de violence. Un rapport aux grands espaces presque « fordien », que Dearden retrouvera dans Khartoum, et qui illustre le retour aux sources des protagonistes. 

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Terence (John Mills, vu dans La Fille de Ryan) et Matt, initialement séparés par la mise en scène (leur dialogue par cabine interposée, proches et pourtant éloignés), se retrouvent symboliquement réunis lorsqu’ils retournent sur leur lieu de naissance. Le pays lui-même devient un personnage à part entière, au centre de toutes les conversations et de toutes les passions. Dès l’introduction, deux personnages, éléments comiques extérieurs au scénario avant de s’y retrouver habilement intégrés, débattent vivement des différences entre culture anglaise et irlandaise. Sur l’île, les notions d’honneur, de piété, les valeurs ancestrales, sont importantes, totalement intégrées par le jeune frère. À l’inverse de son aîné qui a tourné le dos à ses racines, à son héritage familial et se proclame universaliste, humaniste, quitte à passer pour un traître. La question de l’IRA, d’ailleurs déjà traitée par John Ford dans Le Mouchard ou Révolte à Dublin, comme le rappelle Thoret dans son introduction, étonne dans une production Ealing, généralement peu encline à aborder des sujets sociaux ou politiques. Ici, la lutte armée est quasiment personnifiée dans la figure de Maureen (interprétée par Elizabeth Sellars, qui retrouve Bogarde la même année dans Rapt de Charles Crichton), froide et dévouée à la cause. Au centre d’un triangle amoureux avec les deux frères, dans un versant mélodramatique décevant que soulèvent Matthew Sweet et Phuong Lee dans leur supplément, elle est une ombre sinistre et mortifère qui plane sur la fratrie. Une mère éplorée après l’assassinat de son fils, désignant les responsables de la tragédie, ira même jusqu’à lui dire « Au fond, c’est la mort que tu aimes ». Dans une nation à ce point imprégnée d’ésotérisme, de croyances, cette incarnation de la Grande faucheuse, aussi déterminée que romantique, constitue l’un des points originaux d’un drame politique et sentimental prouvant si besoin était le talent de son metteur en scène. 

Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.

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A propos de Jean-François DICKELI

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