Bernardo Bertolucci – « Little Buddha »

« Au lieu d’aller à la messe, on allait au ciné-club.  »
Bernardo Bertolucci, à propos de son adolescence.

 

Cette citation issue d’un entretien accordé par Bernardo Bertolucci à la radio française vers la fin de sa vie résonne de manière particulière à l’heure de (re)découvrir Little Buddha, grâce au combo UHD/Blu-Ray proposé par Rimini Éditions. Tourné au début de l’année 1993, il est d’usage de rattacher ce film à une « trilogie » qu’on a pu qualifier d’orientale, parfois même de spirituelle ou encore de l’ailleurs (comme le suggère le critique italien Piero Spila dans les bonus de la présente édition vidéo), comprenant également Le Dernier Empereur (1987) et Un Thé au Sahara (1990).

© Rimini Éditions

On rappellera que Bertolucci avait quitté l’Italie au tout début des années 1980 après l’éloquente Tragédie d’un homme ridicule (1981) qui documentait alors son incompréhension, tant au niveau idéologique qu’artistique et industrielle, non seulement du cinéma italien, mais plus globalement de l’évolution de la société. C’est donc vers des ailleurs qu’il concentra la plupart de ses efforts cinématographiques pendant les dix années qui suivirent. De là, on pourrait légitimement y interpréter – certes de façon un peu cavalière – une crise de « foi » généralisée que la découverte de nouvelles mystiques exotiques allait rasséréner pour lui permettre d’ouvrir une autre étape de sa carrière. Communiste déclaré et athée, en dépit d’une éducation chrétienne, il faut tout de même signaler que le bouddhisme avait été un objet d’intérêt depuis sa jeunesse (au moment même où il fréquentait les salles de cinéma plutôt que les églises catholiques) et la lecture de plusieurs contes hindous conseillés par Elsa Morante. Passés ses quelques éléments de présentation, c’est justement dans ces deux dimensions – celle du conte revendiqué d’une part, et du contact entre Orient et Occident de l’autre – que s’inscrit le plus évidemment Little Buddha.

© Rimini Éditions

Le conte initiatique se trouve déjà tout annoncé dans le liminaire du film, une séquence animée et racontée à de jeunes élèves d’une école bouddhiste située au Bhoutan auxquels se joint le spectateur. Faire de son film un outil pédagogique à destination du spectateur occidental profane – compréhensible et dirigé vers les plus jeunes -, c’est la visée postulée par le cinéaste. Du moins son point d’accroche, tout comme l’est l’intrigue à proprement parler. Jesse Conrad, neuf ans, vit à Seattle avec un père ingénieur (Chris Isaak) et une mère enseignante (Bridget Fonda). Un jour, ils reçoivent la visite surprise d’une délégation de moines bouddhistes venue du Bhoutan sous la conduite du lama Norbu. Les moines sont persuadés que Jesse pourrait être la réincarnation d’un de leurs plus éminents chefs spirituels. Ils lui offrent alors un livre narrant la vie de Siddhartha (Keanu Reeves) en -500 avant JC – qui deviendra Buddha – et attendent sa visite dans l’Himalaya.

© Rimini Éditions

Dans sa première moitié, le didactisme de l’œuvre repose sur une exposition dichotomique du monde, en explorant deux « antipodes ». Aux formes vides et géométriques de Seattle, montrée comme une ville du futur (avec son monorail), froide, géographiquement et symboliquement la plus ouest du territoire principal des États-Unis s’opposent les couleurs vives, les décors chargés de l’histoire de Siddharta qui contaminent progressivement l’écran. Ces oppositions se matérialisent également dans la rencontre entre la famille de Jesse et la petite délégation bouddhiste : la science rationnelle arrivée au bout de ses moyens d’action et désormais uniquement utilisée dans une optique matérialiste (respectivement architecte et professeure de mathématique, les deux parents de Jesse sont des scientifiques désillusionnés) face à la spiritualité vivifiante et sagace des moines.

© Rimini Éditions

Il y a sans doute une part non négligeable d’air du temps dans cette fascination un tantinet naïve pour la culture bouddhiste tibétaine qui se manifeste en ce milieu des années 1990 et dont le cinéma de grand spectacle se fait alors largement le réceptacle. Kundun et Sept ans au Tibet sortiront par exemple tous les deux en 1997 – soit seulement quatre ans après Little Buddha. Cela se trouve également illustré exemplairement par le personnage du père interprété par Chris Isaak, cadre supérieur en crise de certitudes, en qui Piero Spila croit reconnaitre un alter ego de Bertolucci. Mais il nous semble que le projet profond du film se trouve dans un ailleurs plus directement cinématographique, c’est-à-dire dans sa façon de vouloir déplacer des montagnes, de repousser certaines limites techniques et logistiques, comme il était question de filmer pour la première fois à l’intérieur de la Cité Interdite dans Le Dernier Empereur. Malgré d’indéniables renvois entre les deux œuvres, le film de 1987 suivait un fil historique plus foncièrement classique – les accusations d’académisme n’avaient alors pas manqué d’ailleurs – là où Little Buddha s’affirme comme une tentative d’expérimentations plus ouverte. Des deux fils de ce récit enchâssé, l’épisode de la vie de Siddhartha/Buddha est le véritable lieu investi par la mise en scène, auquel le récit contemporain sert principalement de passage.

On a souvent accolé au film l’expression de « livre d’images ». Sans remettre en question un travail photographique indéniable, c’est aller un peu vite en besogne et négliger la grâce des mouvements de caméra et du lyrisme aérien à l’œuvre dans quelques séquences ébouriffantes de liberté formelle de cette partie du récit, flirtant avec le faste de la comédie musicale ou du péplum hollywoodien des années 1950 (l’usage de la pellicule 70mm restant la meilleure preuve de cette ambition). Dans ses meilleurs moments, Little Buddha propose en effet une synergie technique et narrative impressionnante, résultat d’une collaboration fructueuse entre une équipe de techniciens talentueux constituée de personnalités régulièrement sollicitées par le cinéaste, au sein de laquelle le chef opérateur Vittorio Storaro et le compositeur Ryūichi Sakamoto apparaissent comme les figures les plus saillantes. Ce dernier, en particulier, signe une thème original déchirant de beauté et d’expressivité.

© Rimini Éditions

Il va sans dire qu’à ainsi tout se permettre, le film court le risque de se prendre de temps à autre les pieds dans le tapis. Ce qui advient à diverses reprises et concourt à l’irrégularité du film, d’autant que le didactisme déjà évoqué peut aussi venir à lasser. C’est particulièrement notable dans sa dernière partie, essentiellement consacrée à l’arrivée du jeune Jesse et de son père au Bhoutan, qui nous laisse sur une impression en demi-teinte en rendant plus évidentes les faiblesses/limites de l’œuvre. Elle demeure malgré tout fascinante dans cette sorte de « foi séculière » qui se dégage de son sens de l’exécution et dans le témoignage qu’elle propose d’un cinéma de grand spectacle international auteuriste qui semblait connaitre une fin de cycle en ce crépuscule du XXe siècle.

Dans les suppléments présents sur le disque Blu-ray, Rimini Éditions fait fort logiquement la part belle à la grande direction artistique du film, en proposant deux interventions émues et précises de Gianni Giovagnoni qui s’attardent notamment sur le commentaire de photos de plateaux et la construction des décors. Le critique Piero Spila évoque quant à lui la place de Little Buddha dans la carrière Bertolucci et plus spécifiquement la période du tournant des années 80/90 qu’il décrit comme particulièrement heureuse pour le cinéaste, avant de revenir sur ses derniers films.

Les travaux de restauration des copies ont été supervisés par Vittorio Storaro lui-même.

Contenu et caractéristiques techniques du combo 4K ULTRA HD + BLU-RAY (Rimini Éditions) :

  • Audio : Anglais 5.1, Français 2.0, Anglais 2.0
  • Sous-titrage : Français
  • Durée : 141 min
  • Bonus (disque Blu-Ray) : Présentation du film – Partie 1 (8’35 ») / Présentation du film – Partie 2 (7’08 ») / « Comme une fable » : entretien avec Piero Spila, critique de cinéma (35’02 ») / « Être payé pour étudier » : entretien avec Gianni Giovagnoni, directeur artistique (19’16 ») / « Le Vrai et le faux » : Gianni Giovagnoni commente les photos des décors du film (23’38 ») / Bande-annonce

Également disponible en édition DVD avec les deux présentations et la bande annonce comme uniques compléments.

 

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