Unique film d’horreur de sa filmographie, Angoisse constitue pour Bigas Luna le lieu où il peut, avec tout ce que permet la filiation Hitchcock/giallo qu’il y convoque, livrer une proposition sur le cinéma, un cinéma dont l’image est sensuelle et traumatisante à la fois, suscite fascination et terreur, frappe autant qu’elle émeut. Une image dans laquelle on plonge sans réellement pouvoir en ressortir.
Il ne faudra donc pas chercher en regardant Angoisse dans les multiples symboles employés, les indices d’une vérité cachée, d’un mystère (qu’il soit narratif, l’identité du tueur, ou rhétorique, la véracité du « premier degré » du film) demandant à être résolu, mais bien plutôt les jalons d’une réflexion demandant à être embrassée pleinement. Escargots, spirales, yeux arrachés, écrans ; tout est montré, et il faut regarder.
A partir d’une scène initiale dont l’angoisse se situe entre Psychose et Les Oiseaux, Bigas Luna déploie une sorte de généalogie du regard, dont il situe la naissance à Hitchcock pour grandir jusqu’à Argento (dont Opera sort la même année en Italie), afin d’englober le cinéma dans son entier comme projet métaphysique plus que de simple représentation.
Ce projet trouve déjà écho dans la relation trouble que nous présentent les premières séquences du film entre une mère et son fils, John, infirmier chez un chirurgien oculaire. Relation quasi-fusionnelle, elle est marquée par la spirale, tension circulaire, régression à l’infini. Cette régression qui coïncide avec la perte de la vue progressive de John, est pour sa mère la façon de conserver ce dernier en son sein, et par les « chasses aux yeux » qu’il réalise sous ses ordres, de collecter un maximum de regards, et d’en priver le monde. La disparition du regard est la condition de totalité de la fusion entre John et sa mère, puis entre elle et le monde (par vengeance).
Dans cette perspective, il devenait possible pour Bigas Luna de remonter le cours de la spirale si l’on peut dire. D’un côté, la convergence de la mère, du fils et du monde, de l’autre l’élévation et l’ouverture de l’image et du regard à des espaces insoupçonnés, autrement dit, l’extérieur à de la fiction. L’écran de cinéma est celui par lequel le « saut » peut s’effectuer.
Tout comme nous le regardions, de nouveaux spectateurs, que nous regardons à présent le regarder, le film dont John est le protagoniste va réveler une autre facette de la puissance des images et du regard.
Par le regard, et non par son absence, la fusion va pouvoir s’opérer. La transmission est directe, aux spectateurs de John. Fascination et angoisse, jusqu’au trauma. L’image n’est pas innocente, anodine, elle marque et d’elle c’est même John qui transpire, qui pénètre le réel et s’incarne dans la salle de cinéma en un homme, à son tour tueur, qui s’est approprié la fiction de John.
Le travail de navigation entre ces différents niveaux d’image, de réalité, est étonnant d’aboutissement, dans le montage aussi bien que dans le découpage. Fin, dynamique, il parvient à d’excellentes images où les espaces s’imbriquent dans une succession de salles/écrans, suscitant pour le spectateur l’effet d’être lui-même alors dans une fiction dont l’un des personnages voudra perpétuer le projet de John.
Dans une perspective de délimitation de l’individu, ce à quoi s’oppose la mère de John, Angoisse propose une dialectique du regard, où tour à tour, il permettrait l’individuation (donc chasse à l’oeil) ou la subvertirait (par le pouvoir de l’image de cinéma). En sortant d’Angoisse, on ne sait plus exactement dans quel sens tourne la spirale, mouvement hypnotique par excellence nous rappelant à notre propre contrôle. Gardez les yeux sur terre.
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