© Malavida Films
Au cours des années 60, dans le sillage de le Nouvelle Vague française, de nouvelles générations de cinéastes à travers le monde vont tenter de faire des films autrement : du « Cinema Novo » brésilien au « Free Cinéma » anglais en passant par les « Nouvelles vagues » tchécoslovaques, polonaises ou japonaises, ces courants singuliers seront regroupés par la suite sous l’appellation de « nouveau cinéma ». Le phénomène se produisit également en Suède sous l’impulsion de réalisateurs comme Vilgot Sjöman, Mai Zetterling ou encore Bo Widerberg.
Ce dernier débute à la télévision avant de signer en 1963 son premier long-métrage : Le Péché suédois. Par la suite, il réalisera une œuvre assez éclectique où se distinguent des films comme Elvira Madigan (1967), Joe Hill (1971) ou le film noir Un flic sur le toit d’après les célèbres romanciers Maj Swöjall et Per Wahlöö.
L’éditeur Malavida nous permet aujourd’hui de redécouvrir deux œuvres de l’auteur : Tom Foot, réalisé en 1974 et La Beauté des choses, dernier film du cinéaste tourné en 1995, deux ans avant sa mort. A priori, peu de points communs entre ces deux longs-métrages si ce n’est un certain attachement à la jeunesse, un goût pour les parcours initiatiques et, peut-être, l’idée que le cinéma permet la matérialisation des rêves.
Tom Foot, c’est l’histoire d’un gamin de 6 ans, Johan (qui est d’ailleurs le prénom du fils du cinéaste), surdoué du foot qui parvient à intégrer une équipe professionnelle avant d’être sélectionné parmi les meilleurs joueurs composant l’équipe nationale de Suède où il fera des prodiges au milieu des adultes. Le film est évidemment un conte, un rêve de gosse qui prend forme et qui lui permet de s’épanouir dans le sport qui le passionne. Pour être tout à fait honnête, pour un spectateur lambda qui n’apprécie pas le football, le film s’avère parfois un peu longuet lorsqu’il se concentre sur les matchs. Le principe est assez répétitif : l’équipe de Suède est dominée avant que Johan surgisse et lui permette de remonter au score. Sur le terrain, le petit prodige procède toujours un peu de la même manière : drible et passe décisive, petit pont comme figure récurrente de son « génie »… On suit le déroulement du récit sans déplaisir mais sans enthousiasme excessif non plus.
Finalement, c’est l’aspect « onirique » ou, du moins, flottant du film qui fait son sel. Le récit débute vraiment lorsque Johan parvient, par hasard, à subtiliser le ballon à un joueur professionnel qui s’effondre dès lors et recommande le petit phénomène à son entraineur. Le film peut alors être vu comme la projection « négative » d’une star du foot ayant perdu son aura et qui imagine qu’il est désormais supplanté par la jeunesse. Ou tout simplement comme la projection fantasmatique d’un enfant passionné qui vit ses rêves éveillés. Widerberg a le talent de ne jamais insister et de ne pas proposer de réponse toute faite. Il distille les indices comme des petits cailloux dans un conte mais n’en déduit rien : ce sont les images du petit Johan qui dort constamment en classe, ces moments où les joueurs essaient de l’endormir en lui lisant une belle histoire mais qu’il est le seul à ne pas piquer du nez… La scène finale est très belle (elle ne résout rien donc nous pouvons nous permettre de la raconter) puisque Johan, en classe, se trompe en effectuant la plus banale des additions. Mais la maîtresse ne le reprend pas et lui dit, qu’au fond, ce n’est pas si grave que 2+2 fassent parfois 5. Le secret du cinéma de Widerberg se tient peut-être ici : dans l’idée que le cinéma peut donner forme à des équations improbables et permettre de faire vivre les rêves les plus fous.
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Il peut aussi faire revivre une adolescence à jamais révolue, en retrouver une sorte d’essence comme on peut le constater dans La Beauté des choses. Le cinéaste affirme que son film n’a rien d’autobiographique (il n’a jamais couché avec son enseignante) mais certaines similitudes sont troublantes : le film est tourné dans l’école où le réalisateur a usé ses fonds de culotte, il se déroule en 1943, pendant la guerre et c’est son propre fils, Johan Widerberg, qui incarne le héros de ce récit initiatique.
Stig est un adolescent comme les autres, partageant avec ses camarades une curiosité intarissable pour les choses du sexe et n’hésitant pas à chahuter en classe lorsqu’il le faut (il est, par exemple, très fort pour exterminer les mouches à distance avec sa catapulte). Le film débute comme une chronique nostalgique de cet éveil des sens qui surgit à l’adolescence. Widerberg a toujours prêché une grande admiration pour François Truffaut et l’on songe à une version plus âgée de L’Argent de poche. Lorsque leur professeur a le dos tourné, les élèves se partagent le même chewing-gum, mesurent leurs poils naissants et s’interrogent sur leurs hypothétiques prouesses amoureuses. Tout bascule lorsque le désir nait entre Stig et Viola, son enseignante. Le film emprunte alors davantage le chemin du roman de Radiguet Le Diable au corps puisque Viola est mariée avec un homme porté sur la boisson…
L’un des grands talents de Widerberg, c’est de parvenir à retranscrire avec finesse la naissance de l’amour et l’éclosion du désir. D’abord par de petits sourires, de menus gestes troublés (la comédienne Marika Lagercrantz est aussi géniale lorsqu’elle joue le trouble – sa manière de se tenir l’oreille ou de se mordiller les lèvres- que lorsqu’elle reprend le contrôle d’elle-même et se montre sèchement impitoyable) puis par l’épanouissement de la sensualité qui passe d’ailleurs plus par la lumière (un gros plan sur la nuque de Viola) et les corps que par l’exhibition des scènes d’amour (qui restent très chastes). Cette attention aux moindres soubresauts de la vie fait que le film évite l’académisme qui pouvait guetter un projet de cette envergure (reconstitution historique, évocation du passé…). Tout n’est sans doute pas parfait, à l’image du personnage du mari de Viola qui est un peu sacrifié et qui entame, à un moment donné, une relation d’amitié avec Johan assez peu crédible. Mais l’ensemble s’avère touchant car le cinéaste conserve toujours cette sorte de flottement entre ce qui relève de la réalité et cette part fantasmatique propre au cinéma. Ce n’est sans doute pas un hasard si Stig passe ses soirées dans les salles obscures (il est ouvreur et distribue des friandises). Dès lors, on peut très bien imaginer le film comme une sorte de projection fantasmatique d’un adolescent. Lorsqu’il s’intéresse à une de ses voisines, Johan commence par s’enfermer dans un cheval d’arçon et se retrouve caché dans un vestiaire féminin où il peut voir sans être vu (à nouveau en situation de spectateur). Pour Widerberg, le cinéma est un moyen de concrétiser ses désirs, de leur donner une forme à la fois tangible et imaginée. Cette approche lui permet d’imprimer une temporalité assez singulière à son récit, à la fois passée (une école à Malmö pendant la seconde guerre mondiale) et pourtant universelle. Tout se passe comme si le cinéaste parvenait à saisir une sorte d’essence de la jeunesse, entre fantasmes et délicates initiations érotiques. Et c’est ce sentiment à la fois diffus et prégnant qui fait la beauté du film.
© Malavida Films
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Tom Foot (1974) de Bo Widerberg avec Johan Bergman, Monica Zetterlund, Magnus Härenstam
DVD 9 – 84 mn – Suède – 1974- Couleur – Langue : Suédois, Français – Sous-titres : Français
La Beauté des choses (1995) de Bo Widerberg avec Johan Widerberg, Marika Lagercrantz
DVD 9- 125 mn – Suède – 1995 – Couleur- Langue : Suédois – Sous-titres : Français
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