Chez les Mason, c’est l’effervescence. Ils se préparent à recevoir la petite amie de leur fils Laurie, qui jusqu’à maintenant ne semblait guère montrer d’intérêt pour les filles. Entre excitation et angoisse, Lettice, la cinquantaine, romancière qu’on imagine écrire des romans de mystère et d’amour pour des femmes du même âge, ne tient plus en place. Au téléphone, affectée, emphatique et volubile, elle conseille une amie qui hésite sur la robe à mettre pour LA soirée. D’autres invités sont attendus. Quand George, son mari de dix ans de plus, rentre d’une rude journée de travail, on sent bien que les heures qui suivront risquent d’être plus rudes encore. L’événement est exceptionnel ; peu importe finalement que la petite amie soit antillaise quand l’amour est là. Question d’habitude. Mais lorsque le fils prodige leur présente enfin Jo, c’est la stupeur. Sous son attitude très féminine ne serait-ce pas plutôt un compagnon que Laurie leur présente ? Non, Lettice ne peut supporter cette honte, il faut annuler les amis. Le couple Mason doit affronter cette épreuve, seul.
Comédie féroce, adaptée de la pièce de David Percival Girl Friend, Girl Stroke Boy prend le parti de l’exubérance. La satire cinglante s’attaque en permanence aux préjugés racistes et homophobes d’une classe moyenne britannique respectable et respectueuse des belles manières qui veut se donner bonne conscience tout en ne cessant de déguiser son intolérance sous les formules habituelles « je n’ai rien contre, mais… » où l’on peut rajouter à sa guise entre les points de suspensions, les noirs, l’homosexualité etc… L’essentiel étant que ces différences ne pénètrent surtout pas à l’intérieur de la famille.
Dans ce huis-clos qui trahit ses origines théâtrales, les répliques fusent et les esprits s’échauffent tout autant que les corps, car George n’a pas réussi à régler les problèmes de chauffage et que la maison est une fournaise. Et pourtant, il neige au dehors. On ne sait parfois plus très bien si la sueur qui coule de leur visage est due à la température de l’appartement ou à celle de la conversation. Et c’est très drôle. Girl Stroke Boy est en effet une impertinente comédie queer qui multiplie les quiproquos en confrontant préjugés hétéros et amour libre.
Lettice ne cesse de manipuler son mari, de l’agiter comme une marionnette et, n’assumant jamais ses pensées, de lui faire dire ce qu’elle n’ose pas formuler, en ne cessant de le harceler (« mon mari voulait vous dire que… » ou « allez, dis-leur ce que tu t’apprêtais à leur dire.. ») en ajoutant un « sois un homme ! ». Sois un homme est bien le fil rouge de son raisonnement : elle agit plus comme un mâle dominant que son mari qu’elle voudrait plus masculin, mais s’épouvante à l’idée que l’amour de son fils ait de tels attributs. Elle voudrait tant remettre tous les stéréotypes à leur place : c’est plus facile lorsqu’elle écrit des romans. George, rapidement exténué, étouffé, se rebiffe en permanence… et finit toujours par lui obéir : appeler les parents de Jo pour vérifier si c’est une fille, faire une leçon de morale au fils pour lui expliquer que le principal est dans la beauté de l’amour, mais du sexe opposé…
Perpétuellement tiraillé, George semble plus progressiste que sa femme, bien que sous son emprise. Lorsqu’il se rallie à l’avis de sa femme, on ne sait parfois plus s’il partage ses idées par conviction, par politesse ou si la lâcheté de son silence tient au besoin irrépressible d’avoir enfin le calme. Michael Hordern est comme à l’accoutumée parfait, tentant de garder la tête froide, protestant mollement, piètre esclave rebelle balloté entre deux feux, pris dans un engrenage. Régulièrement au bout de sa vie, il apparaît soudainement détendu, au petit-déjeuner, en l’absence de sa femme, engageant en toute simplicité une discussion avec Laurie et sa future belle-fille … ou beau-fils. Mais incontestablement le clou du spectacle demeure Joan Greenwood : elle accapare l’écran, le vampirise, le submerge. Celle qui dans sa jeunesse incarna ces sublimes héroïnes romanesques avec son inimitable voix sensuelle, dans Moonfleet ou le bouleversant Saraband prend ici à bras le corps son rôle de control freak découvrant graduellement qu’il lui sera impossible de régler la vie de son fils comme elle a réglé le fonctionnement de son ménage. Ici, elle s’inscrit clairement dans la tradition que décrit Pascal Françaix dans Camp ! des actrices de la cinquantaine (dont Bette Davis fut le meilleur avatar) acceptant d’assumer leur vieillissement dans un numéro outrageusement exagéré de mère possessive, étouffante et dont l’excès leur donne parfois des allures de créature, de travesti. Joan Greenwood est donc indéniablement camp dans Girl Stroke Boy et c’est bien elle qui plonge la comédie dans l’hystérie, poussant le spectateur à la fois dans la fascination et une sensation de trop-plein.
Beaucoup plus sobre, le couple juvénile regarde embarrassé les parents se débattre dans leurs contradictions, étonnés de s’étouffer en lâchant le mot « sexe », constatant à la fois leur étroitesse d’esprit et leur incapacité à la dévoiler clairement. Si la charge comique est énorme et surligne le trait adulte de manière caricaturale (avec un soupçon de misogynie), ce choix n’est pas anodin et joliment vengeur, si l’on pense à la représentation récurrente de la « féminité » homosexuelle vers le cliché de grande folle. Ici, le processus d’exagération est inversé. Jo et Laurie apparaissent alors comme beaucoup plus finement écrits. L’interprétation de Peter Straker (nommé ici Straker comme pour mieux en effacer le sexe) est si juste qu’elle parvient à semer le doute chez le spectateur. Elle est en quelque sorte le signe le plus efficace de la subversion de Perceval et de son engagement. On se surprend de notre côté à se poser des questions à l’instar des parents sur l’identité sexuelle de Jo, pris à notre propre jeu normatif et c’est là que le film demeure le plus efficace.
Même si Straker joue parfaitement la féminité, on se doute bien qu’il s’agit d’un garçon mais on ne sait plus très bien s’il s’agit d’un transgenre ou d’un gay devant jouer son rôle face à des hétéros. Il cerne parfaitement à travers l’humour cette souffrance de l’identité entre le désir de s’assumer et la nécessité du jeu social. Si le long métrage de Bob Kellett n’a rien de révolutionnaire dans sa facture, il explore en 1971 des zones que peu abordaient. Passé une certaine lourdeur de l’écriture, Girl Stroke Boy saisit par son actualité. Il est particulièrement savoureux de le découvrir en 2022 et de constater que les mentalités n’ont finalement pas tant évolué, que les problématiques de genre restent les mêmes. David Percival pose avec une grande justesse les enjeux de ces questionnements dans un rejet de tout raisonnement normatif, revendiquant un amour différent loin des règles imposées et la reconnaissance d’une identité sexuelle libérée des contraintes biologiques. Il est émouvant, ce jeune couple libre tendant au vieux couple le miroir inversé de leur puritanisme, s’amusant dans la neige et exposant à chaque instant la beauté de leur amour.
Technique et suppléments
L’éditeur Powerhouse propose un très beau master issu de la restauration 4K du film. En ce qui concerne les suppléments : dans As Simple as That (2022, 14 mins) l’acteur et pops star Peter Straker se souvient de son expérience sur le film. Dans The BEHP Interview with John Scott (2018, 99 mins) le compositeur discute longuement de son travail. Ahead of Its Time (2022, 17 mins) permet au curateur et historien du cinéma Alex Davidson d’évoquer l’impact qu’a pu avoir Girl Stroke Boy dans le cinéma queer, le cinéma tout court et la vision transgenre. Voici ensuite un court métrage comique très drôle, bourré d’insinuations, avec l’imitatrice Bunny Lewis : A Couple of Beauties (1971, 29 mins). Suivent les traditionnelles galeries photos et autre matériel promotionnel. Enfin, le livret de 36 pages propose un essai analytique de Jane Giles, un interview d’archive de Peter Straker, un regard sur la réception de la pièce d’origine Girlfriend, ainsi qu’un condensé de la réception critique de l’époque et un petit texte sur A Couple of Beauties.
Très belle découverte que cette comédie nettement moins légère que l’apparence qu’elle se donne, et d’une actualité saisissante.
Combo DVD – Blu-Ray édité par Powerhouse films
Le films possède des sous-titres en anglais uniquement.
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