Par-delà ses qualités intrinsèques, Mad Max a réussi, par son succès mondial en 1979, à placer l’Australie sur la carte du cinéma de genre. Le précurseur Patrick de Richard Franklin, puis des films comme Harlequin (Simon Wincer, 1980) ou Razorback (Russell Mulcahy, 1984), ont su rendre populaire la mouvance, jusque-là confidentielle, de la Ozploitation. Antony I. Ginnane, figure de proue de cette nouvelle vague, décide, aux côtés de John Daly (Terminator, Platoon) et du comédien David Hemmings, de financer l’ambitieux nouveau long-métrage d’un cinéaste local : Brian Trenchard-Smith. Passionné par l’univers de la cascade, auquel il a dédié des documentaires (The Stuntmen) et des fictions (Deathcheaters), le metteur en scène s’est essayé à divers projets bisseux (L’Homme de Hong Kong, relecture de James Bond à la sauce Bruce Lee avec George Lazenby) et souhaite désormais s’atteler à sa première œuvre « respectable ». Écrit par Jon George et Neill D. Hicks (scénariste de Harlequin) d’après une histoire de George Schenck, Robert Williams et David Lawrence, qui avaient initialement situé l’action en pleine Grande Dépression, Turkey Shoot se veut un croisement entre The Most Dangerous Game et 1984. Dans un futur proche, un gouvernement totalitaire fait arrêter les citoyens considérés comme dangereux et les interne dans de terribles camps de rééducation où se pratiquent humiliations, sévices et tortures. Thatcher (Michael Craig), le directeur de l’une des prisons, décide d’organiser une chasse à l’homme : quelques détenus, parmi lesquels Paul (Steve Railsback) et Chris (Olivia Hussey), seront lâchés dans une forêt proche et traqués comme du gibier. Rimini Editions propose un nouveau master HD de ce film qui a gagné son statut de petite bobine culte chez les amateurs malgré un développement et un accueil plus que houleux.
L’ambition première de Trenchard-Smith pour ces Traqués de l’an 2000 est claire : aborder les questions politiques ou sociales qui divisent alors le monde et le Commonwealth en particulier, au travers du prisme de la dystopie. Le choix du patronyme de l’antagoniste, Charles Thatcher, est en cela éloquent. La Grande-Bretagne subit depuis deux ans la politique autoritaire ultra libérale de la Dame de fer et la micro-société fondée au sein du camp de prisonniers, telle que décrite dans le long-métrage, tend à incarner les diverses inégalités engendrées par sa gouvernance. Les dominants oisifs vêtus de costumes coloniaux jouent aux échecs, boivent du whisky hors de prix, profitent de la vie au cœur de leurs habitations luxueuses, et n’assistent au quotidien des détenus que par l’intermédiaire d’écrans de surveillance. La chasse devient un banal passe-temps dont ils ne respectent pas les règles, trahissant leur propre code moral (pas de braconnage). Sous leurs ordres, les gardiens armés de fouets encadrent des condamnés à la fois esclaves et proies. Bien que fidèles et dévoués à leurs maîtres, les matons se révèlent castrés, privés de jouir des mêmes plaisirs que les nantis, obéissant aveuglément à des lois absurdes qui vont contre leurs intérêts. Ce règlement est récité tel un mantra lors d’une séquence éprouvante où le montage entrecoupe chaque phrase ânonnée par le directeur par des plans sur une jeune femme violemment battue. La tenue ecclésiastique que revêt Thatcher accentue une métaphore critique de la religion et du retour aux valeurs morales, perceptible jusque dans le nom qui désigne les dissidents : « déviants ». L’homosexualité est passible de la peine capitale, les femmes sont mises à la disposition de riches pervers et Rita (Lynda Stoner) est condamnée pour prostitution. Le passé des héros nous est d’ailleurs révélé via de courts flashbacks lors de leur entrée au bagne (l’un tient une radio pirate, l’autre défend un homme brutalisé) mais le cinéaste fait le choix de maintenir le flou quant à leur vie passée et leur implication réelle dans la rébellion. Ici, ils ne sont que des numéros, seuls éléments colorés (le jaune de leurs uniformes) au sein d’un environnement aux teintes grises ou brunes où tout horizon semble bouché. Des marginaux utilisés par le système et auxquels la citation de H.G. Welles, qui clôt le film, rend hommage, à l’instar de ce freak échappé d’un cirque et utilisé comme chien de chasse, victime lui aussi d’une forme de servitude volontaire. La promesse d’une liberté acquise à la sueur de leur front se révèle illusoire au cœur d’un film qui oscille malgré lui entre premier et second degré, volonté de discours engagé et respect aux conventions du cinéma d’exploitation.
Les images de révoltes et d’émeutes aux quatre coins du monde qui introduisent le long-métrage annoncent la volonté du cinéaste : ancrer son univers dans un contexte tangible. Malheureusement, de nombreux problèmes lors de la préproduction et des coupes drastiques dans le budget restreignent sensiblement ses ambitions. Avec une coupe de 700 000 dollars sur les 3,2 millions alloués, et un tournage réduit à trente jours au lieu des quarante-quatre nécessaires, Brian Trenchard-Smith n’eut d’autre choix que de sacrifier les quinze premières pages de contextualisation du scénario, qu’il décrit comme les plus orwelliennes dans son interview présente en bonus. Il en résulte une situation politique qui n’est pas clairement explicitée, à peine sait-on qu’un régime autoritaire (simplement désigné comme « la société », terme vague et générique) fait régner la terreur sur ses opposants. Ce changement dans ses plans pousse donc le metteur en scène à opter pour un traitement plus proche de la série B (voire Z selon ses détracteurs) décomplexée et généreuse. L’absence de cascadeurs professionnels, par exemple, entrave quelque peu ses aspirations lors d’un final assez cheap bien que pensé comme un spectacle pyrotechnique d’Apocalypse. Les nombreuses contre-plongées sur les mines patibulaires des gardiens, ou le physique repoussant de Dodge (John Ley), prisonnier individualiste et indigne de confiance, traduisent une approche manichéenne et caricaturale, presque cartoonesque. Heureusement, le casting s’avère très bon dans son ensemble (mention spéciale à Michael Craig dans un rôle délicieusement détestable), et le réalisateur parvient à tirer profit de la diversité du cadre naturel de l’Australie lors de plans larges sur les paysages lors de la chasse à l’homme. Aidé par la photographie de John R. McLean (chef op des Voitures qui ont mangé Paris de Peter Weir), Trenchard-Smith fait d’une séquence dans de hautes herbes, une cavale surréaliste où tout repère s’efface avant d’aboutir à une conclusion brutale. Usant de gimmicks chers à la Ozploitation (les véhicules customisés), le cinéaste s’amuse d’une violence gore et excessive (d’autant plus extrême que l’édition de Rimini propose la version director’s cut) et multiplie les énucléations, explosions de crâne et amputations en tout genre. S’il cède à plusieurs tendances racoleuses, telles ces scènes de nudité gratuite qu’Olivia Hussey à par ailleurs peu apprécié, comme le révèle Lynda Stoner dans l’un des suppléments, il prend un plaisir véritable à filmer les mêmes prisonnières tirer au fusil sur leurs poursuivants, quand il ne punit pas ces derniers par un pieu dans l’entrejambe. La vengeance devient nécessaire et cathartique, abandonnant, de fait, la sobre satire politique et engagée, mais offrant de vrais moments jouissifs pour tout spectateur enclin à accepter certains codes de ce cinéma bis assumé.
Conspué lors de sa sortie, malgré son succès sur le territoire américain grâce au coup de pouce de Roger Corman, Les Traqués de l’an 2000 a probablement coûté sa carrière à Brian Trenchard-Smith, malheureusement contraint d’enchaîner DTV et nanars. Saluons donc le travail de Rimini Editions qui permet de (re)découvrir cette œuvre typique du cinéma d’exploitation made in Australia, magnifié par le superbe master HD proposé dans un digipack Blu-Ray / DVD comprenant un livret de vingt pages et rempli de bonus éclairant sur les conditions de tournage et la douloureuse réception, encore dans les esprits de tous les participants.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Rimini Editions.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).