En 1989, Brian Yuzna n’est pas à proprement parler un débutant. Avant de se lancer dans la mise en scène, il écrit la première mouture de Chérie, j’ai rétréci les gosses, scénario évidemment remanié par Disney et qui deviendra la production familiale réalisée par Joe Johnston que l’on connaît. Sa rencontre avec Stuart Gordon est déterminante pour la suite de sa carrière puisqu’il va produire ses trois premiers films, à savoir Re-Animator, From Beyond, et Dolls, en collaboration avec Empire Pictures, la firme du stakhanoviste Charles Band.
La fin des années 80 est marquée par l’apogée du règne de l’argent et de l’opulence matérielle, exhibée à l’écran par les voitures de luxes, la circulation de la drogue, les coiffures peroxydées, la mode vestimentaire criarde, le design kitsch d’une déco aveuglante pour nos pauvres yeux. A travers ses romans cultes comme Moins que zéro, Zombie et surtout American Psycho, Bret Easton Ellis ne cesse de dresser un miroir déprimant à peine déformé de cette Amérique décadente, plongée dans ses propres contradictions entre une politique liberticide pour les riches et une autre autoritaire, pour ne pas dire fasciste, pour les plus démunis. Le règne de George Bush père coïncide avec cette hégémonie du capitalisme sauvage et vulgaire.
Dans ce contexte m’as-tu-vu et méprisant, Brian Yuzna cherche à réaliser un film d’horreur subversif et divertissant sur fond de sexe et de violence. Flanqué d’un sous-texte politique agressif, le scénario imaginé par Woody Keith et Rick Fry tombe à pic pour laisser libre court à l’imagination débordante et transgressive du cinéaste.
L’histoire, qui s’inspire lointainement des Femmes de Stepford du romancier Ira Levin et qui semble trouver un écho dans le récent Get Out, est très intrigante. Un jeune homme de bonne famille, résidant dans les quartiers luxueux et ensoleillés de Beverly Hills, découvre progressivement que ses proches, à commencer par sa sœur et ses parents, sont les membres d’une sorte de secte meurtrière s’adonnant à des mœurs sexuelles particulières lors de soirées privées. Dans ce dernier aspect, intégrant alors des éléments d’horreur organique, le projet trouve sa singularité à mi-chemin entre l’univers graphique d’un David Cronenberg et celui plus cérébral (en ce qui concerne le monde de l’apparence) de David Lynch. Où quand Videodrome s’accouple avec Blue Velvet.
Satire au vitriol d’une bourgeoisie décatie qui n’en finit plus de s’auto-caricaturer, voire de se reproduire entre elle, Society prend des allures de série B décomplexée articulant habilement les effets gore imaginés par l’excellent Screaming Mad George (Predator, Freddy 3 Les Griffes du cauchemar) et un érotisme truculent, culminant lors d’un final dantesque, hommage à peine voilé aux toiles de Salvatore Dali ou aux sculptures de Francis Bacon. Dans un maelstrom de chair en décomposition qui se mélange, fusionne au gré d’une partouze gigantesque, Brian Yuzna s’amuse comme un petit fou à malmener une caste hautaine qui, si l’on gratte sous le vernis brillant, révèle sa monstruosité physique. Le cinéaste passe alors par une métaphore cocasse et pas toujours très subtile sur la décrépitude idéologique d’une forme d’aristocratie consanguine au bord du gouffre.
Tourné en un temps record pour le budget modeste de deux millions de dollars, Society, en filigrane de sa fable anti-bourgeoise fustigeant le culte de l’apparence et les bonnes manières, s’attaque aussi au mythe très américain de la cellule familiale idyllique, incarnation dorée du concept de la réussite, permettant aux enfants ambitieux de construire un avenir sans anicroche.
Ce morceau de pellicule transgressif, traversé par un mauvais esprit salutaire, n’est pas sans évoquer un autre pamphlet sorti à la même période (et également inédit en salles), le jubilatoire Parents de Bob Balaban, récit initiatique d’un jeune garçon qui soupçonne ses gentils parents aux sourires agaçants de s’adonner au cannibalisme en préparant des menus à base de chair humaine. Joli programme en perspective.
On retrouve dans les deux opus, cette même vision qu’un environnement rutilant n’est qu’une façade en trompe-l’œil, masquant un univers bien plus ténébreux. Derrière l’apparente normalité d’un foyer conventionnel, très WASP, se dissimule l’obscénité d’une société dévorante.
Dans ce soap opera trash, genre Amour, gloire et beauté version gore et décadente, Bill, le jeune héros transparent, incarné symboliquement par Billy Warlock alors star du petit écran dans Happy Days et dans Alerte à Malibu, commence par douter de sa propre famille avant de se rendre compte de l’ampleur des dégâts.
Society n’est pas sans défaut, accusant quelques problèmes de rythme et souffrant d’une réalisation empruntant à l’esthétique télévisuelle. Mais paradoxalement, cette forme standard proche des séries que Brian Yuzna pastiche, révèle l’intelligence du projet qui, loin de souffrir de cette approche prosaïque de la mise en scène, jette au contraire un trouble. L’utilisation intelligente des décors à la colorimétrie criarde, l’humour cinglant à la John Waters et les débordements visuels particulièrement jouissifs font de Society une excellente incursion dans le cinéma d’horreur pour Brian Yuzna qui continuera par la suite à développer son imaginaire fertile. On le retrouvera aux commandes des deux suites de Re–Animator et surtout du Dentiste poursuivant malicieusement les thématiques abordées dans son premier film.
Pour la première fois en France, Society est disponible en Blu-ray chez Ecstasy of films dans une copie très soignée nous vengeant de l’horrible image recadrée de la précédente édition. Le film est agrémenté de bonus essentiellement promotionnels à part l’excellente interview de Brian Yuzna qui s’avère un personnage charmant, affable, modeste et intelligent.
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