Une peur qui ne trouve plus ses mots …
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En 1938 Orson Welles annonce en direct sur CBS de l’invasion de la terre par les martiens, par le New Jersey, avant de s’attaquer à New York. L’émission de radio captive des milliers d’auditeurs au point de générer un gigantesque mouvement de panique dans New York qui ira jusqu’au rappel des militaires en permission au cas où le monde serait à sauver. Les standarts téléphoniques sont saturés, la police débordée. Puissance du média, stimulation de l’inconscient, autosuggestion, et rapidité de la propagation d’une rumeur, Pontypool est hanté par le canular de Welles, et distille une inquiétude qu’accentuent l’incertitude et le scepticisme, l’incapacité à déméler le vrai du faux.
Par une nuit de neige, accompagné de sa productrice Sydney et de son assistante Lauren Ann, Grant Mazzy s’apprête à animer comme tous les autres soirs une émission ordinaire, dans sa station de radio faite d’informations locales, du chat perdu aux nuages persistants, en passant par les petits délits du coin. Mais le destin va en décider autrement. Ils reçoivent des appels effrayés, nouvelles de faits divers de plus en plus étranges que Grant transmet, en direct. Ken, leur envoyé spécial, évoque une situation préoccupante : des émeutes au dehors, des individus qui s’entretuent, une folie inexplicable qui commence à s’emparer d’eux … sans que l’on puisse vérifier s’il s’agit d’un canular ou d’un fait avéré. Carpenterien, Pontypool l’est indéniablement en commençant par son décor de station de radio qui relaie les infos de la petite ville, référence implicite à l’Antonio Bay de Fog. Tout comme Adrienne Barbeau chez Carpenter, la station sert de rempart et de repère, le héros se faisant guide des auditeurs, les tenant informés de l’évolution d’un danger potentiel.
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Adaptation d’un roman de Tony Burgess, Pontypool est le premier opus d’une trilogie dont on espère que la suite sera aussi stimulante. Il partage avec Carpenter son sens du climat et sa montée en puissance de l’angoisse en espace confiné, sa propension à enfermer ses personnages, s’attardant en temps réel sur leur perte des repères et leur vertige. Avec cette épidémie supposée dehors et ses héros dedans, le studio de Pontypool à l’instar de l’église de Prince of Darkness ou du commissariat d’Assaut, est un emplacement qui fait office de protecteur et de piège. La caméra flotte autour de ses personnages traqués comme pour mieux les narguer. L’unité de lieu et de temps, son refus des effets tape à l’œil et sa propension à célébrer une épouvante cérébrale et surtout racontée, rapportée, plutôt que la violence graphique, en ferait à ce titre une parfaite pièce de théâtre.
La voix humaine envahit le champ sensoriel de Pontypool au point d’en devenir le leitmotiv dès son exposition, faite de signaux de communication brouillés, de paroles interceptées, de dialogues de sourds. Grant n’en fait qu’à sa tête en tenant des discours cyniques et provocateurs tandis que sa productrice Sidney lui intime de s’arrêter en maugréant dans son casque. Le conflit qui les oppose introduit peut être un peu maladroitement la thématique, mais ces mots séparés par une vitre, envoyés par micros interposés, présagent du brouhaha cauchemardesque dans lequel Pontypool va progressivement sombrer. La majorité des protagonistes de Pontypool ne sont que des voix, à commencer par Ken, celui qui assure la liaison avec le monde, observant de son hélicoptère imaginaire, l’évolution de la situation.
Alors que dans Fog, l’héroïne aux aguets du danger guidait les habitants de sa voix, les prévenant de l’avancée du brouillard, le film de Bruce McDonald inverse ici émetteur et récepteur : la voix de Mazzy qui informait devient celle qui s’interroge, menacée par le monde extérieur. A ce titre, Pontypool présente une version très ironique de la circulation de l’information, lorsque celui qui s’adresse à la collectivité ne sait plus rien. Comble de l’absurdité, à la faveur d’une liaison avec une journaliste de la BBC l’animateur est interviewé en direct et confie son ignorance, la télé l’informant des barrages créés sur les routes à son insu, nouveau signe d’un afflux d’hypothèses non vérifiables.
Le spectateur s’identifie d’autant mieux au doute des héros que la peur naît de la narration d’actes invisibles et d’absence de réponse qui plongent dans un gouffre d’incertitude, comme un double abstrait de l’obscurité visuelle. Les voix de Pontypool maintiennent dans le pressentiment du danger. En matière de cinéma fantastique Pontypool est d’abord un fabuleux éloge de l’art de suggérer.
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En mettant en balance notre rapport même à l’imaginaire et au fantasme le cinéaste interroge notre croyance, et plus particulièrement celle du cinéma, en déplaçant le concept vers d’autres arts : en effet, cette narration d’événements extraordinaires ne stimule-t-elle pas notre capacité à créer nos peurs de la même manière que le ferait la lecture à haute voix de nouvelles fantastiques ?. Le point de départ de La guerre des mondes d’Orson Welles n’était-il pas d’ailleurs l’adaptation du roman de H.G.Wells à la première personne, la toute puissance la narration empiétant sur celle du réel ?
Le dispositif de terreur auditive s’avère plus passionnant encore lorsqu’il obéit pleinement aux règles de l’acousmatique théorisées par Michel Chion (cf son excellent site), où « l’on entend le son sans voir la cause dont il provient ». La séquence d’ouverture, qui montre l’animateur en voiture en chemin vers la station, donne le ton en présentant d’emblée deux situations d’écoute acousmatiques simultanées : l’auto-radio allumé suivi par le portable qui sonne (voix portées, interlocuteurs non vus donc), avant que ne surgisse de nulle part une femme à la terreur muette devant les vitres fermées de la voiture (image sans le son, comme dans un pièce insonorisée) en guise de prémice à la suite des événements. Pontypool ne nous laisse plus qu’entendre en nous privant de la vue. Dans Pontypool, les voix des auditeurs (des cris, des bruits furieux…) se font de plus en plus singulières, énigmatiques et fantastiques, intensifiant une horreur hors champ, décuplée par la représentation mentale.
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Imaginez un huis clos claustrophobe et paranoïaque envahi par les labyrinthes sémantiques et vous aurez une idée du plaisir que procure Pontypool lorsqu’il dérive vers les sphères du poétique et de l’absurde. Un vent de folie inattendu finit par souffler sur le film, qui fait rimer effroi et déstructuration formelle en convoquant l’univers d’un Cortazar ou d’un Borges. Ce cauchemar là renvoie le mot à son sens phonétique, poétique et pulsionnel, le signifiant (le mot prononcé, sonore, image acoustique du mot) témoignant de la fuite du signifié (le sens). La fuite du langage, la disloquation de la communication intervient comme LA vraie terreur, nous mettant face à un gouffre rarement exploité au cinéma. On emettra quelques réserves quant à une forme peut-être trop classique, qui n’épouse pas la complexité du propos, Mc Donald aurait peut-être gagné à disloquer sa narration et à livrer son esthétique à la frénésie de ses thèmes. Mais l’un des intérêts majeurs de Pontypool réside justement dans cette modestie de la série-B tendant un fil d’Ariane inédit sans pour autant se renier en tant que divertissement respecteux du genre.
La survie de l’être coïncide avec l’avenir du « mot », comme si dans leur association de mots, dans l’écriture automatique, le jeu littéraire, se jouait l’avenir de l’humanité… La mort de l’homme identifiée à celle du langage et de la pensée, la perte du sens comme signe de disparition universelle. Du verbe chahuté, éclaté, absurde, décoché comme une flèche, surgit l’une des plus belles propositions que le cinéma fantastique nous ait offertes depuis longtemps.
Pontypool sort chez Opening sans aucun autre bonus que la bande annonce et aussi étonnant que ça puisse paraître … ça fait presque du bien ! Nous sommes tellement obnubilés par le support, les suppléments, la director’s cut de l’édition définitive avant la prochaine que nous en venons finalement parfois à oublier l’essentiel à savoir qu’un film devrait se suffire en tant que tel, avant d’être commenté, agrémenté de scènes coupées anecdotiques ou de makings of promotionnels… Bref, vous pourrez voir Pontypool et le juger par vous-même dans son superbe transfert blu ray. Il est bon de laisser une œuvre comme Pontypool à la seule sensibilité de son spectateur.
Pontypool (Canada, 2008) de Bruce Mc Donald, avec Stephen McHattie, Lisa Houle, Georgina Reilly, Hrant Alianak
Blu Ray édité par Opening
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