Diplômé d’un baccalauréat en arts du théâtre, Carl Franklin entame une première partie de carrière en tant qu’acteur, d’abord sur les planches puis essentiellement sur le petit écran (il apparaît dans dix-sept épisodes de L’Agence tous risques). À l’approche de la quarantaine, il reprend le chemin des études et entre à l’American Film Institute de Los Angeles (conservatoire qui a vu défiler dans son enceinte des noms tels que Terrence Malick, David Lynch, Andrea Arnold, Darren Aronofsky, Ari Aster,…) où il obtient en 1986 son Master en réalisation. Point culminant de ce séjour à l’AFI, la mise en scène d’un film de thèse récompensé, Punk, avec un Don Cheadle débutant. À la suite de ce court-métrage politiquement engagé, la chronique d’un jeune garçon de neuf ans grandissant l’intérieur d’un ghetto violent, il fait ses armes auprès de Roger Corman pour lequel il tourne un premier long-métrage en 1989, le thriller Nowhere to Run. Deux ans plus tard, grâce à Punk, un producteur l’approche pour lui confier le projet Un Faux mouvement, co-écrit par Billy Bob Thornton, un polar situé dans le sud des États-Unis. Servi par une excellente distribution (Bill Paxton, Billy Bob Thornton mais aussi l’une des révélations de Mo’Better Blues, Cynda Williams) et soutenu par une mise en images solide, il évoque, en filigrane, autant les dissensions culturelles entre deux mondes issus d’un même territoire (ruralité/ville, nord/sud) que la question raciale de manière sous-jacente. Problématique « neuve » à Hollywood, alors mise en avant dans plusieurs œuvres signées d’une nouvelle génération de cinéastes afro-américains profitant de la brèche ouverte par Spike Lee, tels que John Singleton (Boyz N the hood), Mario Van Peebles (New Jack City) ou les frères Hughes (Menace II Society). En 1995, il réalise Le Diable en Robe Bleue, un néo-noir militant qui se déroule à la fin des années 40 à Los Angeles, avec en tête d’affiche un comédien en pleine ascension, Denzel Washington (il a précédemment accumulé les nominations et récompenses pour Glory, Malcolm X, ou encore Philadelphia). Ces deux réussites quelque peu tombées dans l’oubli, mériteraient largement une remise en lumière mais c’est une autre de ses réalisations qui bénéficie aujourd’hui d’une seconde vie, Out of Time (2004), restauré et édité en haute-définition par L’Atelier d’images. Neuf ans après leur collaboration initiale, il s’agit des retrouvailles entre un réalisateur et un interprète, dont les positions au sein de l’industrie ont évolué. Le premier vient successivement de tourner Contre-jour avec Meryl Streep et Crimes & Pouvoir, un énième polar Freemanien post-Seven tandis que la décennie 2000 résonne comme l’heure de la consécration définitive pour son le second. En 2002, sa prestation de policier corrompu dans Training Day d’Antoine Fuqua lui vaut un Oscar (il succède ainsi à Sidney Poitier, unique acteur noir à l’avoir reçu auparavant, en 1964 !). Année symboliquement importante, puisqu’au cours de la même cérémonie Halle Berry sera la première femme noire à décrocher l’Oscar de la meilleure actrice pour À L’Ombre de la Haine. Washington prête ici ses traits à Matt Lee Whitlock, le chef de la police de Banyan Key en Floride, un homme respecté par ses pairs et apprécié par les habitants. Seulement double homicide va venir semer le doute dans ses certitudes. Pris au piège d’une course contre la montre, il doit résoudre cette affaire avant que toutes les preuves le désignent comme le suspect numéro un…

© 2003 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. Tous droits réservés.

Ceux qui se souviennent des différents visuels utilisés à l’époque de sa sortie pour promouvoir le film, ont probablement mémorisé une esthétique empruntée au cinéma d’action. Denzel Washington occupe une large partie de l’affiche, pistolet en main, devant des flammes qui semblent être celle d’une explosion pétaradante (certaines jaquettes DVD se rapprochaient grandement du style utilisé pour Man on Fire), tandis que ses partenaires féminines Sanaa Lathan et Eva Mendes sont réduites au rang de silhouettes. Exception faite du poster américain, plus « honnête », conforme à la réalité, divisé en deux, à gauche les deux actrices, à droite le visage de l’acteur, le tout dans des couleurs bleutées aux accents tropicaux dévoilant au loin soleil et palmiers. Cette promotion inadéquate se révèle à la redécouverte, étonnamment raccord avec un long-métrage qui s’amuse fréquemment à se jouer des apparences, tel un vecteur de pur plaisir cinématographique. Le héros est, par exemple, intronisé en uniforme de travail, vêtu notamment d’un polo blanc « strictement » rentré dans son bermuda, un look sérieux en contraste avec la coolitude qui va rapidement le caractériser, à l’inverse, lorsque la tension grimpe, il arbore exclusivement une large chemise à palmiers, au style « explicitement » décontracté. Au préalable, le générique amorce déjà le concept de décalage. S’il introduit des couleurs chaudes sur fond de compositions jazz, préfigurant l’ambiance générale du métrage, la typographie utilisée renvoie à des classiques des années 60 tels que Charade de Stanley Donen, dont seront ici le repris une certaine distanciation vis-à-vis des codes du thriller et un goût immodéré pour les retournements de situations. La notion de faux-semblants est régulièrement éprouvée, à l’image de la séquence inaugurale entre Matt et Ann (Sanaa Lathan), construite sur des dialogues à double sens ainsi que l’idée de jeu de rôles chez l’un et l’autre. De même, si le titre induit immédiatement l’importance narrative du temps, le réalisateur se montre presque délibérément nonchalant durant la première moitié avant d’opter pour un rythme alerte dans la seconde. Out of Time, n’hésite pas à afficher une certaine patience, mise à profit de ses personnages et ses enjeux. Là encore, les bases sérieusement posées ont vocation à progressivement voler en éclats, quitte à flirter avec les rebondissements pas toujours vraisemblables (une fois de plus, il est question de jeu entre le film et son spectateur). Le suspens crescendo se double d’une douce et piquante ironie. Dernier point en réalité perceptible presque dès le postulat : une paisible baie floridienne va devenir le théâtre surprise de faits divers spectaculaires.

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Moins ambitieux dans ses intentions que Le Diable en robe bleue, Out of Time, outre son appréciable efficacité, détonne dans ses contours, au point de se révéler légèrement plus subtil qu’il paraîtrait au premier regard. Habitué du thriller, Carl Franklin teinte celui-ci de romantisme, il reconduit sous une nouvelle forme le triangle amoureux d’Un Faux mouvement. On découvre un homme partagé entre deux femmes, son ex-épouse Alex (Eva Mendes), inspecteur à la police criminelle en charge de l’enquête, et Ann, une femme mariée avec qui il entretient une relation officieuse. Matt, introduit en position de force telle une vedette locale (il a récemment participé à une grosse opération anti-drogue qui l’a mis en une de journaux), révèle peu à peu ses failles. Ses actes sont moins dictés par la raison que ses sentiments (ou ce qu’il perçoit en tant que tel), au détriment de sa déontologie. Incarné par un Denzel Washington dont le charisme au-dessus de la moyenne et le professionnalisme n’ont que très rarement été pris à défaut au cours de sa carrière, l’adhésion est totale. Célébré tantôt dans le rôle d’un policier pourri jusqu’à la moelle (Training Day), il renverse la vapeur, en incarnant cette fois une figure de devoir, dont la corruption est affective. Un héros faillible, persuadé de faire le bien, mis au pied du mur, contraint de sauver sa peau. Ses deux partenaires féminines bénéficient chacune d’une partition différente, à la lecture biaisée par une première impression délibérément erronée. La fausse victime innocente d’un côté et face à elle, un personnage longtemps effacé (au risque de passer pour un simple faire valoir) en dépit de sa fonction hiérarchique importante, qui gagne in fine en consistance. La puissance apparente du protagoniste est sérieusement mise à mal, pour ne pas dire contestée par les deux femmes, au point d’être reléguée au rang de futilité d’une aide limitée quant à la résolution de l’intrigue. Ce trio principal se distingue également par le caractère multiculturel de son casting, rappel discret mais notable à certains antécédents plus ouvertement engagés de son réalisateur. La question raciale n’a pas totalement disparu de son cinéma, elle affleure par petites touches ironiques. Par exemple, lorsque le témoin âgé d’une scène de crime croit reconnaître Matt, cela est tourné en dérision, tel un préjugé raciste, un réflexe douteux hérité d’une autre époque.

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Out of Time, constitue un agréable divertissement qui comble les attentes qu’il fixe tout en s’amusant à les déjouer. Disponible pour la première fois en France en haute-définition, le film s’agrémente d’une flopée de suppléments. Un commentaire audio du réalisateur, un making-of d’une douzaine de minutes, un document de présentation des personnages, un bêtisier, la bande-annonce originale et une gallérie photo. Document intéressant pour les plus curieux, les essais de casting de Dean Cain (l’ex-Superman de la série, Lois et Clark, les Nouvelles aventures de Superman) et Sanaa Lathan.

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Sortie 7 Juillet 2020, disponible en précommande chez L’Atelier d’Images.

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A propos de Vincent Nicolet

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