Tourné à la fin de l’âge d’or du cinéma d’épouvante ibérique, Escalofrio s’éloigne des thèmes conventionnels du genre inspirés par les classiques de la Hammer pour s’insinuer dans un courant plus contemporain, relevant moins des mythes comme les vampires ou les loups-garous que de la symbolique autour des rites démoniaques et de la possession. En ce sens, le film rejoint par son approche tout un corpus de productions anglo-saxonnes suite aux succès conjoints de Rosemary’s baby et L’Exorciste, à l’instar de Satan mon amour, La Malédiction ou encore du mésestimé La Sentinelle des maudits. Le règne du général Franco ayant pris fin en 75, il n’est plus nécessaire du situer les films d’horreur espagnols dans des contrées extérieurs ou de proposer deux versions du même film, l’une pour le territoire local et l’autre pour le marché extérieur. Désormais, les cinéastes, libérés des contraintes, se lâchent aussi bien en ce qui concerne la violence que l’érotisme.
Réalisé en 1978, alors que le genre commence paradoxalement à s’essouffler, la censure ayant parfois du bon pour la création, Escalofrio porte la signature de Carlos Puerto, artisan méconnu n’ayant signé que cinq longs métrages non rattachés à l’horreur, excepté le tire qui nous concerne. Cependant, si l’on regarde de plus près, la paternité du film peut tout aussi bien être attribuée à Juan Piquer Simon, sympathique bisseux espagnol, auteur de quelques pépites déviantes comme Le Sadique à la tronçonneuse ou Slugs,qui se retrouve ici producteur, mais aussi à la direction artistique. Selon certaines sources, mais soyons prudents, il aurait officieusement réalisé quelques séquences.
Le récit, classique, démarre bizarrement sous la forme d’une introduction au long métrage, à l’instar de Rod Serling dans La 4ème dimension et surtout Narciso Ibañez Serrador qui introduisait la série culte espagnol Historias para no dormir. Mais la présentation classique visant à séduire le spectateur sur les enjeux du récit est remplacée par un exposé succinct démontrant l’existence de Satan par une explication sommaire et fumeuse délivrée par un pseudo spécialiste. Pour arriver à cette conclusion, étant donné que le bien existe, le mal aussi.
Cette introduction didactique et sentencieuse, pas très utile au fond, est rapidement évincée par la folie transgressive d’un récit en roue libre qui s’écarte des conventions, et pas toujours de façon volontaire.
On fait la connaissance d’un couple charmant, Ana et Andrès, qui décide de s’offrir une escapade amoureuse. Ils croisent la route de Bruno et Berta qui prétendent les connaître. Séduits par leur sympathie et leur bienveillance, ils acceptent de passer une soirée avec eux dans leur vaste demeure perdue au fin fond de la campagne. Evidemment, rien ne se déroule comme prévu. Un orage contraint Ana et Andrès à rester dormir la nuit. Les ôtes si prévenants proposent alors une séance de spiritisme, plongeant le petit couple d’amoureux dans une spirale érotico-décadente, prétexte à un plan à quatre, filmé complaisamment par le réalisateur. Carlos Puerto s’en donne à cœur joie de dévoiler les courbes délicieuses de ses deux actrices, Mariana Karr et la très jolie Sandra Alberti, peu avares de leurs charmes. Le film frôle le « softcore » avec des scènes très explicites, mais curieusement dénuées de sensualité.
A partir de là, rien ne va plus, les repères spatio-temporels nous échappent complètement, les événements insolites se succèdent au gré d’une narration chaotique. Le monde des vivants côtoient celui des morts sans aucune explication, laissant finalement au spectateur un libre arbitre déconcertant.
Les situations étranges s’enchaînent sans aucun soucis de cohérence diégétique, créant paradoxalement une atmosphère fascinante et anxiogène. Le film emprunte la logique des rêves ou plutôt des cauchemars. Les personnages semblent coincés dans une boucle à laquelle il est impossible de s’extraire, confirmée par un épilogue délirant ne faisant que souligner le caractère excentrique du film. Ce glissement vers un surnaturel absurde n’est pas sans évoquer les débordements de certains travaux expérimentaux de Jess Franco ou encore des bisseries fauchées comme Nue pour Satan de Renato Polselli. Mais Carlos Puerto n’oublie pas d’insuffler du rythme, ne se reposant pas uniquement sur l’ambiance soignée: un érotisme gratuit et des meurtres sanglants ponctuent cette production fauchée, mais divertissante, à la frontière du risible, baignant constamment dans un climat onirique et surréaliste. Rien ne tient debout, le scénario se permettant des digressions saugrenues à l’image de l’intrusion d’un voleur tout droit sorti d’un slasher de seconde zone.
Visuellement très beau, grâce à ces éclairages tout en clair obscur, mettant en valeur le décor oppressant de la vaste bâtisse, Escalofrio souffre néanmoins d’une mise en scène soignée, mais académique, empruntant une grammaire cinématographique très étriquée offrant peu de variétés de plans là où pour illustrer un scénario confus, mais bourré d’idées iconoclastes,il aurait fallu faire preuve d’ingéniosité graphique. Malgré ces défauts, cette descente aux enfers d’amoureux transits se laisse voir avec plaisir et parvient par un délicieux tour de passe-passe à justifier in fine toutes les incohérences du récit. En somme, un petit film malin et souvent délirant, porté par une troupe de comédiens très impliqués, ce qui est plutôt rare au sein des productions horrifiques à petits budgets.
Le beau digipack proposant deux visuels distincts par Uncut Movie qui enrichit sa collection avec un titre phare des années 70, déjà sorti chez Mondo Macabro sous le titre Satan’s blood, est agrémenté de bonus intéressants à commencer par l’intervention érudite, riche en informations, de David Didelot. Un court métrage La Maison des ténèbres de Jonathan Faugeras complète cette belle édition, sans oublier un livret synthétique parcourant l’histoire du fantastique espagnol des années 60-70.
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