Sortie en dvd du dernier film de Catherine Breillat retraçant ses démêlées avec Christophe Rocancourt. L’intelligence du traitement choisi par Breillat, factuel, sans excès, parfois léger, permet de contourner les embûches pourtant nombreuses du sujet. Le couple d’acteurs improbable, Isabelle Huppert et Kool Shen, s’avère bien plus subtil qu’il ne paraît…
En 2005, Catherine Breillat vient de faire un AVC et souffre d’hémiplégie partielle. Elle se remet progressivement au travail pour écrire « Bad Love », une histoire destinée à l’actrice et mannequin Noami Campbell. Fascinée par Christophe Rocancourt, « l’arnaqueur des stars », qu’elle a découvert à la télévision, elle décide de le contacter pour lui proposer le rôle masculin. Le film ne se fera pas, mais Breillat offrira un autre contrat à Rocancourt pour qu’il écrive un scénario inspiré de sa propre vie amoureuse. Quatre ans plus tard, elle accusera Rocancourt d’avoir profité de sa vulnérabilité pour lui soutirer à plusieurs reprises des sommes exorbitantes (dans les 700 000 euros au total). Il sera mis en examen et partiellement condamné en 2012. La cinéaste racontera sa relation ambigüe avec Rocancourt dans un livre intitulé « Abus de Faiblesse » (écrit avec Jean François Kervéan et publié en 2009), avant de l’adapter au cinéma. Dans le film, Breillat devient Maud (Isabelle Huppert), Rocancourt est renommé Vilko (Kool Shen). Les rôles restent identiques : une réalisatrice en convalescence piégée par l’escroc qu’elle a sollicité.
Le film est, dans le fond, un objet aussi problématique pour la cinéaste que pour les spectateurs. Eux, sont mis en position de voyeurs. Elle, exploite cet épisode ingrat, au risque de s’y montrer revancharde et cynique après coup. Mais paradoxalement, l’approche tout à fait décomplexée de Breillat, lui permet de transformer son histoire en véritable dispositif de fiction, et d’en jouer littéralement avec ses interprètes (l’espièglerie d’Isabelle Huppert, et en miroir, l’interprétation retenue de Kool Shen). La réalisatrice a choisi de décentrer légèrement le point de vue, pour ne pas trop s’enfermer dans le sien, celui de la victime trompée, et mieux décrire le déroulement des faits. Elle préfère manifestement montrer le jeu du tandem, pas après pas, sur cette pente invisible jusqu’au fait accompli.
La relative douceur de ton, et l’aspect légèrement burlesque du couple (y compris dans les moments d’entraide gênants), donnent au film un drôle d’équilibre, un peu funambule et rêveur, toujours sur le bord du drame sans jamais y tomber. La démarche maladroite de Maud, due à l’hémiplégie, contient ce risque d’embardée à chaque pas. Cette renverse « tragicomique » adviendra fatalement durant une crise d’épilepsie. Mais elle se déroulera avec la même ambivalence que tout le reste : pas tout à fait pathétique, ni malsaine à regarder, et comme atténuée par le ridicule qu’il y a à se voir ainsi sur le dos… La relation entre Maud et Vilko n’est pas non plus montrée de façon spectaculaire (pas de violences ou d’intimidations outrancières). Elle se rapproche de rapports et de situations ordinaires, presque naturels et filiaux (exception faite des gros chèques, signés au détour d’une tasse de thé). C’est un mélange de séduction et de connivence, comme si chacun (elle comme lui) jouait le jeu de l’autre en connaissance de cause. Mais tout se perd dans une sorte de parenthèse semi-éveillée, à l’image des nombreux plans qui montrent Maud en train de récupérer, ses besoins en sommeil décuplés après l’accident…
Breillat ne cherche donc pas à tourner l’histoire ou les faits (trop) à son avantage. Elle bâtît son film sur l’énigme de ce pacte insensé : donner beaucoup d’argent contre de l’attention, celle d’un homme plus jeune, qui la flatte, lui fait oublier son infirmité et peu à peu sa propre famille, en se substituant à elle. Elle en montre à la fois les raisons objectives (la forte médicamentation de Maud, sa fragilité post-traumatique) et la part d’irréductibilité. Dès le départ, Maud savait pertinemment qui était Vilko : un escroc d’envergure internationale, très médiatisé. Mais elle a décidé de mettre les doigts dans l’engrenage en le contactant. Malgré l’énormité des prétextes avancés, et les remboursements toujours différés, Maud s’est vue signer chèque sur chèque, incapable d’y mettre un terme. Le mystère de cette volonté aliénée, et l’humanité donnée au personnage de Vilko, font tenir la fiction, puisqu’il s’agit davantage de montrer la relation et son mécanisme pernicieux. « Abus de Faiblesse » dépasse l’exercice cathartique et l’accusation manichéenne. Il montre quelque chose qui se trouve au-delà des responsabilités mutuelles, dans un entre-deux indéfinissable. La réussite du film est de s’en tenir à cette sorte de constat fictionnel, de faire exister chacun des personnages et chacune des situations, comme si le matériau suffisait, et qu’il n’y avait qu’à l’investir, sans trop d’effets, avec une légère distance, un recul « amusé » et incrédule.
Bonus DVD : deux entretiens vidéo très appréciables pour compléter la vision du film : l’un avec Kool Shen et l’autre plus long avec Catherine Breillat (40 minutes).
Film disponible en DVD chez l’éditeur Tamasa.
crédits photographiques : Tamasa / Flach Film
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