À l’origine, Le Péril jeune, objet générationnel culte pour beaucoup (qui ne réunit pourtant qu’un peu plus de 600 000 spectateurs lors de son exploitation en salles), fut développé comme un téléfilm diffusé sur Arte durant l’année 1994. Premier volet d’une collection de quatre épisodes qui ont comme point commun l’établissement imaginaire nommé Montesquieu, intitulée Les Années lycée et initiée par Un air de liberté d’Eric Barbier, son succès sur le petit écran est tel que les producteurs décident de le sortir au cinéma début 95. Deuxième long-métrage de Cédric Klapisch après Riens du tout et deux courts remarqués (In transit et Ce qui me meut), le film réunit une jeune génération d’acteurs et d’actrices pour narrer les souvenirs adolescents d’amis réunis après la mort de l’un d’eux, prétexte à explorer les affres de la jeunesse française des années 70. Scénarisé par le réalisateur accompagné de ses fidèles Santiago Amigorena, à la plume sur Ni pour ni contre (bien au contraire), mais aussi Upside Down avec Kirsten Dunst, et Alexis Galmot (Peut-être ou plus récemment Interdit aux chiens et aux Italiens), la comédie connaît aujourd’hui un nouveau coup de projecteur. En l’éditant dans un mediabook qui comprend le Blu-Ray, deux DVD, un livret intitulé On a été sincères avec une interview du cinéaste par le journaliste Marc Godin, et de nombreux suppléments, Rimini lui redonne une nouvelle jeunesse. Le moment est donc parfaitement choisi de se poser la question : Tomasi, Chabert, Zareba et les autres ont-ils survécu aux affres du temps ?
L’une des forces incontestables du long-métrage est la fraîcheur de son casting. Reconnaissons une certaine sagacité à Klapisch pour avoir déniché de nouveaux visages alors anonymes, qui ont, pour certains, su se faire une place durable. Romain Duris (découvert lors d’un casting sauvage), Vincent Elbaz, dans son premier rôle, ou Elodie Bouchez (qui était auparavant apparue principalement à la télévision), continuent ainsi de tracer leur route au sein du cinéma français. Dans le bonus Ten Years After enregistré lors de la sortie en DVD du film (notons au passage que l’éditeur ne propose malheureusement pas de contenu inédit), chacun revient sur son expérience et se confie sur l’après. Se tissent alors des liens entre les personnages et leurs interprètes, certains ayant déviés de leurs ambitions initiales, comme Julien Lambroschini, devenu scénariste sur Le Grand bain ou Les Infidèles, ou ont purement et simplement disparus du paysage. Au milieu d’habitués du cinéma de Klapisch (Zinedine Soualem en tête) et de caméos souvent très drôles (mention spéciale à Jackie Berroyer, de retour de Katmandou), la bande génère immédiatement la sympathie. Si tous les comédiens ne sont pas d’égal talent, leur osmose et la véritable énergie qui se détache de leurs échanges convainc. Le tournage à l’arrache comme le définit Duris et les nombreuses improvisations ne sont pas étrangers à cette réussite. Pourtant, difficile de faire abstraction de l’inexistence des figures féminines, totalement oubliées par le récit (pauvre Bouchez) quand elles ne sont pas simplement réduites au rôle de pimbêche (Hélène de Fougerolles qui a néanmoins joui d’un certain engouement les années suivantes). Tous concèdent d’ailleurs que le scénario était avant tout écrit pour les cinq héros, ancrant Le Péril jeune dans l’époque qu’il dépeint sans jamais chercher la moindre mise à jour ou questionnement de celle-ci à travers le prisme des années 90.
Paradoxalement, et bien que certains passages se révèlent précurseurs (les réunions en non-mixités afin de lutter contre le patriarcat), c’est dans sa dimension d’instantané figé dans le temps que le film est le plus intéressant a posteriori. Fétichiste et nostalgique – la bande-originale, les vêtements et posters, tendent à raviver la jeunesse des auteurs -, il est intrinsèquement tourné vers le passé. Un véritable désenchantement émerge de ces adultes passés à côté de leur vie, qui viennent de perdre l’un des leurs et ne souhaitent qu’une chose « avoir encore le temps ». Un constat amer qui trouve un écho dans l’un des ultimes plans où les quatre amis s’éloignent sous la pluie parisienne. Autre illustration de la stagnation des protagonistes, cette image fixe ou ralentie par laquelle le long-métrage s’ouvre et se clôt, tranchant radicalement avec le dynamisme de certaines scènes. Le générique, qui suit un lycéen courir dans les couloirs, impose d’emblée une distinction nette. Contrairement au récit, la caméra de Dominique Colin (chef opérateur de Carne et Seul contre tous) tend à matérialiser la fougue de cette jeunesse, à l’instar de ces jump-cuts lors d’une soirée sous acide. Le scénario quant à lui, découpe la mémoire en de multiples saynètes drôles ou touchantes (la bagarre à coup de pommes, le stress d’être appelé au tableau en cours de maths), quitte à frôler une certaine artificialité. Le lien entre passé et présent peine à prendre réellement et seuls les souvenirs semblent intéresser le cinéaste. Une problématique surgit alors : malgré sa longévité et ses nombreux succès publics (L’Auberge espagnole, En corps), quelle est réellement la place de Cédric Klapisch dans le cinéma français ? Que laissera-t-il derrière lui ? Force est de constater qu’au milieu d’auteurs majeurs et récompensés apparus au même moment (Noé, Audiard ou Kechiche), le cinéaste peine à acquérir une reconnaissance critique et une postérité solide dans le cœur des cinéphiles. Quoi qu’il en soit, et quoi que lui réserve l’avenir, la redécouverte du Péril jeune dans les meilleures conditions demeure l’occasion parfaite de replacer son auteur au sein de la production hexagonale des années 90, lui qui a récemment fait son come-back à la télévision pour la suite de sa trilogie, tel un retour aux sources.
Disponible en mediabook Blu-Ray/DVD chez Rimini Editions.
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