Claude Barrois – « Le Bar du téléphone » (1980)

Monteur de profession, Claude Barrois commence à s’exercer dès le début des années 60 aux côtés de Claude Lelouch, sur l’improbable mondo La Femme spectacle, mais aussi Un homme et une femme ou Un homme qui me plaît. Il collabore également aux débuts derrière la caméra de Philippe Labro (Tout peut arriver, Sans mobile apparent, L’Héritier) et fait la rencontre du producteur Jacques-Eric Strauss, à qui l’on doit Le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil. Il entame à son tour une carrière de réalisateur du côté de la télévision en 1970 et effectue en parallèle quelques apparitions en tant qu’acteur (Le Chaud Lapin de Pascal Thomas, Bête, mais discipliné de Claude Zidi). En 1980, il signe ses deux seuls longs-métrages pour le grand écran, Alors heureux ?, sur lequel il apporte essentiellement ses compétences techniques aux frères Jolivet, et celui qui va nous intéresser, Le Bar du téléphone, un polar inspiré d’un fait divers survenu à Marseille deux ans auparavant. L’assassinat d’une dizaine de personnes dans un bar du quartier du Canet dans le 14ème arrondissement, qui demeure une enquête irrésolue, ni coupable ni explications n’ayant pu être trouvés. Écrit par Claude Néron, romancier adapté à deux reprises par Claude Sautet (Max et les Ferailleurs et Vincent, François, Paul…et les autres) pour qui il rédigera ensuite le script de Mado, qui revient ici à ses premières amours policières, le film convoque plusieurs talents émergents et installés. Le chef opérateur Bernard Lutic, bientôt à l’image de métrages de Pierre Schoendoerffer, Eric Rohmer, Michel Deville, Jean-Claude Brisseau, le monteur Nicole Saunier (grande fidèle de Claude Zidi des Sous-Doués à Ripoux 3) et un compositeur déjà incontournable dans le paysage hexagonal, Vladimir Cosma. Le casting mêle plusieurs générations d’acteurs, autour d’un Daniel Duval tout juste sorti de La Dérobade. François Périer, Julien Guiomar, Georges Wilson, croisent la route des jeunes Christophe Lambert et Richard Anconina. Les faits se déroulent à Marseille, Tony Véronèse (Daniel Duval), criminel notoire, à la suite d’un contentieux, fait sauter en guise de représailles les boîtes de nuit et hôtels de passe détenus par les frères Pérez. Ces attentats spectaculaires conduisent le commissaire Joinville (François Périer) à pactiser avec deux personnalités respectées dans le Milieu. Mais, alors que le policier espère un accord tacite entre les deux clans, les règlements de comptes se poursuivent dans un bain de sang …Au cours de son année 2022, Le Chat qui fume aura accordé une attention particulière au polar francophone eighties. Une décennie marquée par la volonté de se réinventer, de s’émanciper de l’influence de Melville (Le Bar du téléphone et sa célèbre affiche plus qu’inspirée par celle du Cercle Rouge n’est en ce sens pas le meilleur exemple), quitte à s’américaniser et perdre en identité. De La Balance aux plus bisseux Les Fauves et À coups de Crosse, l’éditeur aura remis en lumière des œuvres oubliées voir parfois complètement inconnues au bataillon, pour des résultats souvent inégaux mais jamais dénués d’intérêt.

Copyright – Le Chat qui Fume

Les notes de musique entêtantes de Vladimir Cosma, en rupture avec la noirceur et la brutalité caractéristiques de l’œuvre, détonnent dès le générique. Les crédits défilent sur fond d’un combat de boxe, observé entre ralentis et surimpressions, évoquant étrangement (avant l’heure) les Rocky 3 et 4 réalisés par Sylvester Stallone dont il rejoint la tentation clipesque (un penchant que l’on retrouvera ultérieurement à quelques reprises). Dès sa première apparition, Tony Véronèse, grâce à l’intensité de son interprète Daniel Duval, impose par sa simple posture physique une autorité naturelle et ce avant même d’avoir prononcé le moindre mot. Gangster impitoyable et fondamentalement romantique, il fait ici office de figure paradoxalement rassurante. Au sein d’un milieu sans foi ni loi, où l’éthique n’est pas la vertu principale, loin s’en faut, il se distingue par la clarté de ses intentions et une droiture à toute épreuve. Les dialogues, construits sur une certaine musicalité de la langue et dopés aux effets de style à base d’argot d’époque, s’avèrent efficaces et justes, à la faveur d’un bon niveau d’interprétation général. Ils préfigurent une tentation d’écriture qu’Olivier Marchal usera une vingtaine d’années plus tard, favorablement le temps de 36, Quai des Orfèvres (dans lequel – cela ne semble pas relever de la pure coïncidence – joue Daniel Duval) puis jusqu’au ridicule à mesure que ses réalisations déclineront vertigineusement (Bronx et Overdose constituent le stade terminal). Une ambiance à la fois tangible et désuète, faussement nostalgique, imbibe le film, les actes s’accordent aux mots, donnent longtemps au récit une dimension quasi programmatique. Chaque péripétie ou presque, semble avoir été annoncée au préalable, exception faite d’un arc narratif centré sur la possible relève de ce banditisme à l’ancienne. Soutenu par une belle photographie (notamment lors des séquences nocturnes), Le Bar du Téléphone relate efficacement une escalade de violence, sur fond d’affrontements de clans rivaux. En creux, il constate froidement l’évolution du monde criminel et la naissance d’un fossé générationnel, d’une délicate transition. L’alternance entre scènes présentant des truands déjà installés et des jeunes chiens fous s’exécutant aussi chaotiquement que sauvagement, vient davantage nourrir le sous-texte qui se dessine, que renforcer la puissance dramaturgique du long-métrage. Claude Barrois oppose une approche clanique ou familiale mais structurée à une somme d’individualités privées de repères, guidées par une vision fantasmée de la voyoucratie et délestées de perspectives. La police impuissante et inutile, est reléguée au rôle de témoin, préférant laisser les malfrats s’entretuer, que de se risquer à intervenir. Elle trouve à sa manière son intérêt à la situation : « On laisse faire, que toute cette racaille se flingue jusqu’au dernier » peut-on entendre de la bouche de représentants de l’État lors d’un échange tardif et profondément désabusé. Ils illustrent implicitement une France marquée par l’ère Mesrine, qui s’est habituée à vivre avec crime organisé sans autre solution viable que l’emploi contestable des mêmes méthodes violentes et expéditives.

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Réalisé avec ce qu’il faut de savoir faire, Le Bar du Téléphone se rend attachant par sa modestie, préférant proposer une série B musclée et globalement tenue, que de pécher par excès d’ambitions. Ses limites (sa psychologie tantôt superficielle tantôt caricaturale) sont compensées par ses atouts (les acteurs jouent beaucoup dans la crédibilité de l’ensemble) quand ses fautes de goût anticipent inconsciemment une tendance qui se démocratisera plus tard outre-Atlantique. Longtemps efficace mais privé de surprises, il étonne finalement par le virage qu’il opère lors de son dernier acte. Le titre, en définitive trompeur, a beau évoquer le climax et par la même occasion un fait divers médiatisé, il occulte malicieusement une issue nettement moins attendue. Ce bain de sang à la fois effroyable et grotesque (les masques de Dark Vador que portent les tueurs), insiste autant, sinon plus, sur la dimension pathétique de la situation que l’exécution d’un plan mal préparé. Un sentiment de tristesse s’immisce, précède une ultime demi-heure où l’action va désormais laisser place à la réflexion. Moins nostalgique que mélancolique, le film observe alors des personnages condamnés par leurs choix, hantés par leurs méfaits, dans l’impossibilité d’attendre sereinement l’avenir. La parenthèse amoureuse qui lie Tony Véronèse à Maria (Valentine Monnier), ponctuée d’échanges fatalistes (« on aurait pu être si heureux ensemble ») témoigne d’une impasse existentielle, le protagoniste ayant pour lui une lucidité et un recul quant à sa vie marginale. De l’affrontement au rapprochement, il n’y a qu’un pas, en atteste, le dialogue improbable de nature mentor-élève, qui réunit tardivement le héros et son assassin désigné (Christophe Lambert, plutôt correct). Claude Barrois ne fait plus du choc des générations une source de conflits et de tensions, mais l’appréhende tel le vecteur d’un changement inéluctable contre lequel personne ne peut rien, lui le premier. Cette fin d’un monde et l’arrivée d’un autre incertain, rejoint étrangement l’horizon du polar hexagonal, orphelin et délesté de figures maîtresses, partagé entre la tentation passéiste et la nécessité de regarder à l’étranger afin de retrouver son identité ou de s’en façonner une nouvelle. Sur le fil, Le Bar du Téléphone, se pare de considérations plus profondes, rompt avec sa nature de pur objet d’exploitation pour se faire l’écho d’un genre à la croisée des chemins.

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L’édition proposée par le Chat qui Fume, remplace sans mal le DVD existant, grâce à son master haut de gamme. Elle s’accompagne de plusieurs suppléments d’époque : une interview de Daniel Duval qui définit le long-métrage comme un « western policier », un making-of et un court module autour de sa sortie mouvementée. On y apprend notamment que plusieurs cinémas marseillais prévoyant alors sa diffusion, firent l’objet de menace de la part de familles des victimes. Un entretien réalisé à l’inverse récemment, avec Fabienne Viette, dernière compagne de Duval, revient – entre autres – sur la place du film dans la carrière de l’acteur.

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A propos de Vincent Nicolet

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