Lors de sa sortie en salles en mars 1973, Themroc, troisième long-métrage de Claude Faraldo, est interdit aux moins de 18 ans. Plus de trois décennies plus tard, le film est diffusé un vendredi soir, le 21 mars 2008, sur Arte dans le cadre du cycle Trash. Œuvre contestataire ancrée dans un contexte de révolutions sociales et culturelles, Themroc reste encore aujourd’hui un film étrange et dérangeant tant sur la forme que dans les thèmes abordés. Cinq ans se sont écoulés depuis Mai 68 et la Nouvelle Vague a modifié le paysage audiovisuel français de façon radicale. Déjà en marge de ce mouvement cinématographique, le film de Claude Faraldo conserve encore aujourd’hui toute sa force subversive par sa façon de bousculer les tabous.
Themroc est un ouvrier, un peintre en bâtiment qui prends les traits de Michel Piccoli. Célibataire et vivant chez sa mère avec sa petite sœur, il subit la routine du vélo-boulot-dodo. Le matin, il reluque sous la jupe d’une voisine dans les escaliers quand il quitte son appartement. La routine l’ennuie et développe chez lui une certaine frustration. Viré de son boulot par un sous-directeur acariâtre, Themroc décide de se révolter.
Pour narrer la révolte de son personnage, Claude Faraldo penche pour un traitement se situant entre le surréalisme et la dérision. Sous une photographie teintée de la grisaille quotidienne, se glissent des détails qui accentuent l’aspect frondeur du film, le renvoyant à une farce ironique, libertaire et parfois cruelle. Avec une apparente désinvolture et un humour féroce, Claude Faraldo dépeint une société inégalitaire et condescendante dans laquelle les ouvriers sont infantilisés. Les travailleurs pointent sous des panneaux précisant « gentils ouvriers », l’entrée des bureaux des cadres sont ornées d’écriteaux indiquant « gentils sous-directeurs », qui se révèlent être nombreux, un pour chaque département, même le plus ridicule.
Claude Faraldo bafoue l’autorité en personnifiant des patrons lubriques qui abusent de leur pouvoir ou des policiers incompétents et quelque peu stupides. La troupe du Café de la gare s’invite dans la distribution, et cela de façon bénévole, avec certains membres allant même jusqu’à incarner plusieurs rôles différents. Ainsi, Coluche apparaît en petit bourgeois timoré et en ouvrier, Romain Bouteille en sous-directeur hautain et en policier… L’absurdité des personnages se révèle d’autant plus évidente par le refus du réalisateur d’utiliser un langage intelligible. Tous parlent un dialecte étrange, poussent des cris, hurlent, grognent. Un choix qui achève d’ancrer le film dans une autre dimension, où le social se dispute à une réalité fantasque. Comme dans un conte qui aurait été écrit pour les adultes, avec un ton parfaitement immoral.
Themroc est une ode à la liberté individuelle, une critique impitoyable d’une société matérialiste dont l’oppression prend la forme du train-train quotidien vécu par des millions de personnes en France : métro-boulot-dodo. Par une série de plans répétitifs et elliptiques, le réalisateur décrit une vie dénuée d’éclat ou de surprise, cause de l’inassouvissement de chacun. Les ouvriers et les travailleurs sont filmés comme une masse uniforme lorsqu’ils pointent le matin à l’usine. Le monde du travail est dépeint comme un terrain où se creusent les inégalités, un monde clivant qui monte les employés les uns contre les autres. Dans les vestiaires où des armoires forment une ligne séparatrice, deux clans se forment, se disputent.
Le personnage incarné par Michel Piccoli va transformer son insatisfaction sexuelle, prendre sa libido en main et mettre de l’ordre dans tout cela. Claude Faraldo fait du désir sexuel le moteur essentiel des motivations humaines, comme dans son film policier, Flagrant désir, qu’il réalise en 1986. L’acte sexuel en tant que geste révolutionnaire va faire de Themroc un meneur, celui qui brise les barrières de classes comme il détruit les murs. Surtout, le film de Claude Faraldo, en plus d’être un brûlot anarchiste, bouscule la société petite bourgeoise engoncée dans son confort matérialiste en évoquant des sujets tabous. Ainsi, Themroc couche avec sa sœur et se nourrit de policiers qu’il fait cuire à la broche…
Tout ce délire, tant verbal que visuel, entre en contradiction avec un filmage où l’absurde se mêle avec un certain réalisme social. Le titre du film apparaît sous la forme d’un graffiti sur un mur, renforçant ainsi son aspect contestataire et hors-normes. Themroc se distingue aussi par son montage au sein duquel des images extra-diégétiques font leur apparition. Un énigmatique plan montrant des techniciens du film au milieu des projecteurs ouvre le générique ; un autre du réalisateur se superpose au son de « Themroc » crié par Michel Piccoli, dans un synchronisme parfait. Themroc n’est pas qu’une comédie décalée, un poil à gratter dans la production française de l’époque, mais aussi et surtout un manifeste, un coup de colère de la part de Claude Faraldo.
Le metteur en scène, qui utilise l’humour et le sarcasme tout au long de son film, donne le ton dès l’introduction en parodiant le logo de la Metro Goldwyn Mayer. Cette fois, le lion laisse la place à un réalisateur rugissant, façon d’annoncer par la même occasion l’un des motifs principaux de Themroc : le retour à l’état de nature, à l’animalité. Michel Piccoli fait office de mâle alpha, celui qui attire toutes les femelles et les dévergonde.
Pour Claude Faraldo, entre la société de consommation et la sauvagerie, il semble ne pas y avoir de juste milieu. Sous l’aspect anarchiste, il dresse un portrait à la fois sarcastique et nihiliste de la nature humaine où le décloisonnement et l’abandon de toute règle et valeur morale semblent être les seules clés de la liberté.
Le DVD : La copie est proposée dans son format d’origine 1.66 et encodée en 16/9. L’image est d’excellente qualité même si les noirs sont un peu bruités. Le son bénéficie d’une piste mono. Pour tout bonus, un montage d’images du film avec un commentaire de Roland-Jean Scharna en voix off qui revient sur le réalisateur et sa filmographie à travers une analyse du film.
Themroc
(France – 105min – 1973)
Scénario et réalisation : Claude Faraldo
Directeur de la photographie : Jean-Marc Ripert
Montage : Noun Serra
Musique : Harald Maury
interprètes : Michel Piccoli, Béatrice Romand, Marilù Tolo, Francesca Romana Coluzzi, Jeanne Herviale, Romain Bouteille, Henri Guybet, Coluche, Patrick Dewaere, Miou-Miou…
DVD disponible chez Tamasa Distribution.
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La Belle au Bois Bornu
Plaisante surprise que de voir quelques lignes sur ce film assez hallucinant. Une vrai curiosité à rapprocher pour ce qui me concerne de l’AN 01, grand moment là aussi peut être plus encore post soixante huitarde que celui-ci. En passant, on y croise à diverses reprises à la fois tout le café de la gare (henri guybet, miou miou en plus de ceux cités) mais aussi ceux du splendid