Frédéric Lansac, peintre renommé, tombe éperdument amoureux de Anne, fine fleur à la beauté fragile et incandescente. Lors d’un accident provoqué par sa rivale, la pauvre fille est défigurée et perd l’usage de ses jambes. Enfermée dans sa tour de solitude, elle s’aigrit de jour en jour, ne supportant plus la beauté féminine et décide de se débarrasser de toutes les femmes s’approchant de Frédéric. Le peintre rencontre Rohmer, un mystérieux chirurgien déchu par ses pairs (Howard Vernon, toujours prisonnier de son rôle de Docteur Orloff chez Franco). Spécialiste de la greffe qui modèle les visages et les reconstruit, le médecin se retrouve devant l’obligation de refaire le visage d’Anne à l’aide de tissus humains. Il sera évidemment indispensable de trouver des spécimens tout beaux et encore bien chauds.

Au cœur d’une demeure ancestrale, deux hommes se penchent sur leur passé…  Ils attendent le verdict d’un médecin.

Le film débute par ces mots lyriques écrits dans un style littéraire tombé en désuétude. Le décalage entre un récit très classique et une interprétation parfois décalée, des dialogues maniérés et une esthétique fauchée renvoie trop facilement au cinéma de Jean Rollin. Car là où le réalisateur de cette autre rose – de fer cette fois-ci – embarquait loin dans des univers érotico-surréalistes devant autant à Sade, qu’à Gaston Leroux ou George Bataille, Mulot gagne en rigueur, ce qu’il perd en transgression et divagation. Il privilégie la scénographie, la narration classique du conte qui trahit ses affinités. En effet, distribué à l’époque antédiluvienne de la VHS sous le titre opportuniste de Devil’s maniac, La rose écorchée s’érige en mélodrame fantastique d’un autre temps, épousant une esthétique singulière proche des films de Serge De Poligny. Il organise un récit linéaire structuré en 3 chapitres, passé, présent et futur qui évoque ces vieilles histoires horrifiques… et extraordinaires. Les Fiancées spectrales et maléfiques d’Edgar Allan Poe étouffant les héros de leurs amours empoisonnés ne sont évidemment pas très loin, mais plus encore ce sont les récits fantastiques de Théophile Gautier et ses histoires d’amour maudites comme La morte amoureuse ou Aria Marcella, que convoquent La Rose Écorchée. Quitte à paraître trop surannée, la voix-off et les dialogues très écrits retrouvent ce souffle romanesque et osent la préciosité littéraire. Un an après, Bruno Gantillon s’essaiera lui aussi à ce fusionnement du conte de fée et de l’érotisme vaporeux et ses envolées vers l’onirisme avec le méconnu et si beau Morgane et ses nymphes. Après l’amusant Sexyrella, Claude Mulot, âgé de 28 ans, s’inscrivait ambitieusement dans un héritage culturel, affirmant son amour d’un imaginaire du passé : le romantisme noir auquel il fait ouvertement référence mais aussi un esprit feuilletonnesque plus abracadabrant à la Maurice Renard fait des chausses trappes, de savants-fous et de coups de théâtre. Le scénario, s’il ne ménage guère de surprises, se débarrasse assez vite de l’ombre écrasante de Georges Franju (l’expérience de changement de visage est une référence trompe l’œil assez drôle) afin d’embraser l’atmosphère trouble du romantisme noir. La Rose écorchée nous entraîne dans dans un cinéma typiquement midi-minuiste qui expose sa passion pour le fantastique et re-fantasme les modèles. Le nom de Rohmer n’est évidemment pas fortuit, d’autant que Jean-Claude Rohmer était ami avec Claude Mulot.

© Le Chat qui fume

Formellement, le film tente surtout de raviver l’alchimie du cinéma gothique italien des années 60 à la Bava et plus encore Freda par la musique, l’architecture des décors, les couleurs, les cadrages… et le romantisme contaminé les effluves de noirceur. Les cimetières brumeux empruntés, les châteaux inquiétants peuplés de longs couloirs, d’escaliers en colimaçons, les peintures sombres ornementant des pièces éclairées à la bougie, les personnages secondaires atypiques, les nymphes souvent dévêtues, sont au menu de ce conte macabre et moral.

La singularité de La Rose Écorchée tient à sa confrontation entre son raffinement et son absolue trivialité donnant une orientation ouvertement bis, plus scabreuse, comme en témoigne tout son environnement freaks et ses nains lubriques. Pourtant, si la comparaison avec Rollin paraît inopportune, c’est beaucoup plus au Jess Franco d’Une Vierge chez les morts-vivants que fait penser La Rose Écorchée, pour son tragique, ses envolées lyriques, son verbe littéraire (imaginez Truffaut dialoguant un film de zombies), son irruption de l’incongruité voire de la trivialité dans un décorum en apparence très sage et classique. Comme chez Franco, la progression dramatique se mue parfois en une étrange déambulation poétique et mélancolique.

© Le Chat qui fume

La Rose Écorchée fait également partie de ces films fantastiques des années 60-70 qui installent de manière plus ou moins intentionnelle, leur climat comme des oxymores. Les objets contaminent le décor, les visions d’un autre siècle se retrouvent envahies par le contemporain, comme si les personnages eux-mêmes jouaient à être des poètes maudits, des comtes maléfiques. Bava avait magnifiquement ironisé sur cette approche lorsque dans Baron Blood un long travelling dans un couloir de château sombre se terminait sur un distributeur de boite de coca-cola. La Rose Écorchée multiplie les sensations presque anachroniques, d’objets contemporains comme signe d’inadaptation. Le spectateur est souvent surpris de voir arriver une Porsche au pied du manoir, comme si l’apparition du présent venait déranger le héros du passé.

Ce romantisme mis au goût du jour par le regret du contemporain, l’écrivain André Pieyre de Mandiargues s’en empara avec génie dans des nouvelles envoyées hors du temps. La magnifique partition de Jean-Pierre Dorsay dont on se demande pourquoi elle n’a jamais été éditée avec ses chœurs inquiétants et tragiques contribue à cette alchimie envoûtante. La direction artistique n’est pas le seul atout d’un film qui s’offre un casting pour le moins étonnant.  Si le jeu des acteurs demeure très inégal, au côté d’un Howard Vernon qui n’en finit plus de rejouer le même personnage avec un maniérisme délicieux, la très chaste Annie Duperey incarne remarquablement (en caméra subjective souvent) la pauvre Anne : elle est d’abord la splendeur de la femme idéale, la muse dans son acception romantique. Elle est désir et sensualité, avant de devenir monstruosité, folie et vengeance. Le silence d’Annie Duperey concernant ce film (les rushes de tournage la montrent beaucoup plus enthousiaste) est d’autant plus décevant qu’elle s’y révèle excellente, troquant sa beauté physique contre celle de sa voix dans la deuxième partie, son phrasé, ses intonations provoquant tout le trouble nécessaire, entre sa féminité et la monstruosité. L’excellent comédien belge, second couteau habitué du cinéma français des années 50, Philippe Lemaire (qui n’est autre que le père de Christophe, critique funambule bien connu des amateurs) endosse le rôle de Frédéric Lansac entre désespoir et décadence. Plus insolite encore, une certaine Elizabeth Teissier tient un rôle plutôt conséquent. Il s’agit bien de l’astrologue renommée et ex-conseillère de François Mitterrand en matière d’astres et de prédictions fumeuses.

Dissimulé sous le pseudo de Frédéric Lansac, n’étant jamais aussi bien servi que par soi-même, Claude Mulot deviendra par la suite, après l’excellent thriller westernien La saignée, l’un des meilleurs représentants du X gaulois avec des titres cucultes tels que Le sexe qui parle ou La femme objet.

 

Après l’édition Mondo Macabro devenue obsolète, Le chat qui fume ressort, dans une copie splendide, La Rose Écorchée, rareté absolue, bardée de bonus passionnants, parmi lesquels on retiendra un bref making of sur le tournage du film, une série d’interviews de collaborateurs de Claude Mulot (Edgar Oppenheimer, Hubert et Georges Baumann, Jacques Assuérus) et surtout une intervention pertinente de Brigitte Lahaie revenant notamment sur les rapports que le cinéaste entretenait avec les femmes.

(FRA-1970) de Claude Mulot avec Philippe Lemaire, Howard Vernon, Annie Duperey, Elizabeth Teissier

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