Dans une interview accordée aux Cahiers du Cinéma, au moment de la sortie de Les Rencontres d’après minuit en 2011, Yann Gonzales confiait qu’il appréciait beaucoup Le couteau sous la gorge (à ne pas confondre avec le polar des années 50 de Jacques Sèverac), source d’inspiration souterraine mais évidente dans son deuxième long-métrage. La filiation saute aux yeux dans Un couteau dans le cœur, pas simplement dans le choix du titre mais également dans la manière d’installer certaines ambiances urbaines nocturnes et cette volonté de s’approprier un genre très peu prisé par les Français (si l’on excepte les tentatives esthétiques et cérébrales de Hélène Cattet et Bruno Forzani), le giallo.

Les différences sont aussi nombreuses que radicales. Autant Un couteau dans le cœur est traversé par une émotion à fleur de peau, autant Un couteau sous la gorge frappe par sa froideur, son manque d’empathie envers ses personnages, silhouettes vulgaires déambulant dans un environnement citadin clinquant. Cette approche pose un problème. Cette vision cynique, ou au mieux désenchantée, d’un univers de glace, miroir effrayant et à peine déformé d’une époque révolue où seule compte l’apparence, est-elle consciente ou non de la part de Claude Mulot qui signait son dernier long métrage avant de décéder à l’âge de 44 ans ?  Au fond peu importe : si la part d’inconscient ressurgit dans la description de personnages cupides et malsains, il s’agit sans doute pour Claude Mulot d’exorciser certains démons, de lâcher prise pour son ultime film. De là à considérer le film comme une œuvre testamentaire, n’exagérons pas, la mort subite de Mulot à 44 ans n’étant aucunement préméditée.

Test Blu-ray / Le Couteau sous la gorge, réalisé par Claude Mulot – Homepopcorn.fr

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Dès son ouverture, agressive et immersive, Claude Mulot jette en pâture une jeune femme qui court nue sous un manteau dans les rues de Paris. Elle se réfugie dans un commissariat, paniquée, hurlant au viol. La situation étonne. Personne ne la prend au sérieux ; les flics, agacés, la somment de rentrer chez elle, d’arrêter de les déranger pour un viol issu de son imagination. L’inspecteur lui dit simplement « deux fois en un mois ça fait beaucoup, la prochaine fois je vous inculpe pour outrage à agent ». Outrage de se présenter nue ! Qu’une telle séquence ait été tournée dans les années 80 parait inimaginable aujourd‘hui, véhiculant d’un côté ce vieux schéma misogyne des femmes fantasmant l’agression sexuelle et de l’autre l’attitude méprisante de policiers renversant la situation, la victime devenant alors coupable. La position morale de Mulot est très ambigüe, retrouvant en une séquence la puissance ambivalente des meilleurs gialli à caractère sexuel, articulant un va-et-vient presque ludique entre la sexualisation exacerbée du corps féminin et la critique de cette sexualisation, par le prisme de la morale chrétienne. Ce cinéma ne pourrait plus exister de nos jours, ni même fonctionner à l’écran, raison de plus pour apprécier à son juste niveau, en le re-contextualisant, Un couteau sous la gorge, petite série B française non dénuée de qualités formelles.

Le couteau sous la gorge de Claude Mulot - Critique sur Fais pas Genre !

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La trame n’a rien d’original, reprenant les codes usités du giallo et du slasher. La jeune femme présentée comme mythomane, Catherine, est mannequin dans une agence. Elle est victime de cauchemars récurrents la plongeant dans un état d’anxiété tel qu’elle confond le rêve et la réalité. Lorsqu’un tueur s’en prend à son entourage, les décimant un par un, évidemment personne ne la croit, la police en premier lieu. De cette histoire classique, pas toujours très bien construite, Claude Mulot tire une œuvre étrange et atmosphérique, presque dérangeante par sa misanthropie outrée et sa forme presque clinique. La plastique irréprochable de l’actrice principale, Florence Guérin, souvent nue, ne parvient pas à érotiser un film où l’on sent planer l’ombre de Ténèbres. La chair est triste, les sentiments n’existent pas et le peu d’humanité que semble amener le récit se révèle cruellement dérisoire.

Étrangement, le manque de moyens joue en faveur du film, à commencer par la faiblesse de la direction d’acteurs qui, au lieu de tirer le film vers le bas, lui confère un climat fantomatique inquiétant. Les personnages ne sourient jamais, murés dans une inexpressivité fascinante, comme s’ils portaient un masque leur ôtant toute émotion.  Même la fadeur quasi spectrale d’Alexandre Sterling, en jeune voisin épris de Catherine, finit in extremis par se révéler payante.

La platitude des dialogues s’avère presque anecdotique dans ce giallo qui procure un drôle de malaise pour peu que l’on en accepte les incohérences et les déficiences techniques. Néanmoins, Claude Mulot reste un cinéaste adroit, utilisant très bien son décor urbain et ses intérieurs chics. Les meurtres sont correctement chorégraphiés en dépit d’une résolution finale rapidement expédiée, qui manque sans doute de conviction.

Le Couteau sous la gorge - Les Programmes - Forum des images

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Sans être une réussite absolue, Un couteau sous la gorge demeure un petit giallo hexagonal intrigant, qui vaut plus pour son atmosphère décadente que pour son intrigue, rappelant bizarrement un autre film avec Brigitte Lahaie tourné deux ans plus tard, Les prédateurs de la nuit de Jess Franco, seul film produit par René Château.

Le Chat qui fume renvoie aux oubliettes la précédente édition DVD discount du film en proposant un beau master permettant de réévaluer les qualités plastiques du film et en l’occurrence sa très belle photographie nocturne. Le Blu-Ray digipack est agrémenté d’une interview de Florence Guérin, revenant sur sa carrière partagée entre la France et l’Italie, et d’une intervention de Brigitte Lahaie évoquant ses relations avec son ami Claude Mulot. En bonus supplémentaire, joli cadeau déjà présent sur un autre Claude Mulot sorti aussi chez Le Chat, Les Charnelles, Black Vénus, film érotique désuet et charmant avec Florence Guérin.

(FRA-1986) de Claude Mulot avec Florence Guérin, Brigitte Lahaie, Alexandre Sterling, Emmanuel Karsen, Natasha Delange

Edité par le Chat qui fume en Blu-Ray

 

 

 

 

 

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