Ed Wood demeure toujours une figure à part dans le cinéma mondial. Pendant longtemps, son nom a été totalement ignoré par la majorité des cinéphiles. Seuls quelques initiés, fans du cinéma bis le plus fauché et de séries Z extravagantes, pouvaient éventuellement connaître celui qui a acquis très tôt la réputation de « plus mauvais cinéaste du monde ».
Puis vint Tim Burton…
En réalisant, en 1994, son fameux « biopic » sur le cinéaste, Tim Burton est parvenu à redonner une chance à l’œuvre d’Ed Wood et à donner envie de la redécouvrir.
Bien sûr, certains se contenteront des ricanements d’usage sur les aberrations de ce cinéma fait de bric et de broc, où les faux-raccords et stocks-shots sont légions et où les décors en toc menacent de s’écrouler lorsque les comédiens les effleurent. A côté de ça, la grandeur du film de Burton était de montrer l’incroyable foi dans le cinéma que manifesta Ed Wood. Si cette croyance fut sans doute d’une grande naïveté, elle propulse également le cinéaste au rang des véritables « auteurs » maudits du système Hollywoodien, à l’instar d’un Orson Welles (on aura bien compris que le « toutes proportions gardées » est une évidence!) que Burton faisait également apparaître dans son film le temps d’une scène magnifique.
Réalisateur, scénariste, producteur, monteur et parfois acteur, Ed Wood a occupé presque toutes les fonctions sur les plateaux de cinéma et il est parvenu, mine de rien, à imprimer sa « patte » aux films auxquels il a participé même lorsqu’il n’était pas derrière la caméra.
Ce coffret de l’œuvre « presque intégrale » d’Ed Wood qui paraît chez Bach films dans de bonnes conditions (les copies des films sont très correctes même si certaines sont un peu faibles au niveau du son) nous permet de faire un point sur cette carrière atypique et de dépasser un peu la simple évocation rigolarde des « hauts faits » du cinéaste. Tout le monde a dans la tête, bien sûr, l’image du pauvre Bela Lugosi tentant de mimer l’attaque d’une pieuvre désespérément amorphe dans The Bride of the monster ou des petites maquettes de soucoupes volantes tenues par un fil dans Plan 9 from outer space .Il s’agit de dépasser cette imagerie ringarde sans pour autant tomber dans l’excès inverse en tentant de faire d’Ed Wood un génie incompris. Ce corpus, il faudrait l’aborder dans une autre optique que celle de la dérision et essayer de voir ce qui, malgré tout, tient dans ces films délirants.
Avouons-le d’emblée, les parfaits néophytes risquent de tomber de haut en découvrant ce coffret car certains des films proposés ne présentent pas le moindre intérêt. Célèbre avant tout pour ses œuvres fantastiques, Ed Wood a tâté d’autres genres comme le thriller, n’hésitant pas à s’inscrire dans certaines veines alors fructueuses du cinéma d’exploitation. Avant de se diriger vers l’érotisme dans les années 70 (nous y reviendrons un peu), il a profité comme d’autres du succès de Graine de violence de Richard Brooks pour traiter de la délinquance juvénile dans The Violent years (réalisé par William Morgan en 1956) où une bande de minettes surexcitées se livre à des forfaits réprimés par la Loi. Au sein de ce gang de filles, Paula détonne dans la mesure où ses parents sont des gens aisés et peu familiers avec ce type de violence. Si cet assommant navet porte la marque d’Ed Wood, c’est en raison de l’incroyable prêchi-prêcha moralisateur visant à culpabiliser les parents qui ne s’occupent pas assez de leurs enfants. Si l’on en croit le film, c’est parce que la pauvrette reçoit régulièrement le même cadeau à son anniversaire (une montre) qu’elle sombre dans l’alcool, la violence et le crime ! Le spectateur a droit à de longs monologues pontifiants d’un juge en bois brut qui met les parents face à leurs actes. Au 12ème degré, ça peut faire sourire même si les 56 minutes du films paraissent aussi longues qu’un immangeable pudding de Peter Jackson !
Dans le même genre, Ed Wood s’est essayé au thriller avec, convenons-en, peu de bonheur. Jail Bait (1954) est sans doute son film le plus « classique » même si on aperçoit très vite l’extrême dénuement du budget. Tourné dans les mêmes décors que Glen or Glenda (on reconnaît les deux ou trois mêmes pièces du film précédent), le film narre les mésaventures d’un fils de chirurgien qui se laisse embarquer par un petit truand dans un casse qui se termine mal. En effet, un vigile meurt pendant l’opération et Vic Brady, le gangster, va obliger le père de son associé à l’opérer afin de changer de visage.
Molle comme un caramel, cette intrigue qui anticipe d’une certaine manière le Volte face de John Woo ne réserve qu’une toute petite surprise, assez prévisible, lors d’une scène finale que nous ne vous révélerons pas, bien entendu.
Tout aussi médiocre et reposant sur un retournement final assez similaire à celui de Jail Bait, The sinister urge met en scène un tueur en série qui attaque des femmes se promenant seules dans un parc. Tous ces crimes ont également des liens avec l’industrie du cinéma pornographique… Comme la plupart des tâcherons du cinéma d’exploitation, Ed Wood a toujours su mêler avec une rare roublardise un certain goût pour des scènes « sexy » et une dénonciation en bonne et due forme d’un prétendu avachissement moral. Pour être plus clair : il s’agit ici de dénoncer ce qu’on étale avec une certaine complaisance ! En 1960, le cinéaste s’encanaille un tout petit peu et c’est ce (très) léger condiment érotique qui sort parfois le spectateur de sa torpeur, notamment lorsqu’il peut admirer une starlette courir en sous-vêtements dans les bois (où elle parviendra pourtant à dénicher une…cabine téléphonique !) ou un fugace téton.
Le film pourra également faire sourire ceux qui ont lu le livre d’Ed Wood Comment réussir (ou presque) à Hollywood car une séquence en illustre littéralement un passage. Dans cet ouvrage, Ed Wood prodiguait des conseils aux futures jeunes actrices et énonçait les pièges qu’il fallait éviter. Dans The Sinister urge, une starlette tombe dans tous les pièges décrits : l’arrivée à Hollywood avec des étoiles dans les yeux, les promesses d’un producteur véreux qui lui propose une avance pour qu’elle puisse se loger et s’habiller, l’incapacité par la suite de rembourser cette avance à moins de se plier aux exigences dudit producteur et de se déshabiller devant la caméra… Cette petite curiosité ne parviendra néanmoins pas vraiment à étouffer les bâillements que suscite l’œuvre…
Même lorsqu’il n’est pas derrière la caméra, Ed Wood parvient à imprimer sa marque dans les films qu’il a écrits. A ce titre, La Fiancée de la jungle est exemplaire et plutôt amusant. Le film s’ouvre sous les meilleurs auspices puisque nous voyons une jeune femme (Laura) ressentir un certain trouble à la vue d’un gorille que son époux (Dan, un chasseur de fauves) a capturé et enfermé dans sa cave. Suite à une séance d’hypnose, un médecin ami du couple découvre que Laura a été une gorille dans une vie antérieure, expliquant ainsi les yeux doux du quadrumane pour la belle et le goût de celle-ci pour… la fourrure (Ed Wood trouvant ainsi une belle occasion de laisser éclater son fétichisme pour les pulls angora !). La première demi-heure du film est totalement imprégnée de ce délire qu’on ne peut imputer qu’à l’auteur de Glen or Glenda et Plan nine from outer space : outre des plans de scènes de rêves et d’hypnose tournés à grands coups de « stock-shots » et de voix-off grandiloquente ; on s’amuse beaucoup à décrypter le sous-texte éminemment sexuel de l’œuvre. Même si l’ensemble est d’une chasteté irréprochable (nous sommes en 58 !), le désir de la belle pour la bête crève littéralement les yeux et le cinéaste -Adrian Weiss- parvient même à faire naître un certain trouble.
En revanche, lorsque ce grand nigaud de Dan décide d’emmener sa jeune épouse dans la jungle pour chasser, les choses se gâtent. Cette partie centrale du film est axée autour d’une (interminable !) partie de chasse filmée à grand renfort de stock-shots animaliers à faire blêmir les thuriféraires de Bazin et de son « montage interdit » : par la force des choses, jamais un animal se trouve dans le même plan que le chasseur ! Weiss s’inscrit ici dans la pure tradition du film de jungle (très populaire dans les années 30, 40) et son exotisme de pacotille, ses animaux dangereux (attention aux tarentules !) et son paternalisme suranné (il faut voir ces figurants grimés en domestiques noirs, souriant aux bontés des maîtres blancs !). Sauf qu’ici, nous sommes dans un film d’exploitation de dixième catégorie et que le film souffre de son rythme mollasson et d’un manque de moyens criant à chaque plan. La fin ahurissante du film nous remet dans les bonnes dispositions du début même si l’ensemble relève toujours de la plus invraisemblable et très sympathique série Z.
Autre film où Ed Wood n’est que scénariste : l’hallucinant Orgy of the dead de Stephen C. Apostolof (alias A.C. Stephens). Là encore, on reconnaît certaines des obsessions du cinéaste : l’espèce de mage (Criswell) qui commente l’action en de longs monologues sentencieux, le goût pour les petits cimetières brumeux et les apparitions de goules en tout genre. Sauf qu’en dépit de quelques apparitions d’une momie et d’un loup-garou facétieux, le film n’est pas réellement fantastique mais relève plutôt du « nudie mongoloïde » (pour reprendre une expression de Bouyxou à propos des films d’Apostolof). La trame (?) du récit n’est qu’un vulgaire prétexte pour aligner d’interminables numéros de danse topless aussi émoustillants qu’un traité de droit public. Si certaines comédiennes se révèlent assez girondes (chef-lieu Bordeaux), d’autres gigotent comme si elles étaient au rodéo (on imagine déjà les cris d’apaches dans les drive-in!) et leurs numéros de « tassel twirling » les font plutôt ressembler à des vaches à lait !
Mais c’est bien entendu dans le fantastique qu’Ed Wood s’est épanoui avant tout. Le coffret nous permet donc de (re)découvrir la fameuse « trilogie » La Fiancée du monstre (1955), Plan 9 from outer space (1959) et Night of the Ghouls (1959). Outre l’immense Bela Lugosi, on retrouvera dans certains de ces titres ses comédiens fétiches : Tor Johnson, un ancien catcheur et une « gueule » à part, Vampira, Criswell… C’est aussi dans ces films qu’on trouve les « bourdes » les plus célèbres du cinéaste : la pieuvre de La Fiancée du monstre, le remplaçant de Bela Lugosi (mort au début du tournage) qui ne lui ressemble pas du tout et qui tente de masquer son visage avec une cape dans Plan 9 from outer space, les raccords jour/nuit complètement foireux, les décors qui tremblent… Tout cela est vrai mais ces films sont également traversés par des éclairs de poésie, des moments bizarres et étranges que l’on ne voit nulle part ailleurs. Ed Wood aime faire revenir des créature depuis le monde des morts et les faire marcher, de manière hiératique, dans de petits cimetières embrumés. Et il faut bien convenir que ces « visions » sont assez belles. Ce retour à la vie des morts peut être dû à un savant fou (La Fiancée du monstre), à un faux médium (Night of the ghouls) ou à des extra-terrestres désireux de mettre les humains face à leurs responsabilités (Plan 9 from outer space). Il est assez amusant de constater, dans ce dernier film, que la menace extra-terrestre n’a rien à voir avec la « Guerre froide » et la peur du danger communiste mais s’inscrit davantage dans une « réflexion » sur les dangers de la bombe atomique. Ce n’est pas « l’étranger » qui est dangereux mais l’humanité elle-même et son absurde volonté de puissance.
Si les images sont pauvres, brinquebalantes, parfois aberrantes, c’est la personnalité du metteur en scène qui finit par faire le lien entre elles. Ses films se caractérisent souvent par des mises en garde et des discours verbeux sur le devenir de l’Homme, la destinée des individus. Dans Night of the ghouls (le plus faible des trois), Ed Wood nous gratifie de longues tirades moralisatrices sur des stock-shots d’un film de prévention routière n’ayant strictement rien à voir avec l’intrigue. Mais d’un autre côté, ce sont ces voix-off improbables qui font tenir ces éléments hétéroclites ensemble.
A ce titre, le premier long-métrage du cinéaste, Glen or Glenda (1953) reste à la fois le plus fou de ses films et le meilleur.
Tiré d’un fait divers ayant fait sensation à l’époque (un homme opéré afin de changer de sexe), Ed Wood tisse une fiction qui hésite entre le documentaire médical, le drame psychologique d’un homme (Ed Wood lui-même) cachant à sa fiancée son goût pour le travestissement et la fable foldingue avec un Bela Lugosi fou-furieux jouant les médiums et déclamant avec son accent inimitable des tirades totalement sibyllines, invitant le spectateur à se méfier du « dragon vert assis sur le pas de [sa] porte » puisqu’il mange « les petits garçons, la queue des chiots et les gros escargots » ! Parfois, l’image du grand comédien est sur-imprimée sur d’autres montrant un troupeau de bisons !
Glen or Glenda est un incroyable bric-à-brac de stock-shots, de voix-off sentencieuse et de déclamations ampoulées mais c’est aussi un film qui touche par son incroyable sincérité. Ed Wood, qui se vantait être le seul « marine » a avoir débarqué avec des sous-vêtements féminins sous son uniforme, adorait se travestir même s’il n’était pas homosexuel. Depuis le film de Tim Burton, son goût pour l’angora est devenu célèbre. Dans ce film, il se livre crûment devant la caméra et expose ses dilemmes moraux à une époque où ce type de mœurs « dépravées » étaient fortement mises à l’index. Il livre également une sorte de film « somme », une œuvre mentale où l’exposé didactique succède à des scènes oniriques avec des femmes ligotées qui annoncent, d’une certaine manière, l’univers fantasmatique d’un Alain Robbe-Grillet !
Le film est complètement fou : à la fois totalement « nul » par rapport à l’idée que l’on peut se faire d’un film standard mais finalement très attachant.
Un petit mot, pour finir, sur la place de l’érotisme dans l’œuvre d’Ed Wood. Si le coffret proposé est incomplet, c’est qu’il manque les film érotiques du cinéaste, notamment Necromania. Néanmoins, les éditions Bach Films nous offrent un beau cadeau avec Take it out in trade, une comédie érotique (dans la lignée des films de Russ Meyer) que le cinéaste tourna en 1970 et où il apparaît en travesti.
Sauf que le film est supposé perdu et qu’il s’agit là d’une succession de rushs. Impossible donc de juger ce film relevant, d’une certaine manière, du cinéma expérimental (les images, muettes, étant accompagnées par des morceaux de rock plutôt entraînants). Il est à la fois très emmerdant (certaines scènes étant répétées sept ou huit fois) et, en même temps, assez envoûtant grâce au grain de la pellicule, aux claps qui apparaissent en début de plan, au montage qui prend soin de conserver toutes les imperfections et autres « saletés », donnant à l’ensemble une petite touche psychédélique loin d’être désagréable.
Pour conclure, un DVD de suppléments nous permet de découvrir quelques courts-métrages d’Ed Wood et un petit documentaire où certains cinéastes (Lucile Hadzihalilovic, Guy Maddin, Marc Caro, Yann Gonzalez…) confessent leur penchant coupable pour l’œuvre de ce réalisateur hors-norme…
Coffret Ed Wood : La presqu’intégrale ! (Éditions Bach Films)
DVD 1 : 1/ Glen or Glenda – 2/ Jail Bait
DVD 2 : 1/ La Fiancée du monstre – 2/ The Violent years
DVD 3 : 1/ La Fiancée de la jungle – 2/ Night of the ghouls
DVD 4 : 1/ Plan 9 from outer space – 2/ The Sinister urge
DVD 5 : 1/ Orgy of the dead – 2/ Take it out in trade
DVD 6 : BONUS (Ed Wood par Stéphane Bourgoin, Le Pire bonus de tous les
temps (documentaire), Crossroad avenger (24 mn), Ed Wood home movies (3 mn),
Final Curtain (22 min), The Sun was setting (20 mn))
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Paulhan Jean-Kely
Juste un grand merci pour votre beau travail de synthèse et d’exposition, très bien écrit et intéressant, qui recadre bien le sujet Ed Wood. Bravo !
Jean-K.
V.Roussel
Merci beaucoup : je suis très touché !