Vous ne souffrez d’aucune hallucination. Il n’y a rien d’anormal à ce que ces photos soient si rouges tant il s’agit bien de la couleur dominante du Sushi Typhoon. Amis de la régression et de la liberté sans frein, ce coffret est pour vous. ElephantFilms y regroupe en effet pas moins de cinq films estampillés Sushi Typhoon pour notre plus grand plaisir. Mais attention, gare à l’addiction, et quand il y a risque de manque, il y a aussi risque d’overdose. Parce que les Sushi Typhoon, oui, s’apparentent à une drogue. On affirme haut et fort que l’on ne nous y prendra pas, on fait d’abord la fine bouche et on y prend rapidement goût. Pour tout dire, c’est peut-être cet étrange pouvoir d’images plus folles les unes que les autres, laissant planer une hésitation infinie entre la bêtise et la liberté totale, qui fait de ces productions des objets si précieux. Il y a dans Machine Girl, comme dans RobotGeisha ou Tokyo Gore Police un plaisir enfantin de tout barbouiller, de tout casser, de tout peindre en rouge, faire gicler de toute part. Des femmes robots, certaines avec des mitraillettes sur les seins, des tronçonneuses aux jambes, des maisons monstrueuses qui marchent, des héroïnes transformées en bolides furieux…nous nageons dans le domaine de la catharsis pure, un monde où tout semble n’être que le moyen d’oublier le notre – tout en métamorphosant parfois l’épouvante.
La transformation du corps, la mutation et le passage de l’humain à l’homme machine est au centre des thèmes abordés par les films d’Iguchi ou Nishimura au point qu’on puisse lire Machine Girl et RobotGeisha comme d’étranges variations sur Robocop et Cronenberg, avec la même transformation du corps et la même abime identitaire, mais dans une hystérie de l’action régressive qui aurait tendance parfois à en faire oublier les pulsions les plus obsessionnelles. Difficile également d’oublier que sans le Tetsuo de Tsukamoto ces œuvres n’auraient pas pu exister. Aussi décomplexé qu’il soit avec ses ninjas décérébrés, ses yakuzas débiles transformant les doigts coupés en sushis croquants ou ses bras mitraillettes, Machine Girl, film fondateur du label Sushi Typhoon (la marque de fabrique avant la firme, Sushi Typhoon ayant été créé en 2010) est peut-être celui qui parvient le moins à se démarquer de la hantise contemporaine. Machine Girl (Noboru Iguchi, 2008) est barbare, la chair y éclate, y explose, comme un puzzle dont les pièces s’éparpilleraient plutôt que de s’assembler, mais fait finalement pour rire. Le manichéisme excessif a beau friser la parodie (les méchants sont ultra méchants et sadiques) il y règne finalement beaucoup de souffrance. Le martyr de la future vengeresse (citation directe de Robocop) témoigne de ce dolorisme permanent, elle-même n’abandonnant pas ses pulsions suicidaires. Machine Girl sous ses airs de film gore en faisant toujours plus, prend parfois l’allure de tags dont la peinture sortirait de vraies artères.
Avec Nishimura, jusqu’à présent responsable des effets spéciaux (barrés) des précédents opus, aux commandes pour Tokyo Gore Police (Yoshiro Nishimura, 2008) c’est encore entre chose. Bien plus maitrisé et abouti esthétiquement, traversé d’éclairs de beauté et d’excroissances, il est impossible de démêler les contradictions de ce spectacle qui cultive à la fois l’Art du vulgaire et celui d’une chorégraphie lyrique et morbide, dans lequel chaque geste semble réfléchi. Trip hallucinatoire dans la mégalopole tokyoïte, Tokyo Gore Police digère ses influences et les recrache avec fureur, ramenant au futurisme planant de Blade Runner, aux fausses pubs satiriques sorties tout droit de Robocop 2 et Starship Troopers, au gore d’un Evil Dead, en passant par les errances somnambules de Michael Mann pour aboutir à un objet totalement impur avec ses assassins cannibales, sa police totalitaire, ses poubelles remplies d’organes. Nishimura libère ses fantasmes en emmêlant les chairs (c’est le plus cronenbergien de la série), leur faisant subir des transformations surréalistes au potentiel érotique inattendu, fascinant et dérangeant. Il n’y a qu’à voir cette sculpture corporelle d’une femme aux seins nus et aux membres inférieurs remplacés par une queue de crocodile pour comprendre. Autre élément non négligeable, Tokyo Gore Police peaufine le personnage de l’héroïne combattante (une autre marque de fabrique des Sushi Typhoon) à la fois soumise aux meurtrissures du corps et diablement sexy, en sabre et en porte-jarretelles. L’avenir et la lutte appartiennent à la femme. La subversion pointe son nez dès la première fausse pub qui fait la gloire d’une police à « tolérance zéro ». La folie de Tokyo Gore Police fatigue et fascine, inquièts que nous sommes pour notre santé mentale … et guettés par l’accoutumance.
Avec le délirant (mais lequel ne l’est pas ?) RobotGeisha (Noboru Iguchi, 2009), tout en affirmant ses thèmes (femme transformée, le mélange de la chair et du fer), s’opère un tournant, alternant une esthétique presque classique avec sa photo soignée aux couleurs vives, ses dominantes mauves et vertes avec la laideur d’un jeu vidéo régressif. Très peu gores, plutôt que de tendre à la crédibilité, les CGI foncent ouvertement vers l’irréalité numérique, de l’héroïne transformée en tank fonçant à travers la ville, aux immeubles expulsant leur sang sous le coup de la maison monstre… On soupçonne parfois un équivalent XXIe siècle des cartons pâte des vieux peplums ou encore un Art abstrait qui a totalement perdu son lien avec la logique. Avec ses monstres immenses qui menacent de détruire la ville et écrasent des immeubles, ses risques nucléaires, c’est peut-être avec RobotGeisha qu’Igushi conçoit le plus bel hommage aux films de monstres japonais des années 70 de Honda ou aux gigantesques créatures de pierre à la Majin. RobotGeisha est donc un étrange objet parfois totalement versé dans l’Eroguro (les femmes robots aux masques phalliques meurtriers) mais ne fuyant pas pour autant le sentimentalisme. Les références visuelles affluentes, et son assemblée de cyborg en bottes de cuir rappellent même parfois les bombgirls de Doctor Goldfoot. Le cinéma d’Iguchi, aussi surprenant que cela puisse paraître, questionne l’identité dans un monde contemporain où l’homme craint de se transformer en machine. A la frontière de deux genres contradictoires, toute la dualité de RobotGeisha (Robot + Geisha) est dans le titre, partagé entre un imaginaire technologique très transformers et un éloge de la tradition, l’héroïne ne rêvant que de la beauté des rites anciens et de devenir une geisha. L’enjeu de RobotGeisha tient à cette lutte pour la survie de son humanité tandis qu’elle assiste impuissante à sa métamorphose en machine. L’air de rien, Iguchi questionne une vraie fracture identitaire, face à la peur d’un individu contemporain facilement assimilé à une machine et qui prépare sa résistance.
Co-réalisation de Yoshihiro Nishimura et Naoyuki Tomomatsu, Vampire Vs Frankenstein Girl (2009), est un opus un peu mineur, qui se complait dans un humour navrant et douteux (les collégiennes japonaises voulant devenir des sportives africaines) et pourtant cette œuvre presque à l’eau de rose fait preuve de ressources inattendues. Vampire Girl Vs Frankenstein Girl, c’est un peu le conte de fée (déjanté) de la série, ce qui le rend presque inoffensif, baigné dans un gore cartoon plus proche de Tex Avery que de Romero. Suivant une tradition de confrontation de deux mythes fantastiques (Dracula vs Frankenstein, jusqu’à Freddy vs Jason) légion dans le cinéma bis mais également dans les films de monstres japonais (Mothra contre Godzilla), Vampire Girl Vs Frankenstein Girl choisit donc son monstre positif. L’héroïne aux canines acérées offre des bouchées au chocolat fourrées au sang – qui modifient la perception – à son petit ami et tous deux ne rêvent que d’amour fou. Le vampirisme donne donc l’occasion au tandem de réalisateurs de livrer une œuvre qui aimerait se faire plus sentimentale, mais dont le romantisme est toujours dynamité par une hystérie de l’action, une vulgarité qui maltraite les mythes à foison. Totalement hybride, Vampire Girl Vs Frankenstein Girl succombe au film de filles, mimant parfois malicieusement le Sukeban movie (film de gang de filles) et c’est lorsqu’il devient plus méchant et satirique qu’il est le meilleur, s’attaquant à l’esprit de compétition et de caste au sein des institutions japonaises. Le rire est décuplé par la subversion à la vision de ce cercles des tailleuses de poignets, allant jusqu’au bout de leur sacerdoce lors d’une scène frénétique qui livre la jeunesse à l’immolation orgiaque.
Après HellDriver (2010), on se demande à quoi pourra ressembler la suite de la filmographie de Yoshihiro Nishimura tant il pousse sa démarche à son acmé. Car HellDriver ressemble à un film somme, comme une conclusion inimaginable à des années d’expérimentation, tel un savant fou qui aurait enfin découvert la formule pour tout faire exploser. Film apogée dans la régression au point d’en être conceptuel, HellDriver conduit la trivialité à des sommets poétiques. Nishimura découpe les corps, garde les morceaux, les déconstruit pour les reconstruire. Aussi étonnant que cela puisse paraître, des têtes coupées s’envolant en stop motion à l’utilisation naïve et ouvertement visible des CGI, HellDriver retourne aux sources des effets spéciaux en un spectacle surréaliste qui ferait passer son gore pour du Svankmajer.
D’une liberté formelle totale, HellDriver, après son pré-générique d’une heure, se paye également le luxe d’une belle satire (« Le japon aux japonais vivants » hurle le peuple) d’un discours politique corrosif et désopilant, montrant un gouvernement au sommet de la corruption et de la malhonnêteté.
On suivra donc avec attention les mésaventures de cette héroïne guerrière dotée d’un cœur-androïde et d’un sabre électrique, trucidant frénétiquement les mort-vivants à cornes (Y) (ndlr : ceux qui verront le film comprendront). On se mange, on se poursuit en voiture zombie faite de membres épars, on s’estourbit furieusement dans cette fête sauvage où tout est permis. Mais au-delà du carnage enfantin, du cinéma de sale gosse, HellDriver avec ses pluies de sang sensuelles et ses nuits furieuses révèle parfois une beauté graphique à couper le souffle, aux confins du cauchemar éveillé et de l’abstrait, un éclat scandaleux et incompréhensible, sortie du fumier et des chairs fumantes d’une apocalypse mutante. L’enfer de Nashimura est un beau bordel, saturé de toute part, aussi efficace qu’un champignon hallucinogène. HellDriver amuse, provoque un regard distancé et étonné et là… tout peut arriver. Soit c’est la rupture, gigantesque, le refus catégorique du n’importe quoi, qui nous incite à s’arrêter en cours sur le mode « je n’en peux plus », soit au contraire s’opère insidieusement un glissement qui nous happe, nous empêche d’en sortir, et nous laisse littéralement exsangues et accrocs, à demi conscients lors du générique de fin sur le mode du « j’en veux encore ». Bien au-delà du cinéma et de ses règles imposées, HellDriver s’apparente à une performance. Sorte de modèle d’Art brut visuel il érige la partouze sanglante en rite cinématographique.
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Alors, quel avenir, désormais, pour ce typhon dévastateur ? Après de multiples variations et autres combinaisons d’idées toutes plus dingues les unes que les autres l’inspiration de Nishimura et Iguchi tarira-t-elle ? Euh…  Zombie Ass (Iguchi, 2011) et Dead Sushi (Iguchi, 2012) prouvent que ces trublions n’en ont pas fini d’exercer leur art surréaliste et provocateur poussé vers de tels extrêmes qu’il en deviendrait conceptuel. Réponse au volume 2.
Des making-of en pagaille, des interviews, de jolis bonus pour ce coffret qui comprend à la fois les dvds et les blu-ray. La qualité des transferts et de la compression varie du moyen (Machine Girl) au meilleur (RobotGeisha). Toujours est-il que c’est un véritable plaisir que de les voir tous regroupés ainsi.

Vous pouvez commander directement le coffret sur le site ElephantFilms

Photos : captures images des dvd-Blu-Ray © Elephant


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