Indépendamment de la qualité des films proposés, il faut toujours louer les initiatives des éditeurs de DVD qui nous proposent d’explorer des continents méconnus du cinéma. Parallèlement à la collection consacrée à l’âge d’or du cinéma érotique français, les éditions Bach ont l’excellente idée de poursuivre leur panorama de la « sexploitation » scandinave (Olivier Rossignot en avait d’ailleurs déjà parlé ici même .
Il convient de rappeler brièvement que les premières bouffées de chaleur au cinéma sont venues des pays du Nord. Des films que l’on peut aujourd’hui qualifier « d’auteur » comme Elle n’a dansé qu’un été (1951- Arne Mattson) ou Un été avec Monika (1953 – Ingmar Bergman) marquèrent les esprits à leur époque. Peu à peu, les cinéastes vont se montrer de plus en plus audacieux (citons pour mémoire le beau film de Vilgot Sjöman Je suis curieuse en 1967) et c’est le Danemark (dès 1969) puis la Suède qui seront les premiers pays à légaliser la pornographie sur grand écran.
Des trois films proposés, Inga, bonne à tout faire (alias Maid in Sweden) de Dan Wolman est sans doute le plus classique et le moins intéressant. Il s’agit en effet d’un traditionnel récit d’initiation où une jeune fille quitte sa campagne le temps d’un week-end pour aller habiter chez sa grande sœur qui mène une existence beaucoup plus émancipée en ville (elle vit déjà avec son amant). Le cinéaste confronte dans un premier temps un mode de vie très traditionnel et « coincé » (la jeune Inga se contente de chaste baisers avec son petit ami et ses sorties se limitent au cinéma) et des comportements urbains beaucoup plus libérés : sorties en boîte de nuit, amour libre… Signé par un cinéaste israélien dont c’est le deuxième long-métrage et qui se fera ensuite connaître des amateurs de « bis » pour avoir fait tourner Annie Belle dans Nana, le désir ; Inga bonne à tout faire applique un programme convenu sans réelle inspiration. La photographie, souvent sous-exposée, est plutôt laide et le propos est parfois assez désagréable, notamment lorsque la jeune Inga se fait traiter de « pute » quand elle succombe aux tentations de la grande ville alors que celui qui l’insulte et la malmène est celui qui l’a poussée à se dévergonder !
Néanmoins, il ne s’agit pas de faire la fine bouche car le film possède un atout de choix : la présence de la divine Christina Lindberg. Inga, bonne à tout faire, est l’un de ses premiers films et elle fait déjà preuve d’un sacré tempérament. Outre son irrésistible moue et sa figure angélique, elle est « dotée d’une des plus magnifiques poitrines de l’histoire du cinéma » comme le souligne très justement Jean-Pierre Bouyxou dans Une encyclopédie du nu au cinéma. Incarnant ici une ravissante oie blanche qui succombera aux plaisirs de la grande ville, elle est le piment indispensable qui donne un peu de charme à ce film sans inspiration.
Les deux autres œuvres de la collection se révèlent plus intéressantes et sont signés Mac Ahlberg, pionnier de l’érotisme à la suédoise. Nana, poupée d’amour (tout un programme!) se distingue déjà par sa superbe photographie signée Andréas Winding (le chef-opérateur, entre autres, de Tati sur Playtime et de Clouzot sur La prisonnière) et un soin général dans la direction artistique. L’érotisme n’est pas ici synonyme de bâclage et Ahlberg, qui se spécialisera dans les adaptations d’œuvres littéraires, fait preuve d’une véritable ambition en transposant à l’écran le roman d’Émile Zola Nana. La belle Anna Gaël incarne la courtisane de Zola mais elle s’épanouit ici dans les cocktails mondains et les milieux branchés de 1970. Le scénario reste relativement fidèle à l’écrivain, décrivant une femme calculatrice qui sait séduire les hommes riches pour en profiter et qui n’hésite pas à en conduire certains au suicide. Mais c’est aussi une jeune fille exploitée par un système injuste et qui utilise ses charmes pour en profiter. Cela ne l’empêche pas d’être totalement sincère lorsqu’elle tombe amoureuse d’un jeune comédien et qu’elle devient sa maîtresse.
Sans être inoubliable (Mac Ahlberg n’est pas Jean Renoir), cette version de Nana se suit sans déplaisir : le film est soigné, interprété correctement et l’érotisme reste élégant. Il convient néanmoins de souligner un détail assez étonnant. Dans l’ensemble, Nana, poupée d’amour est une œuvre très « soft », se limitant généralement à quelques poitrines féminines dénudées. Pourtant, le temps d’une scène d’amour entre Nana et l’homme qu’elle aime, le film se fait étonnamment audacieux, s’attardant sur le sexe de l’homme qui entre lentement en érection puis sur un accouplement qu’on jurerait non simulé. Cette présence d’une scène presque hard dans un film très sage est assez stupéfiante d’autant plus qu’elle s’intègre parfaitement au récit et qu’elle n’est jamais vulgaire. Preuve que la pornographie a tout à fait sa place sur les écrans à partir du moment où elle n’est pas envisagée comme une simple successions de mornes plans gynécologiques.
En 1968, Mac Ahlberg faisait sensation en adaptant Les mémoires de Fanny Hill de Thomas Cleland. En 1974, il reprend le même personnage et imagine de nouvelles aventures pour son héroïne. Fanny Hill est désormais mariée mais elle s’ennuie. Son mari, réalisateur de publicités, la délaisse et elle propose à une amie un marché : le séduire, se faire prendre en flagrant délit et imposer ainsi à l’homme volage un divorce qui lui permettra de voyager.
Le tour du monde de Fanny Hill est d’abord une comédie qui nous permettra de voyager de Stockholm à Venise en passant par Los Angeles et Hong-Kong. Les premières scènes où l’amie de Fanny tente par tous les moyens de séduire le mari relèvent même du plus classique des vaudevilles (tenues affriolantes, porte de douche prétendument coincée…). Tout cela n’est pas d’un très haut niveau mais l’ensemble reste plaisant pour peu qu’on goûte aux ficelles de la comédie légère et polissonne. Une fois de plus, Mac Ahlberg attache de l’importance à la direction artistique et l’ensemble est soigné. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si, parallèlement à sa carrière de réalisateur, Ahlberg sera également chef-opérateur (notamment pour Stuart Gordon – Re-animator, Dolls, From Beyond…- ou John Landis). Certains passages sont un peu longuets mais le cahiers des charges est plutôt bien tenu : du charme et de belles comédiennes largement dénudées (c’est Shirley Corrigan qui tient le rôle titre), des quiproquos, des gags un peu lourdingues à base d’amants en caleçon dans les placards et un soupçon d’exotisme. Si on soupire parfois devant ces passages prétendument comiques où le cinéaste se croit obligé de recourir à l’accéléré pour accentuer le côté farfelu du tableau, d’autres se révèlent plus étonnants. Et encore une fois, c’est une séquence semi-pornographique qui tranche avec l’ensemble d’un film « soft ». Il s’agit d’une orgie que le cinéaste filme sans le moindre dialogue, nous épargnant même les couinements de rigueur, remplacés ici par un bon vieux rock. Dans des lumières rouges qui transpercent l’obscurité, la caméra d’Ahlberg s’attarde sur des corps enlacés et d’autres qui se trémoussent au son de la musique. La séquence est totalement décomplexée puisqu’on peut apercevoir une fellation et une pénétration non simulées. Mais cette incursion de la pornographie se fait, encore une fois, sans vulgarité ni gros plans insistants. Du coup, cette cérémonie érotique parvient à exercer une véritable fascination et éloigne le film des sentiers battus de la comédie égrillarde.
Ces courts moments pornographiques présents dans Nana et Le tour du monde de Fanny Hill sont très représentatifs de l’érotisme scandinave et plus généralement, de celui des pays protestants. En effet, nous trouvons là un rapport aux corps beaucoup plus décomplexé que dans les pays traditionnellement catholiques (l’Italie, la France…). D’une certaine manière, ces trois films réédités en DVD s’inscrivent dans la lignée des films naturistes ou « d’éducation sexuelle » allemands. On s’y balade volontiers à poil et le sexe est perçu comme quelque chose de très naturel. Mais du coup, ce que ces films gagnent en audace, ils le perdent également en « érotisme » en ce sens que le rapport aux corps est « sain », presque « hygiénique ». Il manque ce mystère, cette transgression et ce fétichisme que l’on trouve dans les films venus de pays de culture catholique où la notion d’interdit et de péché reste primordiale. Du coup, en dépit de leur qualité, on peinera à trouver dans ces trois œuvres l’érotisme brûlant et flamboyant qui irradie certains films de Benazeraf, de Tinto Brass, de Pascale Festa Campanile, de Griffi, de Sampieri…
Cela ne doit cependant pas nous empêcher d’aller jeter un coup d’œil à ces trois films parfaitement représentatifs de cette vague d’érotisme venue du Nord, jalon important dans l’histoire de la représentation du sexe à l’écran.
Inga, bonne à tout faire (1971) de Dan Wolman avec Christina Lindberg
Nana, poupée d’amour (1970) de Mac Ahlberg avec Anna Gaël
Le tour du monde de Fanny Hill (1974) de Mac Ahlberg avec Shirley Corrigan
Collection Sexploitation. Bach Films.
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