Chez Coin de Mire en novembre : Jean Delannoy et Gilles Grangier

Si vous rêviez de voir Jean Marais poursuivre des méchants en ski nautique entre deux Fantômas, voici Train d’Enfer (1965), délicieux film d’espionnage à la française qui surfe sur la vague des James Bond de l’époque. C’est d’ailleurs pour l’acteur sa période agents presque secrets et détectives puisqu’il incarnait aussi un espion la même année dans Pleins feux sur Stanislas de Jean-Charles Dudrumet avant d’endosser l’habit de Simon – Le Saint – Templar pour Christian-Jaque un an après. Gilles Grangier dirige le film sans doute avec un rythme moins infernal que ne le laisse augurer son titre, mais Train d’enfer n’en reste pas moins un divertissement fort agréable, plongeant dans la nostalgie de l’époque révolue, avec son professeur nazi fou (le toujours savoureux Howard Vernon) ayant inventé un rayon de la mort, des méchants terroristes qui ne sont pas des arabes mais des européens décidés à tuer l’Émir Ali Salim ! OSS 117 n’en croirait sans doute pas ses yeux ! Et comme caution glamour, il y a la sensualité incarnée, la fabuleuse Marisa Mell dont la seule présence rend chaque film indispensable.

Poursuivons avec Gilles Grangier et son formidable Gas-Oil (1955) dans lequel Jean Gabin incarne un camionneur aux prises avec des bandits le soupçonnant d’avoir piqué le magot du type qu’il écrasa avec son camion par une nuit très sombre. Le film pourrait être un parfait tract pour illustrer l’adage « les routiers sont sympas » tant les personnages principaux comme secondaires suscitent la sympathie, se manifestant en particulier dans un élan de solidarité particulièrement énergique. Gas-Oil confirme combien Jean Gabin pouvait parler au public français, incarnant la bonhommie du peuple, un parlé direct, spontané, presque prosaïque et sans humour, qu’il s’agisse du parisien ou du provincial, ne s’embarrassant pas de questionnement superflu. Il tendait le miroir de ceux qui se lèvent tôt et bossent toute la journée et ne conçoivent pas d’autre communication que celle de la sincérité. En cela, le héros de Gas-Oil procure une empathie extrêmement forte. Il est assez drôle de constater que Gas-Oil remplit les cases du film noir américain mais en les transposant à 80 % en Auvergne et notamment sur les routes à lacet pas loin des volcans. Après ce malencontreux accident, le suspense s’accroît, à mesure que l’étau se resserre sur les criminels (avec Roger Hanin comme meneur) in fine plus pitoyables que véritablement intimidants, jusqu’à un final assez génial avec ses camions tendant un piège stratégique jubilatoire. Les seconds rôles ne sont pas en reste, qu’il s’agisse de Jeanne Moreau, toujours excellente, du jeune Marcel Bozzuffi qui, aussi étonnant que cela puisse paraître, est tout mimi, tandis que Ginette Leclerc est, elle, parfaitement machiavélique. N’oublions pas les superbes dialogues d’Audiard qui culminent avec cette formidable réplique « Vous avez écrasé un mort, monsieur ! ».

La même année, Jean Gabin, acteur définitivement concerné, incarne le juge Julien Lamy dans l’adaptation du roman de Gilbert Cesbron, Chiens Perdus Sans Collier (1955). Réalisé par Jean Delannoy, le film suit les pas d’un juge pour enfants tentant de dévier le destin tracé de jeunes délinquants sans horizon d’avenir. Par définition, le « juge pour enfants » exprime une forme de paradoxe, porté par la nécessité de punir et de protéger. On a souvent accusé Delannoy d’esthétiser la réalité, de la mettre en scène en s’éloignant d’une vision purement documentaire et frontale, c’est pourtant ce qui fait souvent la force métaphorique et la beauté du film. Même si c’est difficilement comparable, a-t-on reproché à J.C. Brisseau les trouées oniriques et poétiques de son tableau de la banlieue dans son joyau De Bruit et de fureur ? De fait, Jean Delannoy ne quitte jamais les préoccupations contemporaines, malgré quelques observations édulcorées. Avec son portrait social désenchanté, ses mômes perdus et cette quête d’une solution pour les sauver, Chiens perdus sans collier reste une oeuvre poignante, flirtant avec le mélodrame naïf, mais d’une sincérité absolue.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

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