Damiano Damiani – « Amityville II : le possédé » (« Amityville II : The Possession ») (1982)

Trois ans après le succès monstre du premier opus signé Stuart Rosenberg, la MGM s’attelle rapidement à la conception d’un nouvel Amityville, cette fois sous la houlette du célèbre producteur Dino De Laurentiis qui engage son compatriote Damiano Damiani, spécialiste du thriller politique transalpin (Confession d’un commissaire de police au procureur de la République), signant alors son premier film américain. Pour ce faire, le cinéaste s’entoure d’une équipe presque entièrement italienne (entre autres, Franco Di Giacomo, chef opérateur de 4 Mouches de velours gris de Dario Argento et de Qui l’a vue mourir ? d’Aldo Lado) et porte à l’écran le script de Tommy Lee Wallace, fidèle monteur de John Carpenter et réalisateur d’Halloween 3. Prequel plus que suite, évoquant le massacre des DeFeo par leur fils aîné (bien que ne correspondant en rien aux images du drame aperçues au début du premier film), le long-métrage, aujourd’hui réédité par Bach Films au sein d’un coffret trilogie riche en bonus, suit donc les mésaventures de la famille (ici rebaptisée Montelli), s’enfonçant peu à peu dans l’horreur suite à leur emménagement dans la sinistre maison du 112 Ocean Avenue…

Sorte de remake déguisé du film de Rosenberg, Amityville II : le possédé prend également le parti de se saisir de la tragédie originelle (et bien réelle) des DeFeo pour dresser le portrait d’une famille américaine en crise que l’apparition d’une force démoniaque va peu à peu plonger dans la folie. Si dans le premier opus, la maison maudite faisait ressurgir les démons profondément enfouis du père, ici le malaise, et les liens troubles entre les différents membres, sont présents dès les premières images. Burt Young, dans le rôle du patriarche Anthony, paraît froid et autoritaire envers ses deux plus jeunes enfants et la relation entre Sonny, l’aîné, et sa sœur Patricia démontre une tendresse pour le moins ambiguë (qui trouvera une représentation plus qu’explicite lors d’une scène très dérangeante plus tard dans le métrage). Au détour d’un plan, Damiani cadre la famille réunie et souriante dans un miroir se fêlant légèrement, symbolisant ironiquement le vernis de cette image d’Épinal sous le point de craquer. Contrairement aux Lutz dans le long-métrage original, les Montelli ne sont pas des WASP pur jus, mais des descendants d’immigrés italiens catholiques, en accord avec le reste de sa filmographie, cet aspect permet au cinéaste de dresser un portait peu reluisant de son pays d’origine. Anthony se révèle donc violent et machiste, sa fille, quant à elle (interprétée par une Diane Franklin aux faux airs de Jennifer Connelly période Phenomena), est sexualisée au point d’en faire un objet de désir pour tous les hommes alentour (y compris son propre frère). Lors d’une séquence tardive d’exorcisme, le démon apparaît au père Adamsky sous les traits de l’adolescente, se présentant comme son plus grand fantasme, prenant ainsi le contre-pied de L’Exorciste (auquel les dernières scènes adressent des clins d’œil aussi nombreux que peu subtils), dans lequel Pazuzu revêtait l’apparence de la mère défunte de Karras pour le troubler. Ici le lien familial, le respect du sacré ne sont rien face aux pulsions et aux fantasmes, en s’appropriant le film, le réalisateur en pervertit les codes, rendant tout plus trivial (allant même jusqu’à évoquer les problèmes sexuels des parents).

(Capture d’écran DVD Amityville 2 © Bach Films)

Dans l’interview de Julien Maury et Alexandre Burstillo présente en bonus, ces derniers évoquent cet ajout très « méditerranéen » au film, un rapport au sexe, à la famille et à la religion profondément éloigné du puritanisme protestant yankee, expliquant probablement le relatif échec du film au box-office. Damiani rend, par exemple, un simple jeu d’enfants étonnamment cruel (lorsque la jeune Jan « s’amuse » à étouffer son petit frère) ou s’amuse à vêtir une innocente poupée de chiffon en danseuse de saloon ultra sexy. De petits détails, parfois purement esthétiques (certains éclairages surréalistes et monochromes ne manquent pas de renvoyer à Mario Bava et Dario Argento) qui font sens lorsque les racines italiennes du clan et son catholicisme deviennent centraux. Ici, ce n’est pas le père qui sombre dans la démence, mais le fils, manipulé par l’entité démoniaque afin de tuer son géniteur. Dans la tradition chrétienne, le père renvoyant à Dieu, toute rébellion envers celui-ci serait donc une attaque contre le créateur, comme le prouve cette scène où un monstre terrifiant se dessine sur un mur de la chambre des plus jeunes enfants, les encourageant à « déshonorer ce porc ». Manifestation surnaturelle parricide qui entraîne le personnage interprété par Burt Young dans une rage incontrôlable, frappant sa femme et menaçant sa progéniture, les cris de ces derniers alertant tous les habitants de la maison. Filmée en plan-séquence virtuose, cette montée de fureur évoque le soin de l’auteur à faire durer les scènes brutales comme pour imposer au spectateur la violence sous son aspect le plus cru. Renvoyant à la tentative de viol sur Claudia Cardinale dans La Mafia fait la loi, elle souligne par la même occasion le questionnement sur l’influence de forces obscures opposée au libre arbitre de l’Homme évoqué plus tôt dans le film.

(Capture d’écran DVD Amityville 2 © Bach Films)

Dès le très long plan inaugural à l’ambiance brumeuse se rapprochant lentement de la maison jusqu’à sa façade au design menaçant, accompagné par la bande originale lancinante de Lalo Schifrin, Damiano Damiani tend à faire de la bâtisse un personnage à part entière. Pour ce faire, il filme (comme à son habitude) souvent les Montelli à travers des fenêtres, des miroirs où des encadrements de portes, les emprisonnant littéralement et rendant ainsi tangible le piège se refermant sur eux. L’architecture du lieu lui permet ainsi de jouer sur les profondeurs de champ, les zones d’obscurité et de lumière, faisant apparaître un membre de la famille derrière un mur, créant ainsi une sorte de labyrinthe visuel. Lors de la première apparition de Sonny, son visage se retrouve assombri par l’ombre de la façade, la menace prenant ainsi forme, le danger pouvant s’y cacher dans chaque recoin de pièce comme en témoignent ces nombreux travellings circulaires balayant l’environnement. Le réalisateur faisant montre de véritables audaces formelles, il n’hésite pas à retranscrire à l’écran le basculement dans la folie de l’adolescent lors d’un plan retournant littéralement l’image, donnant ainsi une sensation vertigineuse de perte des repères. Dès lors la suggestion dont faisait preuve le cinéaste, en limitant les interactions de l’entité à des plans subjectifs arpentant la maison (clin d’œil possible à Evil Dead sorti un an plus tôt), des objets déplacés et de mystérieuses voix provenant d’un walkman, fait place à un grand-guignol too much et discutable. Il cesse de faire exister la peur uniquement dans le regard des membres de la famille, de disséminer çà et là des éléments surnaturels (l’inévitable invasion de mouches, le sang s’écoulant d’un robinet) pour plonger tête la première dans des effets visuels plus ou moins datés. Ainsi, il va jusqu’à défigurer le jeune homme possédé à l’aide de prothèses évoquant le visage de la petite Regan dans le chef-d’œuvre matriciel de William Friedkin, là où George Lutz (interprété par James Brolin) n’affichait que des cernes et un visage amaigri dans le film de Rosenberg. Si certains parti pris font mouche, telle cette idée de faire du sous-sol de la maison une entrée vers un autre monde (là où seul un mystérieux puits était visible dans le premier opus), offrant quelques visions oniriques dignes de Lucio Fulci, rendant hommage à Orphée de Jean Cocteau, le tout affiche une rupture beaucoup trop radicale avec le reste du long-métrage pour convaincre. Pire encore, le scénario de Wallace cherche à trouver une justification à la malédiction en évoquant un cimetière Indien (coucou Poltergeist) et les événements de Salem, rompant avec l’ambiguïté quant à la véracité de la présence du surnaturel. Sans renouveler le genre, mais en y apportant certaines de ses thématiques, tout en perdant néanmoins pied dans un esprit « bisseux » tour à tour réjouissant ou grotesque, Damiano Damiani signe un film bancal mais non dénué d’intérêt, tout comme le sera l’année suivante, le troisième chapitre concocté par le vétéran Richard Fleischer.

(Capture d’écran DVD Amityville 2 © Bach Films)

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Amityville, la maison du Diable
Amityville 3-D

Disponible en coffret chez Bach Films.

 

 

 

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A propos de Jean-François DICKELI

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