Des avant-premières ont lieu le 17 juin dans la salle de cinéma virtuelle de La Vingt-Cinquième Heure. Pour plus de détails : https://sallevirtuelle.25eheure.com
Sortie en salle dès la réouverture des cinémas le 22 juin.
Malgré certains trompe-l’oeil – la circulation de la pornographie sur internet, par exemple -, nos sociétés sont extrêmement répressives concernant la sexualité, y compris celle des hommes. Elles le deviennent même parfois de plus en plus au fil des ans. La France en est un bel exemple – on peut se reporter, à ce propos et entre autres, à l’ouvrage de Francis Caballero : Le Droit du sexe (LGDJ, Paris, 2010).
Les raisons en sont religieuses, économiques, politiques. Les formes sont celles de l’interdit et de la peur aveuglante. Dans ces sociétés, patriarcales, la sexualité des femmes est particulièrement bridée. Ce qui, en un cercle vicieux, nuit à tout un chacun. Les femmes étant elles-mêmes prises dans les/des jeux de pouvoir visant à compenser les frustrations.
Un documentaire qui a fait date a mis en lumière la monumentale chape de plomb pesant sur une composante essentielle de la sexualité féminine : le clitoris. Il s’agit du film de Michèle Dominici, réalisé par Stephen Firmin et Variety Moszynski, intitulé : Le Clitoris, ce cher inconnu (2004). Il a été programmé sur la chaîne Arte. Le clitoris est l’organe essentiel du plaisir féminin, et, pourtant, les scientifiques s’y sont peu intéressés, et les femmes elles-mêmes le connaissent mal, parce qu’elles ne sont pas instruites sur sa fonction, sa forme et ses dimensions, et parce qu’il est physiologiquement caché – comme il en est, mutatis mutandis pour un iceberg, dont seule une petite partie est visible.
Ce film n’a pas fait beaucoup bouger les lignes, tant le tabou est grand et lourd.
C’est dire si Mon nom est clitoris, le documentaire réalisé par Daphné Leblond et Lisa Billuard Monet, est important et bienvenu. Il vient de sortir en VOD (1).
Les deux réalisatrices permettent à des femmes belges et françaises, dont l’âge varie entre vingt et vingt-cinq ans, de s’exprimer sur la spécificité de leur sexualité, sur leurs expériences en ce domaine. Si le discours est parfois centré sur le clitoris – qui devient un étendard -, il s’agit plus pour les personnes interviewées d’évoquer leur éveil intime, la façon dont elles ont ou n’ont pas été informées, les menstrues, le plaisir, les rapports avec les hommes, la gestion personnelle de leur libido.
Mon nom est clitoris est un film sur la vie sexuelle – les autrices citent comme référence, entre autres, Enquête sur la sexualité de Pier Paolo Pasolini (1964) -, un opus militant et féministe – les autrices considèrent appartenir à la troisième vague féministe et se reconnaissent dans le mouvement Metoo, même si elles rappellent que leur projet a été conçu en 2016, avant son émergence.
Plus que d’un documentaire il s’agit d’un film de témoignages qui documente sur ce que savent, ressentent, défendent les demoiselles sélectionnées. En émane une sincérité charriant douleur et joie, gravité et humour.
Quand Daphné Leblond et Lisa Billuard Monet sont interrogées sur la dimension pédagogique ou non pédagogique de leur œuvre, elles expliquent que leur démarche n’a pas été d’en apporter une, que leur jeune âge – 28 et 24 ans – les a mises sur un pied d’égalité avec les jeunes filles s’exprimant devant la caméra, qu’elles-mêmes ont appris à travers leurs rencontres avec celles-ci. Elles expliquent à ce propos : « Pendant les interviews, on ne le voit pas dans le film, mais on se livre aussi beaucoup, on n’arrête pas de parler de nos propres expériences. La parole nourrit la parole. C’était davantage une conversation qu’un bête question-réponse » (2).
Et ce, même si elles reconnaissent avoir été influencées de près par le travail de la gynécologue française Odile Buisson – qui a réalisé dans les années 2000, avec Pierre Foldes, une série d’échographies en 3D d’un coït.
C’est ce qui fait à la fois l’intérêt et la limite du travail effectué.
On comprend les obstacles rencontrés par les personnes interviewées, les découvertes, les choix qu’elles ont faits et font, les libertés qu’elles revendiquent – concernant leur.s partenaire.s, qu’ils soient féminins ou masculins, concernant le mode d’obtention du plaisir, à deux ou en solitaire…
On perçoit aussi leurs méconnaissances, parfois les idées reçues qu’elles perpétuent. Mais c’est au spectateur à s’en rendre éventuellement compte, car le film n’a pas de dimension intrinsèquement dialectique.
Pour prendre un ou deux exemples, et proposer quelques remarques personnelles…
* La question du point G. Il est nommé « zone G » dans Mon nom est clitoris, les réalisatrices et leurs interlocutrices reprenant ainsi le terme choisi par Odile Buisson. Il est bien précisé que cette zone est sensible, car une partie du clitoris y pointe. Une des co-réalisatrices affirme, dans un entretien filmé, que les scientifiques nient l’existence de cette zone. Cette affirmation telle qu’elle est formulée nous semble problématique, car c’est en fait l’affirmation de l’existence du point G (3) qui a traditionnellement masqué l’importance du clitoris dans le plaisir ressenti par la pénétration – avec le pénis ou autre chose – ou par le contact avec cette partie de la muqueuse.
* La question de l’orgasme clitoridien ou vaginal. Paradoxalement, certaines des jeunes femmes interrogées reproduisent un clivage ancien et erroné qui évacue en quelque sorte le rôle joué par le clitoris dans la pénétration vaginale – avec le pénis ou autre chose. En fait, ce dont il est question est la façon dont le « gland » du clitoris – la partie qui peut être mise à nu par retrait du capuchon et qui comporte beaucoup plus de terminaisons nerveuses que celui de l’homme – est sollicité. Généralement, la stimulation vaginale permet davantage ce qui est de l’ordre de la jouissance que l’orgasme à proprement parler.
* Une des intervenantes, qui explique être satisfaite à la suite d’un orgasme, affirme que la capacité multi-orgasmique des femmes est un fantasme masculin. Ce n’est pas juste. Les capacités jouissives et orgasmiques de la femme en tant qu’elles sont bien plus étendues que celles de l’homme sont connues depuis longtemps. Dans la mythologie, Tiresias, qui fut à la fois homme et femme, déclara à Zeus et Héra : « Si le plaisir de la chair était divisé en dix parts, la femme en prendrait neuf et l’homme n’en prendrait qu’une ». Cette affirmation n’est pas scientifique et elle est discutée de façon parfois conflictuelle. Mais certaines femmes y sentent bien un constat positif (cf. par exemple Chantal Proulx, Petit traité de la vie sexuelle contemporaine – Revanche d’Aphrodite et hypersexualisation, Éditions du Cram , Montréal, 2013).
Dans Le Clitoris, ce cher inconnu – que ne citent pas Daphné Leblond et Lisa Billuard Monet comme une de leurs références de travail – la journaliste scientifique canadienne Natalie Angier affirme que l’absence de relâchement des muscles du clitoris après un orgasme explique que les femmes peuvent en avoir plusieurs. À titre personnel, elle compare le pénis à un « fusil » et le clitoris à une « mitrailleuse » qui « peut tirer en rafale pendant un bon moment » (4).
Au-delà de ces quelques remarques et questionnements, saluons donc le geste que constitue la réalisation et la diffusion de Mon nom est clitoris.
Daphné Leblond et Lisa Billuard Monet ont le projet de réaliser un film-miroir sur la sexualité – les parcours et expériences en matière de sexualité – de jeunes garçons, et/ou aussi un documentaire dans lequel des femmes d’âge mûr s’exprimeraient sur leurs propres parcours et expériences.
—
Notes :
1) Christophe Seguin a rendu compte de Mon nom est clitoris pour Culturopoing, le 20 novembre 2019, dans l’un des textes qu’il a consacrés au Festival Chéries Chéris 2019. https://www.culturopoing.com/cinema/evenements-cinema/cheries-cheris-2019/20191120
2) Murielle Chevaillaz, « Mon nom est clitoris : le film (à voir !) qui brise le tabou et libère la parole », Femina.ch, 30 octobre 2019.
https://www.femina.ch/temps-libre/culture/mon-nom-est-clitoris-le-film-qui-brise-le-tabou-et-libere-la-parole
3) La lettre G vient de l’initiale du nom du gynécologue allemand Ernst Gräfenberg qui s’est intéressé de près à la zone érogène ici évoquée. Le refus de l’utilisation de ce terme par certains.e.s vient de ce que Gräfenberg n’a pas eu l’idée que cette partie de la paroi vaginale était sensible du fait de la présence des racines du clitoris. Ce sur quoi se focalisait d’ailleurs le médecin était l’urètre.
4) Cf. vers 3mn15, dans Extrait de Le Clitoris, ce cher inconnu, YouTube. https://youtu.be/vltGF9HNaAo
—
Interview :
Sophie Yavari a réalisé a réalisé un entretien avec les co-réalisatrices, pour Culturopoing. On peut la lire ICI
—
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).