A sa sortie, Trauma fut victime d’un lynchage, comme peut-être aucune œuvre de Dario Argento n’en connue dans sa carrière. En ce début des années 90, il n’est plus l’icône transalpine du cinéma d’horreur, Suspiria et Profondo rosso étant déjà loin derrières. Il passe du côté obscur des has been, dans les limbes des ringards avec quelques-uns de ses petits camarades oubliés depuis longtemps bien avant le regain pour le bis italien dans les années 2000. Le film eu droit à une sortie technique l’été 94 dans quelques salles en France mais la violence -injuste – de la critique alliée au rejet des fans, ne permit pas au film d’attirer le public même par curiosité. Les raisons sont nombreuses mais une première hypothèse se dessine dans les génériques de début et de fin, moments-clés pour mieux comprendre le projet du cinéaste, bien plus personnel que prévu. Pourquoi débuter par un mouvement de caméra sur une scène de décapitation avec des figurines représentant la révolution française ? La réponse la plus évidente tient au scénario d’origine où le tueur était obsédé par cette période de l’histoire.
Mais pourquoi préserver cette introduction incongrue après un remaniement de l’histoire, débarrassant l’assassin de son obsession ? L’inconscient dirige Dario Argento, ce n’est pas nouveau, fuyant la logique comme la peste. On peut supposer qu’i y a là une manière de rappeler l’origine européenne du film sous son vernis purement américain ou d’évoquer l’origine du mal : la décapitation vient du vieux continent européen, moyen utilisé par l’assassin pour éliminer les victimes. De même que la toute fin n’est pas dénuée de sens. Le générique défile pendant que la caméra déserte les protagonistes et avance vers un groupe qui joue du reggae. Une fille longiligne avec de longs cheveux danse. Elle est filmée comme Jennifer Connelly dans Phenomena lorsqu’elle invoque les insectes. Cette silhouette étrange n’est pas n’importe qui. Il s’agit de la belle fille du cinéaste, atteinte d’anorexie, sujet central de Trauma qui prend alors une résonnance très forte, première piste pour saisir la dimension intime du métrage.
Réalisé après Deux yeux maléfiques, collaboration semi-convaincante avec George Romero, Trauma marque la volonté d’exil du cinéaste qui tente de se renouveler tout en réutilisant les mêmes motifs et obsessions, n’hésitant pas à s’autociter. D’un strict point de vue narratif, le film peut se lire comme un remake, ou une variation, de Profondo rosso, réinvestissant une structure quasi identique.
David, L’apprenti enquêteur n’est pas musicien mais Dessinateur. Certes il n’a pas le charisme du jazzman interprété par David Hemmings mais il représente le héros argentien dans toute sa fadeur volontaire, du journaliste du Chat à neuf queues à Mark dans Inferno en passant par Giacomo dans Le Sang des innocents. Il est l’alter ego du spectateur, convié à investir une enquête construite sous la forme d’un wodunit. David rencontre Aura, une jeune roumaine anorexique de 16 ans après son évasion d’un hôpital psychiatrique. Elle est ramenée chez ses parents. La mère, incarnée par Piper Laurie fait évidemment écho à son personnage dans Carrie de De Palma, influence (trop ?) évidente, mais elle est aussi proche de la mère de Carlo dans Profondo Rosso, l’ex actrice qui en voulant protéger son enfant ne peut que lui faire du mal. Les retrouvailles entre Aura et ses parents tournent au cauchemar. Lors d’une séance de spiritisme truquée, ses parents sont assassinés par un mystérieux tueur qui décapite ses victimes avec une sorte de guillotine électrique. Mais, Aura, comme Marcus, a vu ou cru voir une image qui la hante. Il n’est pas question d’image manquante comme chez Brian De Palma, mais d’une image qui détourne notre regard de la vérité, une image en trompe l’œil. Cinéaste de la modernité, habité par Michelango Antonioni, Dario Argento souffle le chaud et le froid en artiste à la fois réflexif et instinctif, prenant un malin plaisir à dialoguer avec les spectateurs, à les inviter à jouer avec les interprétation possibles qu’un plan, une scène originelle peut proposer. Mais comment se renouveler dans ses conditions ? Surtout quand l’autocitation frise parfois la pastiche. La réponse, un peu naïve, du réalisateur se trouve dans la forme qui prend le risque de l’expatriation. Trauma est une coproduction italo-américaine, co-écrite par l’écrivain de T.E.D Klein, dont l’action se déroule à Minneapolis, mégalopole moderne, très éloignée des racines italiennes du cinéaste. Dario Argento ne parvient pas à faire exister son décor, il échoue à capter l’atmosphère que peu dégager la topographie citadine d’un pays qui lui est étranger. Le cinéma de Dario Argento est contaminé par l’histoire de l’Italie, la mémoire à la fois culturelle, sociale et politique. Là, le cinéaste est impuissant, filmant des longues avenues modernes comme dans n’importe quelle série télévisée. En contre point, la demeure imposante où vit Aura, est un simulacre de la vieille Europe qui contient ses secrets, ses mythes et légendes mais où tout est factice, tout n’est que duplicité. Le film est un adieu temporaire au vieux continent, et à l’Italie.
Autre scorie : la musique. Pino Donnagio lui a été imposé. Visiblement, il ne sait pas quoi faire de cette partition traditionnelle, sous l’influence de Bernard Herrmann. Elle n’est pas mauvaise, loin de là, mais elle est utilisée à contretemps, en dépit du bon sens. Des notes presque guillerettes s’immiscent dans une séquence dramatique, les meurtres sont accompagnés d’envolées lyriques qui plombent le rythme. Jouer sur le décalage oui, mais encore faut-il le penser, le prévoir. Ces faiblesses évidentes, qui sautent aux yeux et aux oreilles, vampirisent le film et empêchent à sa première vision, d’en déceler toutes les beautés, toutes les qualités qui sont à la fois narratives et esthétiques. Car derrière la mécanique d’un scénario plus subtil qu’il n’y parait, Dario Argento dresse un portrait magnifique d’une jeune anorexique d’origine roumaine, perdue dans un environnement qui n’est pas le sien. Aura, petite cousine de Jennifer et de Suzie Banner, traverse le film en portant toute sa mélancolie interne, une tristesse qui infuse l’atmosphère étrange d’un faux giallo, variation urbaine d’Alice au pays des merveille, où les têtes coupées parlent et les animaux sont connectés avec le tueur. Le film, sous ses airs de cauchemar éveillé, parvient à toucher le cœur, intégrant la naissance d’un amour entre Aura et David, flirtant avec un romantisme pour le moins surprenant. Il perd en efficacité ce qu’il gagne en douceur. La sobriété de la forme a beaucoup été mise en cause à sa sortie. Pourtant, il suffit de l’appréhender avec les bons yeux ou le bon angle d’approche pour s’apercevoir qu’elle est d’une cohérence absolue avec le sujet. La mise en scène convoque un style proche d’un certain cinéma américain des années 80/90 influencée par le style publicitaire d’Adrian Lyne à Tony Scott, avec ses lumières en clair-obscur ou contre-jour, ses légers filtres orange, ses gros plans en scope, ses cadrages sophistiqués où la fumée remplie l’espace, floutant légèrement le grain de l’image. Il en émane une esthétique envoutante et vaporeuse en osmose avec la personnalité de la jeune héroïne. La fluidité des mouvements de caméra en steadycam participe à ce sentiment de flotter dans un film-rêve, greffe réussie entre l’onirisme du conte de fée et la noirceur du thriller classique, proche de la tragédie, qui s’appuie sur un faux rythme, une des raisons de l’échec à sa sortie.
Délesté de morceaux de bravoure spectaculaires, marque de fabrique du cinéaste, Trauma transcende tous ses défauts par sa sensibilité à fleur de peau, son amour pour ses adolescentes perdues dans un monde contaminé par les forces maléfiques. Asia Argento, pour son premier grand rôle, s’y révèle comme une actrice habitée, hantée par le regard parfois ambigu mais toujours bienveillant de son père.
L’édition concoctée par Extralucid films est en tout point exemplaire, fourmillant de bonus plus passionnants les uns que les autres. Déjà, il est utile de mentionner l’exceptionnelle qualité de la copie restituant à merveille les couleurs d’origine, permettant ainsi d’apprécier pleinement la beauté de la photographie de Rafaele Mertes (The Sect) renvoyant aux oubliettes les critiques qui évoquaient des images ternes Au rayon bonus, sur le blu-ray accompagnant le film, une interview inédite de Dario Argento est incluse ainsi qu’une analyse passionnante de Jean-Baptiste Thoret, qui tout en n’éludant pas les défauts de Trauma, propose une réflexion intelligente et très argumentée, donnant furieusement envie de se replonger dans le film. Sur une deuxième galette blu-ray, vous pourrez découvrir un portrait de Tom Savini par l’un de ses plus fervents admirateurs, David Scherer, bien connu pour ses maquillages et effets spéciaux sur de nombreux longs métrages français. Un entretien intéressant de Asia Argento par Yves Montmayeur révèle quelques anecdotes de tournage. Asia Argento livre aussi quelques pistes éclairées du cinéma de son père, notamment en ce qui concerne les caractéristiques des personnages masculins. Un making-off et une visite des décors complètent le programme. Cerise sur le gâteau, un dialogue entre Dario Argento et Jean-François Rauger à la cinémathèque française de près de 70 mn, vous est généreusement offert, une aubaine pour tous ceux qui auraient ratés la présence du cinéaste lors de la rétrospective. Une édition parfaite que l’on pourrait qualifier de définitive, présentée dans un beau packaging avec un livret de 48 pages.
(ITA/USA-1993) de Dario Argento avec Asia Argento, Christopher Rydell, Piper Laurie, Frederic Forrest, James Russo, Brad Dourif
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