Après un premier volet catastrophique et à côté de la plaque, véritable insulte au film d’origine, nous n’étions guère confiants de retrouver David Gordon Green aux commandes de ce deuxième opus. Le réalisateur qui se vantait d’oublier toutes les suites médiocres en reprenant les aventures de Laurie à la fin d’Halloween II, ne faisait à l’arrivée pas mieux que Dominique Othenin Girard dans Halloween 5, la modestie en moins, la théorisation lourdingue en plus. Nous abordions donc Halloween kills en trainant quelque peu les pieds, en espérant au moins une partie de rigolade involontaire qui nourrirait pendant 1h45 notre appétit pervers d’effets gore. Or, Halloween kills se révèle à l’arrivée une belle surprise qui déjoue habilement nos craintes, réussissant à peu près partout là où son prédécesseur échouait copieusement. La séquence d’ouverture assez mal agencée dans son exposition maladroite, rappel des faits entre passé et présent, n’avait pourtant rien pour nous convaincre, mais après ce prélude Gordon Green plante un décor sombre, étouffant et sauvage qui ne quittera jamais Halloween kills.
Halloween kills se déroule en une nuit, à l’heure des festivités annuelles, où les adultes déguisés se retrouvent dans des bars lorsqu’ils ne restent pas tranquillement chez eux, tandis que les mômes poursuivent leur « trick or treat » avec plus d’insolence qu’en 1978. Il est clair que ce qui intéresse Green, c’est d’étudier les temps qui changent et le mal immuable. L’idée de revenir sur les survivants de l’original pourrait paraître opportuniste, elle se révèle en réalité très belle. Les enfants de l’Halloween 1978 vivent toujours avec ce trauma du massacre, comme un souvenir et une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Car plus que jamais, Halloween kills exploite le concept initié par Carpenter d’un mal métaphorique et métaphysique, d’une entité représentative d’une Amérique contaminée, à l’état de chaos dont Michael Myers se fait le catalyseur et le reflet. A l’offensive carpenterienne contre la démission parentale, l’égoïsme généralisé, et le cloisonnement des surbubs, Green répond par une autre charge politique, celle de la tentation du lynchage, de l’autodéfense, d’une foule qu’il ne faut pas pousser très loin pour qu’elle sombre dans le chaos. Qu’il s’agisse d’un noir ou d’un assassin, c’est la même Amérique. Michael Myers devient alors en quelque sorte le révélateur de leur faille, d’une humanité perdue, d’un mal comme l’écho d’un autre, un monstre qui leur tend le miroir de leur monstruosité.
Le va-et-vient entre les œuvres, entre le tribut à Carpenter, les citations et la réappropriation du mythe est particulièrement pertinente ici, comme dans cette magnifique séquence (absurde, décapante, d’un humour noir fou) ou Marion Chambers l’ex-infirmière de l’Halloween de Carpenter se retrouve dans la même position que dans ce premier volet, lorsque Myers s’enfuyait de l’asile. Enfermée dans une voiture – cette fois avec d’autres protagonistes – elle est agressée de manière semblable, mais tirant au pistolet dans toutes les vitres, semblant à la fois déterminée à rejouer sa scène et à offrir au boogeyman une deuxième chance pour la tuer.
Implacable et sans issue, impitoyable avec ses héros, Halloween kills convoque tout autant l’inspiration eschatologique du Jour du Fléau que celle d’Halloween 1978. Il égratigne au passage quelques figures mythiques de l’original : le frêle Tommy (Anthony Michael Hall) (1) est devenu un américain moyen appelant à l’annihilation du mal à coup de fusil ou de batte de baseball, en haranguant la population, quitte à se tromper de cible, tandis que le Sheriff Brackett (le fidèle Charles Cyphers encore et toujours) ressemble à un vieillard sénile hurlant la même rengaine d’appel à la curée.
Si Halloween 2018 était on ne peut plus ambigu vis-à-vis de l’auto-défense avec une Laurie métamorphosée en Charlton Heston armée jusqu’aux dents et piégeant sa maison, Halloween kills frappe fort en évoquant comment à partir d’un trauma dont on ne se débarrasse jamais, et d’une peur croissante, la bêtise populaire trouve matière à s’implanter. « Le mal meurt ce soir » lance Tommy. Ce refrain-fantasme digne d’un sermon de prédicateur, chauffant, encourageant l’auditoire finit par sonner de manière peut être plus terrifiante encore que les crimes du croquemitaine, renvoyant de manière très déstabilisante à d’autres mythologies fantastiques, comme le spectacle de la foule assassine cherchant à anéantir le monstre de Frankenstein. Parce que le leitmotiv d’Halloween kills, parfois trop appuyé il est vrai, reste cette conception d’un Mal infini et immortel dont Michael Myers n’est pas juste l’acteur et le représentant, mais la synecdoque.
Halloween 2018 accumulait les meurtres de manière complaisante, et offrait une composition des personnages – suivant la grande tradition du slasher lambda – en purs objets fonctionnels taillés à la hache avant de se la prendre en pleine tête, quand il ne s’agissait pas d’être punis pour leur bêtise ou leurs péchés. Ici, l’écriture de Green se démarque très intelligemment des archétypes. Les victimes ne se contentent pas d’être des proies à déchiqueter, mais des âmes attachantes et crédibles rendant leur mort plus cruelle encore. Cela faisait longtemps qu’une œuvre ne nous avait pas livré à une telle épouvante, dépassant l’effet gore instantané pour s’intéresser à l’horreur de l’agonie. L’approche des mises à mort illustre plus que jamais la célèbre citation d’Hitchcock tirée du Rideau déchiré : « Tuer quelqu’un est très dur, très douloureux, et très… très long. ». Il restitue parfois cette essence tragique et cathartique telle qu’on pouvait la trouver dans le premier meurtre de Suspiria de Dario Argento (parfaitement restituée par la relecture de Luca Guadagnino lors de la longue mise à mort de sa danseuse désarticulée) qui donne le temps aux victimes de regarder leur propre mort, de ressentir leurs blessures et au spectateur celui d’espérer que leur délivrance arrive vite.
David Gordon Green s’inscrit ouvertement – et c’est aussi ses limites – dans le prolongement et la continuité, au point dans son prologue de 1978 d’ajouter des personnages, d’entremêler les plans du Carpenter aux siens, comme s’il avait intégré des séquences perdues depuis 45 ans ; étrange mashup qui va jusqu’à numériser Donald Pleasence lors de quelques plans instables. Entre héritage et innovation, Halloween kills regorge de belles idées de mise en scène réutilisant enfin les possibilités du cinémascope à filmer les lieux de la frayeur et de l’attente et les espaces déserts, aménageant même d’étranges visions poétiques, comme celle de ces gamins rebelles jouant dans la nuit sur une balançoire. Tout en s’en démarquant dans son esthétique et ses choix de représentation Halloween kills renoue avec brio avec l’essence métaphysique du mal carpenterien, celui dont on cherche en vain à se débarrasser, confrontations dérisoires, de The Thing jusqu’à Ghosts of Mars en passant bien entendu par le sublime Prince of darkness. Le voilà qui passe de corps en corps au pluriel et se répand telle une épidémie propre à redéfinir l’humanité. David Gordon Green fait sombrer Halloween klls et son hystérie collective sans frein dans l’antre de la folie. Non, le mal ne mourra pas ce soir. Il règne donc un climat de ténèbres et de fin du monde dont l’emprise nocturne accroît le ton infernal, comme si le jour n’allait plus jamais se lever sur le monde.
Suppléments :
– Film en version longue avec fin alternative (109 mn) et version cinéma (105 mn)
– Commentaire audio de David Gordon Green, Jamie Lee Curtis et Judy Greer
– Bêtisier
– Scènes coupées et rallongées
– Les blessures ouvertes d’Haddonfield
– L’équipe de choc
– Les valeurs de la famille Strode
– Les transformations de 1978
– Le pouvoir de la peur
– Des morts à gogo
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(1) Est-ce fortuit que le réalisateur ait choisi Anthony Michael Hall où est-ce un clin d’œil méta enfonçant le clou avec un brin de cynisme sur l’acharnement du temps à ne rien respecter ? Toujours est-il que le mignon acteur des comédies de John Hugues, The Breakfast Club, Une Créature de rêve et Seize bougies pour Sam est devenu un adulte empâté à qui David Gordon Green donne une allure délibérément beauf.
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