Sous-genre à part entière, le film de sous-marin est un motif qui parcourt toute l’histoire du septième art depuis la deuxième moitié du XXème siècle. Souvent en recherche de réalisme (Das Boot), il est aussi générateur de suspens claustrophobiques (À la poursuite d’octobre rouge, USS Alabama) quand il ne se mêle pas à d’autres genres (comme le fantastique dans le sous-estimé Abîmes de David Twohy). C’est justement une relecture de ce type que le producteur Walter Mirisch, collaborateur des plus grands films de Blake Edwards et Billy Wilder, mais également des Sept mercenaires, Dans la chaleur de la nuit ou Scorpio, va entreprendre à la fin des années 70. Hollywood connaît alors une vague de disaster movies, véritable retour à un cinéma de studio glorifiant les valeurs archaïques, et porté par des castings de superstars (en témoignent La Tour infernale ou L’Aventure du Poséidon). Mirisch va donc se mettre en tête de fusionner les deux genres et s’appuie pour cela sur un scénario de James Whitaker (le nanar Megaforce) et Howard Sackler (Fear and Desire, Le Baiser du tueur, Saint Jack), adapté d’un roman de David Lavallee. Il réunit une distribution de vedettes, Charlton Heston en tête, mais aussi Stacy Keach (révélé par Fat City et Les Flics ne dorment pas la nuit), David Carradine ou encore Christopher Reeve, le futur Superman, dans son premier rôle. Gray Lady Down trouve son réalisateur en la personne de David Greene, cinéaste britannique exilé aux Etats-Unis, qui tourne assez peu pour le grand écran (son dernier long-métrage, Hard Country, date de 1981) mais oeuvre pour la télévision à de nombreuses reprises (Racines, Le Saint, Le Prince et le pauvre). Le film, aujourd’hui édité en Blu-Ray dans une nouvelle copie HD par Indicator / Powerhouse, suit la tragédie du Capitaine Paul Blanchard (Heston) et de l’équipage du sous-marin atomique le Neptune, enfermés dans le submersible à 400 mètres de profondeur, suite à une collision. Le gouvernement met tout en place pour les tirer de ce mauvais pas et envoie sur place, le Capitaine Bennett (Keach), chargé de trouver une solution avant que les hommes ne manquent d’air…
Fidèle aux figures imposées du genre, Gray Lady Down (d’après un code d’alerte utilisé dans la marine) se pose en suspense efficace, à défaut d’être original. Entre réunions d’urgence de bureaucrates, sacrifices inévitables, éléments naturels menaçant (une faille océanique instable, l’oxygène qui se raréfie) et annonce aux proches des victimes, le film enfile les péripéties attendues mais emballées efficacement. La mise en scène de Greene, misant sur des plans rapprochés afin d’accentuer la claustrophobie, s’avère même élégante, à l’instar de ces longs mouvements d’appareil qui dévoilent les différents niveaux du sous-marin. La subtilité du récit tient à ce que les protagonistes ne soient pas de simples civils confrontés à une menace qu’ils ne connaissent pas, ici, ce sont des professionnels, des soldats aguerris et entraînés, dont la vie bascule suite à un coup de malchance. Leur environnement, les couloirs étroits qu’ils ont arpentés pendant des mois, se changent littéralement en danger mortel. Pour cela, le cinéaste et son chef op Stevan Larner (également à la photo sur La Balade sauvage aux côtés de Tak Fujimoto et Brian Probyn), multiplient les plans décadrés et usent d’une caméra tremblante afin de distiller une sensation de malaise. Un simple détail, tel ce mince filet d’eau qui coule d’une porte sur le point de céder sous la pression, devient une source d’angoisse et une obsession pour les marins, en témoignent la récurrence de cette image qui sonne pour eux comme un compte à rebours funeste. Une fine parois de métal les maintient en vie et les sépare de l’immensité de l’océan. Leur sort se retrouve alors entre les mains de deux hommes – Bennet et Gates (Carradine, stratifié par la série Kung Fu et qui vient juste de tourner pour Bergman dans L’œuf du serpent) – valeureux militaires au service de leurs camarades, dévoilant l’une des limites du long-métrage.
Un carton de remerciement introduit le film, il est dédié au ministère de la défense dont l’aide et la collaboration ont permis au projet d’être mené à bien. Si le droit de regard de l’armée n’est pas une nouveauté dans ce type de long-métrage (souvent au travers de consultants), ici il amène, de fait, une certaine vision enjolivée de l’institution. Les tensions qui s’instaurent entre Paul et son second, David (Ronny Cox, qui retrouve pour l’occasion Ned Beatty, six ans après Délivrance), ce dernier lui reprochant de se mettre trop en avant, sont réglées durant une scène de bravoure attendue. Pire encore, le personnage campé par Charlton Heston est présenté comme un capitaine loyal, altruiste et sans aspérités, lors d’un plan-séquence qui le voit déambuler au milieu de ses hommes fidèles et admiratifs dans une ambiance de fraternité caricaturale. Cette volonté de ne surtout pas froisser l’uniforme, malgré quelques batailles d’ego, nuit à un récit où les relations humaines devraient, au contraire, se retrouver perverties par le danger et l’inévitable issue qui se dessine. Gates, inventeur d’un prototype de submersible, le Snark, symbolise quant à lui le génie militaire, le courage et l’inventivité, transformant le tout en véritable spot de propagande pour la Navy et ses avancées technologique (le générique final indique d’ailleurs que l’une des machines aperçues, le DSVR, est depuis devenue opérationnelle). Ces défauts, inhérents au genre reconnaissons-le, se doublent de quelques scories plus problématiques, à l’instar de ces maquettes extrêmement visibles et de scènes de destruction peu spectaculaires, tranchant avec l’efficacité des productions Irwin Allen de cette période. Néanmoins, Sauvez le Neptune (de son titre français) peut compter sur une qualité non négligeable qui devient le véritable centre d’intérêt du réalisateur : la star Charlton Heston.
L’acteur, habitué aux films catastrophe (747 en péril, Tremblement de terre) est alors en perte de vitesse après plus de deux décennies au sommet. David Green a l’intelligence de tordre son image virile de sauveur du monde (voire de dernier homme sur terre, tout un symbole, dans Le Survivant) et fait du Capitaine Blanchard, un personnage inactif, impuissant, totalement dépendant de la surface et de deux autres soldats. Les trois têtes d’affiches se retrouvent d’ailleurs en contact durant une seule séquence où la radio devient le seul lien ténu qui les unit tous. Au détour d’un plan, le cinéaste parvient à fendre la carapace du héros de La Planète des singes, le montrant s’effondrer et se résigner, isolé dans sa cabine au moment le plus tragique. Une manière de détourner une icône du septième art, qui apporte à Gray Lady Down un supplément d’âme bienvenu et inattendu. C’est lors de ces instants intimes que le film fait la différence, tels cette image d’un océan calme qui ouvre et conclut le récit, ou encore lorsque tout l’équipage réuni et silencieux, guette l’avancée des recherches. Le long-métrage développe, dans ses meilleurs moments, un cinéma de l’attente, étonnant dans ce type de production. Une angoisse palpable qui tranche radicalement avec certains instants de vie des marins (comme lorsqu’ils regardent Les Dents de la mer sans le son, tout en le redoublant eux-mêmes) ou quelques dialogues amusants, telle cette prière rendue à « Dieu et à General Dynamics » pour la résistance du sous-marin, encore en rodage. Sauvez le Neptune, s’il ne révolutionne en rien les deux genres qu’il fusionne, s’avère être un divertissement assez bien troussé pour tenir en haleine, et qui développe en filigrane, une relecture de la légende que constitue sa vedette principale.
Suppléments :
Comme toujours, les Britanniques de Powerhouse proposent une édition HD parfaite et limitée à 3000 exemplaires. Cette dernière offre en outre de nombreux bonus parmi lesquels des interviews de Stacy Keach et Alan K. Rode (historien et ancien officier de la Navy), un entretien audio avec Charlton Heston datant de 1985 et un livret de 32 pages signé Omar Ahmed.
Disponible en Blu-Ray chez Powerhouse.
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