Ô joie ! Sorti à une date tout sauf idéale : le 8/08, au pic de l’été, la version DVD de Under the silver Lake sera disponible le 12/12. L’occasion pour nous de revenir sur ce film qui nous a tant réjoui, passé à la trappe sur nos pages, pour des raisons de calendrier. Déjà, ces 2 chiffres répétés, 8/8 (doublement l’infini) et le 12/12 semblent de bons codes d’accès à un film qui questionne de façon malicieuse et vertigineuse codes, sens cachés, complots, messages invisibles qui vont jalonner la route de notre (anti)héros, Sam.
L’emploi du temps de Sam, 33 ans, se partage entre rasades de bière et spliffs, en matant ses voisines dénudées avec des jumelles. Il repère ainsi une jolie blonde qui se baigne dans la piscine de son immeuble. Ils ont un début de flirt, puis elle disparaît. Il va partir à se recherche, se perdant en route dans les dédales d’un Los Angeles à la fois super codé, porteur de mystères incroyables et totalement désenchanté. Comme le confie à Sam l’auteur local de nouvelles fantastiques, intitulées Under the Silver Lake : « Notre monde est plein de codes, de pactes, d’accords tacites, de messages subliminaux.
Selon David Robert Mitchell :
Under The Silver Lake traite de la pop culture, qui est désormais la seule culture dans laquelle nous baignons tous, et du sens caché de chaque objet qui la compose. Certaines choses se passent à notre insu, sous la surface de l’eau. Le film raconte l’histoire d’un jeune homme insatisfait qui retient son souffle pour aller nager dans ces eaux sombres.
Immersion totale pour le spectateur (en l’occurrence, l’auteure de ces lignes) qui s’enfonce derrière lui comme Alice dans le terrier du lapin. Du reste, UTSL a un côté Alice au pays des merveilles acidifié : Sam se retrouvera non chez le chapelier fou en ayant croqué le biscuit « mange-moi », mais dans une soirée décadente de L.A dont les icônes sont un groupe rock Jesus and his Brides of Dracula. Un biscuit siglé du numéro 16 est le mot de passe pour accéder à leur concert privé. Sam l’avale intégralement devant le vigile qui lui intime d’en manger un bout afin d‘assister au concert. Il se réveille, comateux, devant la tombe de Janet Gaynor, actrice de bluettes des années 40, oubliée de nombreux, sauf de la mère de Sam qui lui rabat les oreilles avec. Tout le parcours de Sam est une sorte d’apprentissage à l’envers, un parcours semé de signes, à l’aune de la phrase talmudique : « Si tu t’égares, ne demande surtout pas ton chemin, tu risquerais de ne pas te perdre ». Se perdre au côté de ce loser attachant, errant dans un monde à la fois vide de sens et riche de complots (potentiels) est un pur trip, faisant appel à notre goût du jeu et à un sens du lâcher prise. De par sa narration psychédélique, ses brouillages de frontière réalité/hallucinations, sa prolifération de signes et la consommation récurrente de cannabis de Sam, UTSL est un vrai « stoner movie » (film dont les héros sont friands de THC, voire plus si affinités). Le spectateur est gagné par les fantasmagories de Sam, un peu comme s’il inhalait la fumée de ses joints, fidèles compagnons ou croquait, lui aussi, le biscuit. La liste d’indices est mille fois trop longue et généreuse pour être fournie intégralement. En voici un medley : code secret des « hobos » (appellation de Jack Kerouac pour les vagabonds), voisine blonde dans une piscine imitant Marilyn dans son dernier film inachevé -l’actrice, Riley Keough, s’avère être la petite fille d’Elvis Presley, cartes au trésor planquées dans une boîte collector de céréales, etc… Cette prolifération de signes amène Sam dans des dédales contradictoires où la perte de sens le dispute à la surinterprétation. Ainsi, cette fille à cette soirée branchée qui trouve son style « sublime », alors qu’il est en pyjama, affublé d’un tee-shirt blanc avec une tâche de sang. Difficile de décider du niveau de réalité de cette scène : délire enfumé ou bien vacuité d’une certaine scène arty à L.A ? Acmé des montagnes russes : le passage chez le très vieux compositeur qui prétend être à l’origine de TOUS les tubes pop !… Naviguant en eaux troubles entre découverte d’une infinité de sens cachés et choc d’une civilisation en totale déréliction, minée par le nihilisme et la pose, Sam nous embarque dans une odyssée à la Raymond Chandler sous LSD, entre le Privé et le grand Sommeil. Tout commence par une filature– à l’instar de chez l’auteur culte de polars et de Lewis Carroll. Il semblerait que ça soit dans la filature qu’on vive des aventures. On pourrait gloser des heures sur tous les signes et indices au cœur de ce film poupée russe, on vous conseillera plutôt de le découvrir- heureux novices !- ou de le revoir et forcément d’y déceler d’autres facettes. Une autre grille de lecture vous attend d’ailleurs, ci-dessous. (Xanaé Bove)
Après It Follows David Robert Mitchell poursuit son portrait d’une Amérique dont la familiarité constitue le meilleur simulacre pour cacher l’abîme. Tout y semble tellement lisse, propre, aseptisée. Un bonheur sans tache, que tous partagent, c’est le monde parfait de Blue Velvet qui devient l’enfer si l’on pénètre dans une oreille. Aussi Under The Silver lake est un trompe l’œil, à tous niveaux, y compris dans le ton qu’il adopte, qui cache son désenchantement sous l’habit de la légèreté et du cool. Et Mitchell enchante par ce désenchantement. David Robert Mitchell choisit un héros naïf et geek, une forme de prototype du jeune adulte autiste du XXIe siècle, dont les passions culturelles métamorphosent le monde réel en pays des merveilles. Son univers mental a remodelé la réalité en rêve quotidien, le songe de l’ahuri, génération pop. Lorsqu’il tombe amoureux de sa voisine et qu’elle disparaît simultanément, son existence déjà flottante plonge dans le brouillard et l’entraîne dans un vaste jeu de pistes, bourré d’énigmes et de codes, que seul l’enfant des années 80 est à même de comprendre.Dans une démarche ludique évidente, David Robert Mitchell dissémine les fragments autobiographiques. Il parle de lui, il évoque ses propres doutes quant à ses origines, prenant plaisir à installer une atmosphère paranoïaque. Et si tout n’était qu’une vaste imposture ? Si la culture autour de laquelle nous avions dressé un autel, n’était qu’un faux Dieu, créé de toute pièce par des charlatans ? Ce serait se méprendre que de considérer que Mitchell crache dans la soupe. Il affiche une appartenance qu’il ne renie pas. Il évoque sa propre amertume d’enfant déçu, la tragédie du capitalisme et d’une société de consommation qui s’est immiscée dans la culture au point de mettre le doute dans ce que nous avons pu aimer. Il ne méprise pas sa génération, mais s’interroge sur le bouillon de culture qui a produit la musique et les films qu’il aimait. Un adolescent qui devenu adulte s’est trouvé face à un vide, une angoisse, que vient masquer la quête des signes, des messages codés et le fantasme d’un complot plus vaste, dépassant Hollywood et concernant la machine médiatique et technologique. Sommes-nous nés dans ce mirage? Le film est d’ailleurs échafaudé comme une illusion permanente au point de pouvoir le lire comme un simple trip de schizophrène. L’hypothèse vertigineuse du mensonge, bien que faisant aussi allusion avec ironie à la mouvance des théories du complot, fait passer de l’acidulé à l’âcre, comme ce sentiment d’une liberté soudain dérobée. Que votre jeunesse vient de vous être volée. La jeunesse malmenée celle qui glisse vers l’abîme, parcourt le cinéma de Mitchell, l’obsède. L’air de rien, il ausculte l’Amérique contaminée à la recherche de nouveaux idéaux, un pays qui sacrifie ses enfants, pays d’éternels dominants, comme en témoigne ici cette métaphore de privilégiés qui entraînent avec eux les jeunes générations pour les emmurer avec eux. Nous ne sommes pas très loin des « Eternels » et de « Rénégats » de Zardoz de Boorman.
Non, Under The Silver Lake n’est pas un énième film de mise en abîme à la De Palma, ni sur le milieu du cinéma à la Mulholland Drive, c’est ce qui le rend plus poétique aussi. L.A devient une ville fantôme, pas très éloignée de celle de Steve de Jarnatt dans Miracle Mile. Elle n’avait probablement pas été aussi bien filmée depuis Michael Mann. Hollywood, constitue un arrière-plan visuel, un gadget symbolique, un simple détail au sein d’une vision sociale et politique une partie du grand tout culturel. Il y a du Verhoeven de Showgirls dans UTSL, mais sans le cynisme du cinéaste hollandais, car Mitchell revendique son appartenance au système. A l’instar de la référence à Hollywood à la fin de Showgirls, le décor n’est qu’un détail du grand chaos, du grand show. La dimension critique, est portée par une forme de désarroi identitaire (d’où venons-nous, de quoi sommes nous les produits ?) qui s’identifie au doux anti-héros, pas si sympathique d’ailleurs, lorsqu’il vomit sur les clochards ou est prêt à taper un gosse pour protéger sa voiture. La beauté d’Under The silver Lake tient à cet habillage du doute par la forme du conte, du merveilleux, et par ce joli sourire permanent incarné superbement par celui, béat d’Andrew Garfield. Under The Silver lake se permet d’être à la fois jouissif et inquiet : la virtuosité de la mise en scène de Mitchell est bien là. La partition herrmannienne (d’où naît le trouble hitchcockien) de Disasterpeace intervient en contrepoint de l’image, provoquant un sentiment de tension dans des scènes anodines. Ainsi rien de ce que nous voyons n’est tout à fait vrai. Méfions-nous de l’image… ou de la musique. Cette insertion de la drôlerie et de l’angoisse au sein d’un même plan et parfaitement déstabilisante. Under The Silver Lake infuse pourtant régulièrement une mélancolie explicite – plus glaçante. C’est la vision de la prostitution chez les jeunes actrices, blasées, agissant comme des automates tristes. C’est le moment le plus dramatique – et paradoxalement féerique du film de la jeune femme tuée et engloutie. Ou encore deux fabuleuses séquences de regards dérobés, tragiques, passant par un intermédiaire, un médium : pleurs d’une femme surprises par le voyeur épiant sa fenêtre avec ses jumelles – comme du De Palma ayant troqué son suspense contre le désarroi ; aveu final de la voisine disparue enfin retrouvée, se demandant si elle a pris la bonne décision, vu à travers l’écran d’ordinateur, aseptisé, regard emprisonné.
Cette inquiétude générationnelle, d’une jeunesse mélancolique sans racines fait vraiment bien le lien – sur le mode burlesque absurde – avec It follows. Il puise une nouvelle fois dans l’esthétique du photographe Gregory Crewdson, dans ce quotidien qui plonge dans l’étrangeté, la bizarrerie, cette réalité prosaïque devenue occulte. L’atmosphère portée par l’élégance du rythme et du montage, rappelle régulièrement le cinéma de De Palma : la perversité romantique et hitchcockienne ne craint pas d’être fantasque, voire de jouer sur le grotesque, et fait glisser les archétypes du suspense vers les lisières du fantastique. Même si Sam poursuit sa quête en suivant le fil des indices, Under The Silver Lake efface progressivement sa linéarité à mesure qu’il s’échappe du réel, délaissant les règles du récit classique. Le brouillard envahit l’esprit du héros et distille ses sortilèges dans la narration, prenant le spectateur par la main et égarant le spectateur dans le joyeux foutoir du songe. Grand film où le chaos du sujet envahit la forme, à ranger aux côtés du magnifique Southland Tales de Richard Kelly, Under The Silver lake n’a pas fini de nous hanter. (Olivier Rossignot)
Dvd et Blu-Ray édités par Le Pacte
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