[Réédit de la critique du 13 juin 2023 publiée lors de la sortie salles]
Marcel est un adorable coquillage anthropomorphe de quelques centimètres, affublé d’un œil, d’une bouche et de chaussures. Il mène une existence douce et tranquille auprès de sa grand-mère Connie dans un villa désertée par ses occupants depuis une brusque séparation. Mais le sentiment de solitude lui pèse un peu, le manque de ne pas être auprès des siens (ne riez pas vous ne savez pas ce que c’est la vie intérieure d’un coquillage). Il vivait à l’époque en harmonie avec une communauté de coquillages. Un jour un réalisateur de documentaire, ayant loué le logement en Airbnb, découvre Marcel et sa grand-mère. Il décide de les mettre en scène dans un court métrage diffusé sur YouTube. Marcel devient une star du net, un phénomène culturel suivi par des millions de fans. Cette reconnaissance relance ses espoirs de retrouver sa famille perdue depuis deux ans après le départ des propriétaires des lieux mais ravive aussi des angoisses existentielles, parfois futiles, mais qui rappellent l’univers triste et décalé de Wes Anderson.
Après Beau voici Marcel is afraid ! Enfin toute proportion gardée car il est bien connu que les coquillages consomment rarement des psychotropes et ne présentent pas les mêmes troubles psychologiques. Le seul point commun que cet ovni entretient avec celui de Ari Aster tient à la production, celle de A24, la société de production et de distribution indépendante la plus hype du moment, qui continue à creuser un sillon original et ambitieux. Au départ, il s’agit d’un court métrage datant de 2010 que son réalisateur Dean Fleischer Camp entouré de la même équipe décline en long métrage. Entre temps il a réalisé de nombreux courts métrages et documentaires. Ce passage au long, fruit d’une maturation sur plus d’une décennie, ne souffre pas d’un des défauts les plus récurrents, soit une réécriture artificielle, inutilement « gonflée », ne parvenant à faire tenir sur la durée un concept génial. En dépit d’un ventre mou vers le milieu du métrage et de quelques effets répétitifs, Marcel le coquillage (avec ses chaussures) impressionne par son dispositif inventif et hybride, enchantement visuel et narratif dont l’indéniable virtuosité loin d’être exhibée, sait se faire d’une grande discrétion, presque souterraine.
Présente dès l’origine du projet, la comédienne Jenny Slate prête toujours sa voix charmante et volubile à Marcel. Son timbre si singulier opère un effet de séduction immédiat, au point de ne pas pouvoir imaginer une autre voix aussi enjouée et douce, qui donne envie d’adopter cette petite chose dotée un œil comme un cyclope en miniature. La logorrhée verbale de Marcel, qui débite à la mitraillette toutes ses pensées et réflexions, sans hiérarchie d’importance, évoque parfois, sur un mode plus fantaisiste mais tout aussi angoissé, le meilleur du cinéma de Woody Allen. Par ailleurs, même s’il s’agit ici d’animation, pour apprécier pleinement la musicalité enivrante de l’œuvre, la VO est indispensable. La tonalité alliée à la rythmique poétique du phrasé importe tout autant que le sens des mots, un peu à la manière d’une pop-song addictive où la voix n’est qu’une couche supplémentaire, un instrument au même titre que la guitare, la basse ou la batterie. Construit sous la forme ludique d’un mockumentary – soit une parodie de documentaire – Marcel le coquillage carbure aux régimes d’images hétéroclites, passant du found footage où une caméra vidéo enregistre un (faux) réel à des moments contemplatifs, magnifiés par des plans sidérants réinventant l’espace domestique. Dans cette tranche de vie fantaisiste et absurde, les auteurs décrivent le quotidien de Marcel, fait de petits riens. Cet adorable petit caillou qui existe en tant que personnage à part entière à l’écran doit surmonter un certain nombre d’obstacles afin de survivre. Il déploie des trésors d’invention pour aménager le plus efficacement possible son espace vital.
Le cinéaste dépasse l’exercice de style brillant et « mignon » en déployant une atmosphère sous-jacente mélancolique, avec l’ombre permanente de la mort quand elle ne frappe pas de plein fouet ses proches. Le film d’animation en stop motion (à laquelle participent les revenants frangins Chiodo), d’une beauté plastique renversante, créant l’illusion par le dispositif d’un réel palpable, aborde aussi intelligemment la question de l’abandon et de la perte. Les réflexions de Marcel sont tour à tour touchantes, pertinentes, drôles et tourmentées, interrompues de temps en temps par les questions du réalisateur et les interventions apaisées de sa grand-mère à qui Isabella Rossellini prête sa voix. Une très grande réussite qui plaira aux grands enfants que nous sommes. Pour les plus petits, c’est une autre histoire mais il n’est pas exclu que Marcel parvienne à conquérir le cœur de tous les spectateurs, tout âge confondu.
(USA-2021) de Dean Fleischer Camp avec Jenny Slate, Dean Fleischer Camp, Isabella Rossellini
Suppléments
Making of (17′)
Derrière les effets spéciaux de Marcel par Bottleship (2′)
Blu-Ray et dvd édités par L’Atelier d’images
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