Rimini Editions ressort un classique oublié du cinéma américain : La Maison Rouge (The Red House) avec Edward G. Robinson dans le rôle-titre. Le film s’ouvre sur un décor serein, les plans s’enchainent avec bonhomie. Une bande-son entrainante accompagne les vastes prairies, les vertes vallées luxuriantes. Un mystère se cache pourtant au fond des bois. Un homme, Pete Morgan (Edward G. Robinson), vit de sa ferme à l’orée de la forêt avec sa sœur, Ellen (Judith Anderson) et sa fille adoptive, Meg (Allene Roberts). Meg a le béguin pour un camarade de classe, Nath (Lon McCallister) auquel elle offre du travail à la ferme afin d’aider son père adoptif. Une blessure à la jambe gêne depuis longtemps Morgan qui s’épuise aux tâches quotidiennes. Nath s’acquitte joyeusement du travail, dîne copieusement, se moque des racontars divers sur la famille qui vit un peu cachée de tous, en retrait du village, mais lorsqu’il veut rentrer chez lui, de nuit, Morgan le met sévèrement en garde : ne va pas t’aventurer dans la forêt. Les chemins les plus courts peuvent se révéler bien plus tortueux et dangereux qu’il n’y paraît. Comme tous les jeunes gens, Nath est téméraire. Il se voit rétorquer ce magistral : « N’accorde pas tant de valeur au courage. C’est dépassé. » L’Amérique est lasse des héros et préfère des personnages claudicants, lourds de mystères et d’ombres portées tel ce « mystérieux Morgan ». Nath outrepasse tous les signaux de Danger : « Do not trespassing » puis « Ne pas entrer à vos risques et périls ». Le péril principal étant la fille, Meg, qu’Edward G. Robinson (Morgan) se refuse à perdre. Son impuissance se manifeste clairement à travers sa jambe de bois, il a été blessé il y a longtemps. Comment ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui se cache au fond des bois ? Le mystère épaissit les rayons de journées trop claires.

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Morgan, pour effrayer le jeune Nath, évoque des cris, la nuit, une maison rouge. Rouge comme le sang, rouge comme la passion amoureuse perdue. Le film présente un environnement sain et serein, une Amérique à la nature claire, joyeuse où les jeunes filles arborent des nattes et les garçons le sourire aux lèvres vont s’ébrouer dans le lac le dimanche. Derrière cette belle et lisse devanture se cache un bois profond, terrifiant, un bois que l’on fait garder à coups de panneaux de signalisation et de tirs de fusils. Chasse gardée. Le bois est hanté comme la mémoire de E.G. Robinson. Il vit avec sa sœur Ellen (interprétée par la merveilleuse Judith Anderson qui était déjà la Mrs Danvers d’Alfred Hitchcock dans sa Rebecca (1940) et gardait alors une autre demeure hantée, Manderley). Abonnée aux maisons hantées, Judith Anderson (Ellen) protège du passé. Abonné aux femmes-fantômes, E.G. Robinson essaie de faire taire sa mémoire.

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Sigmund Freud n’est pas loin, accompagné par Lacan, avec tous ces signaux qui clament le danger, l’interdit et sa nécessaire transgression. Vivant en recluse à l’orée de la forêt, la famille se trouve bouleversée par l’irruption d’un nouveau venu : Nath. Car c’est bien l’arrivée de l’étranger, du mâle, et donc du désir qui vient perturber la douce mécanique familiale. Meg pourra dénouer ses nattes, perdre pied ou jambe la nuit dans les bois, voir si le loup y était et rencontrer un homme. La quête de la maison rouge se fait quête de l’interdit, des règles bafouées, du père impuissant face aux émois pressants de sa jeune fille en passe de devenir femme. Quête de l’accession à l’âge adulte pour Meg et Nath, le passage par la forêt dérouille la psyché. Nath est le promis d’une autre, Tibby (Julie London), plus provocante mais aux rêves si matérialistes, si évidents, si limpides que lui ne peut qu’être irrépressiblement aimanté par la jeune Meg, si sage en surface, si énigmatique en profondeur. Meg qui cache bien des mystères. Meg, la fille de la maison rouge. Les plans qui figent son visage inquiet, en passe de sentir la révélation poindre derrière les collines de calcaire, dénoncent son secret. Secret si bien enfoui qu’elle n’en pas elle-même la moindre idée. Delmer Daves1 travaille ses clair-obscur et jeux d’ombres qui avalent les visages ou découpent les silhouettes sur fond lumineux comme s’il avait parfaitement intégré les leçons de l’expressionnisme allemand. E.G. Robinson enfouit tout au fond de la forêt ce passé qui ne passe pas et qui fait retour régulièrement sous la forme d’un prénom hanté : Jeannie. Qui est cette Jeannie qui le fait basculer de l’autre côté de la raison ? Où se cache-t-elle ? Filmer le secret derrière des portes, dans des portraits-miroirs ou des rues évidemment rouges, avec Robinson en tête d’affiche, était plutôt l’apanage de Fritz Lang, mais Delmer Daves s’en tire très bien en focalisant son film sur cette dichotomie puissante entre une vision édénique de la nature, des lacs, des rivières, une Amérique bucolique et ce qu’elle révèle si l’on s’aventure plus loin dans le décor, si loin que les fourrés deviennent sombres, que les maisons se font ruines, que les collines abritent des mensonges et des crimes. Un passé difficile à édulcorer. Un film méconnu à redécouvrir d’urgence.

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1 Cinéaste de films noirs, plus connu pour sa réalisation de Dark Passage (1947) d’après David Goodis avec le couple-phare du noir Bacall et Boggie, tourné la même année, il y accomplit notamment la prouesse de tourner le début du film en caméra subjective.

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A propos de Séverine Danflous

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