S’il n’a que peu dépassé ses frontières, en dépit d’un regain de popularité au cours des années 2000 (en témoignent OSS 117 : Le Caire nid d’espions, Super Nacho, et bon nombre de clips, bandes-dessinées, ou jeux vidéo), l’univers du catch mexicain fit les belles heures du cinéma d’exploitation durant les sixties. La lucha libre met en scène des combattants masqués rejouant inlassablement la lutte manichéenne du Bien contre le Mal (les técnicos contre les duros) dans un symbolisme empreint de catholicisme et de mythologies maya et aztèque. Un plaisir naïf, puéril pour certains, mais qui déchaîne les passions et devait évidemment finir par prendre d’assaut le grand écran. Les stars du ring comme El Santo ou Blue Demon remplissent les salles obscures, changés en véritables super-héros luttant pour la justice et défendant la veuve et l’orphelin dans des séries B réalisées par des faiseurs locaux. Parmi ces derniers, René Cardona fait office de stakhanoviste. Auteur de pas moins de cent cinquante longs métrages entre les années 1950 et 2000, dont un polar inspiré par Carlos (Carlos el Terrorista), il s’est frotté au genre à de nombreuses reprises. Indicator Powerhouse a décidé de mettre en avant certains d’entre eux au travers d’éditions Blu-Ray de ces fleurons du cinéma « autre ».
Si Santo VS the Riders of Terror, tourné en 1970 et également disponible chez Powerhouse, rentre parfaitement dans les codes établis du genre, The Panther Women (1967) et The Bat Woman (1968) dénotent une originalité bienvenue en optant pour des héroïnes en lieu et place des traditionnels mâles bodybuildés. Tous deux réalisés par Cardona et écrits par Alfredo Salazar (Las Luchadoras contra el médico asesino) les films ont pour protagonistes des catcheuses qui s’adonnent à la lucha lorsqu’elles ne sont pas occupées à déjouer des complots maléfiques ou les agissements de savants fous. Tourné en 1967, le premier narre les exploits de Loreta-Venus (Ariadne Welter) et Golden Rubi (Elizabeth Campbell), et de leur lutte contre une secte maléfique vénérant Bast, une déesse féline (les femmes panthères du titre). Le second surfe dès l’année suivante sur le succès de la série télé Batman (et non du personnage de Batwoman, pourtant créé en 1956) et présente Gloria, sa justicière capée qui combat un scientifique bien décidé à créer une armée d’hommes-poissons.
Pour paraphraser Dante : vous qui entrez dans le monde des films de catcheurs mexicains, abandonnez toute notion de bon goût. Pour pleinement apprécier ce genre, il est essentiel de mettre de côté son esprit critique et son objectivité cinématographique pour percevoir le charme de ce qui peut être considéré comme des nanars, des vrais. Aucune condescendance dans le terme, les longs-métrages de Cardona sont sincères, généreux, loin du cynisme de certaines compagnies qui brandissent l’appellation comme un laisser-passer afin de livrer des abjections puériles et tout juste regardables. Ici, druide croate (sic), épée magique, secrets alchimiques, malédiction familiale, mort-vivant, assistant nommé Igor et yacht subtilement baptisé Reptilicus, se croisent dans une orgie pulp décomplexée. Entre présentation kitsch irrésistible de ses protagonistes, et manichéisme assumé où les grands méchants expliquent leur plan face caméra avant de partir dans un rire diabolique, le plaisir déviant est total. Étonnamment bien éclairés par Augustin Jiménez (collaborateur de Luis Buñuel sur La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz), les deux films ne laissent que peu de place à l’ennui. Les faux-raccords, les effets spéciaux au rabais (mention spéciale à la créature de The Bat Woman) et les performances d’acteurs et actrices pour le moins approximatives, s’enchaînent à un rythme effréné. Pourtant, au-delà de la réjouissance enfantine (et coupable avouons-le) ressentie devant le diptyque, il est aisé de saisir en quoi ces figures ultra populaires ont pu développer une véritable mythologie du bis.
Dans cet univers alternatif, les luchadoras sont également employées par des agences gouvernementales afin de combattre le crime entre deux matchs. Les gradés vantent même leurs mérites lors de monologues pompeux et grandiloquents. En découle une atmosphère qui tient autant du film sportif (les séquences de ring captées à travers les cordes de The Panther Women) qu’au thriller d’espionnage post James Bond. Les repaires des ennemis caricaturaux oscillent entre grottes sombres en carton-pâte et laboratoire rempli d’éprouvettes fumantes et de lumière qui clignotent. El Angel (Gerardo Cepeda), un super héros catcheur qui prête main forte à Loreta Venus et Golden Rubi, et a la fâcheuse tendance d’apparaître inopinément derrière des buissons (impossible de ne plus voir ce détail une fois qu’on l’a remarqué) est ainsi équipé d’une cape pare-balle digne d’une invention de Q. The Bat Woman n’hésite pas à piocher dans les scènes cultes de la saga, notamment dans ses passages sous-marins renvoyant à Opération Tonnerre. Finalement plus proche du héros de Ian Fleming que des délires pop du Bruce Wayne d’Adam West, elle emprunte néanmoins le costume gris et bleu à ce dernier, durant sa vie sportive du moins car dès que l’action se profile, elle opte pour un bikini du plus bel effet. Là réside d’ailleurs l’un des éléments les plus datés du long-métrage : sa vision pour le moins réductrice des personnages féminins.
Un sexisme latent plane indéniablement sur le genre. Les catcheuses n’ont ainsi pas droit à la même iconisation que leurs homologues masculins. Gloria apparaît même sans son masque à l’écran, sacrilège pour ces figures déifiées qui se doivent de garder l’anonymat. La femme chauve-souris incarnée par Maura Monti, égérie des séries B mexicaines (Las Vampiras), fait montre quant à elle de talents martiaux et de capacités athlétiques discutables (elle est doublée de manière très visible durant les séquences d’action). Elle passe en outre le plus clair de son temps à se prélasser au soleil ou à fuir les combats en sautillant, attendant qu’un homme veuille bien la sauver. Le final atteint d’ailleurs des sommets de misogynie avec son gag à base de rat. Étrangement, seules les membres des Panteras de Elohim, la secte malfaisante de The Panther Women, semblent fortes et indépendantes, à l’image de la charismatique Yolanda « Tonglele » Montes, danseuse et comédienne apparue dans diverses productions d’exploitation. Il devient donc indispensable de les ramener dans le droit chemin patriarcal à grands coups de manchette, ce dont se chargeront les héroïnes acquises à la cause de leurs supérieurs. Une limite parmi d’autres d’un univers qu’il faut savoir prendre, a minima, au second degré sous peine de rater une expérience aussi unique que jubilatoire.
Suppléments :
Les deux films sont proposés dans un master 2K au sein de Blu-Ray limités à 8000 exemplaires. Les suppléments font la part belle au genre au travers de documentaires centrés sur la lucha libre et la place des femmes en son sein, entre autres. Chacune des éditions contient en outre un livret de 80 pages, ainsi que des bandes-annonces et des galeries de photos.
The Panther Woman et The Bat Woman disponibles en Blu-ray chez Powerhouse.
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