© LCJ Editions

Dès la fin des années 70 et douze ans avant Valse d’amour, Dino Risi avait déjà senti le vent tourner et mis en scène la fin de la grande tradition de la comédie italienne. Dans Dernier amour, il retrouve l’un de ses complices habituels, Ugo Tognazzi, et lui fait endosser les habits d’un comédien sur le déclin qui se rend dans une vaste demeure faisant office de maison de retraite pour les gens du spectacle. Sur place, il rencontre Renata (Ornella Muti), une femme de ménage dont il va tomber amoureux.

Risi place d’emblée son film sous le signe de la mort avec une scène d’un humour très macabre où Picchio découvre un cadavre sur le lit de la chambre qu’il doit occuper. Celui qui incarnait la joie de vivre, un humour à l’ancienne n’a désormais plus d’autres perspectives que d’entrer dans le lit d’un mort. Et tout le film sera constamment lesté par cette ombre funeste, ce sentiment que la jeunesse du personnage est bien révolue.

Dernier amour se déroule en deux temps. Le premier a lieu dans cette maison de retraite, petit théâtre où Risi peut déployer son sens de l’humour acide en mêlant satire mordante et une certaine cruauté. Alors qu’il commence à la draguer sans pincettes, Renata ne cesse de renvoyer à Picchio son grand âge (« j’ai passé ma journée avec grand-mère, je n’ai aucune envie de passer ma soirée avec grand-père »). Avec ironie mais non sans une certaine tendresse, le cinéaste décrit le quotidien de vieillards qui se remémorent parfois leur gloire passée et qui n’ont plus rien d’autre à faire que de jouer aux cartes et, parfois, danser. Entre blagues potaches (coussin péteur, tour pendable hilarant chez un coiffeur…) et bisbilles quotidiennes, cette partie du film permet à Risi de renouer avec l’humour râpeux qui lui est cher. La mise en scène est enlevée et certaines séquences vachardes sont tout à fait savoureuses, à l’image de ce mariage blanc organisé par le directeur de l’hospice (toujours avide de récolter quelques chèques) afin qu’une jeune femme polonaise puisse acquérir la nationalité italienne. Qu’il s’agisse du curé courroucé à l’église car il a bien compris le manège ou l’air effaré du bon petit vieux qui épouse une sculpturale blonde (qui partira avec un autre avant la fin de la réception), tout est d’un cynisme réjouissant.

La deuxième partie narre l’escapade de Picchio et Renata et fonctionne plus comme une histoire d’amour malheureuse digne de L’Ange bleu voire de La Femme et le pantin (la sublime et plus jeune maîtresse- et Dieu qu’Ornella Muti est belle !- convoitée par tout le monde, au grand désespoir du riche Pygmalion). Cela n’empêche pas Risi de jouer la carte de la satire : satire de l’arrivisme (Renata utilise l’argent de son riche mentor pour parvenir à ses fins), satire de ce vieux beau (Picchio se rase la barbe et se teint les cheveux) qui refuse de vieillir et qui se montre jaloux, parfois impuissant et bien naïf. Ce deuxième temps est néanmoins un peu moins équilibré que le premier et le passage de l’un à l’autre n’est pas totalement réussi, notamment en ce qui concerne le personnage de Renata qui devient assez détestable.

Néanmoins, ce qui emporte l’adhésion, c’est cette mélancolie qui imprègne constamment l’œuvre. Dernier amour reste porté par un amour du music-hall et de la comédie clownesque. Lorsque Picchio imagine un spectacle, c’est sur l’air de Singing in the Rain tandis que l’un de ses numéros consiste à imiter le grand comique italien Toto. La scène est d’ailleurs très cruelle car autant Renata riait aux larmes devant les facéties du comédien à l’hospice, autant elle reste de marbre face à cette imitation de Toto et même méprisante. A travers ce regard dur, ce sont les changements de l’époque que montre Risi. On comprend que Picchio n’arrivera jamais à monter son spectacle tandis que Renata parviendra à percer à la télévision dans une émission d’une vulgarité peu commune. D’une certaine manière, Dino Risi annonce le Ginger et Fred de Fellini en montrant la fin d’une certaine idée du cinéma (la référence à la comédie musicale est de mise dans les deux films) et la montée en puissance de la vulgarité télévisuelle qui éclatera à l’ère Berlusconi.

En extrapolant un tantinet, on pourrait voir dans ces deux parties du film qui s’opposent les images antagonistes du cinéma et de la télévision. Dans la première, toute une histoire avec sa superbe et ses aspects un peu ridicules (tous ces cabots magnifiques) et la mélancolie du constat d’une grandeur passée (voir le personnage incarné par Caterina Boratto). Dans la seconde, où Ornella Muti change d’ailleurs de look, c’est la vulgarité, le fric et les apparences qui prédominent et on passe la frontière du côté de l’univers toc de la télévision avec ces hôtels de luxe et ces paysages de cartes postales.

Alors même si son heure est passée, il n’y a pourtant pas plus grand réconfort, au bout du compte, que de revenir dans cette grande maison de retraite et de goûter une dernière fois au plaisir de partager quelques instants avec des ombres et des fantômes…

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Dernier amour (1978) de Dino Risi avec Ornella Muti, Ugo Tognazzi (LCJ éditions)

 

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