Dino Risi – « Le Prophète »

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C’est par une première salve de 4 films que les éditions ESC débutent une brillante nouvelle collection (« Edizione Maestro ») consacrée aux riches heures de la comédie italienne. L’intérêt de ce projet est de nous permettre de revisiter les filmographies des grands artisans du genre (Risi, Monicelli, Comencini, Scola…) tout en nous proposant des œuvres inédites en nos francophones contrées.

Tourné en 1967, juste après L’Homme à la Ferrari avec le même duo de comédiens (le fidèle Vittorio Gassman et la délicieuse Ann-Margret), Le Prophète ne compte pas parmi les grandes réussites de Risi (Le Fanfaron, Les Monstres…) et il fut même plus ou moins renié par son auteur et le scénariste du film (à savoir Ettore Scola). Pourtant, Le Prophète ne mérite pas non plus l’opprobre et témoigne à sa manière de l’humour grinçant et extrêmement cynique de Dino Risi.

Si l’on me permet cette référence improbable à une collection qui m’est chère (La Brigandine), l’argument du film évoque celui qu’utilisera Jean-Pierre Bouyxou (alias Georges Le Gloupier) dans son roman Sévices après vamps, à savoir l’histoire d’un homme qui réalise soudainement l’inanité de son existence et qui décide de tout plaquer : un boulot avilissant, une vie familiale morne et monotone rythmée par d’insipides soirées passées devant la télévision… Mais tandis que le héros du roman s’acoquine avec de vilains drôles pour mener une existence débridée, Pietro Breccia (Vittorio Gassman) décide de vivre en ermite en haut d’une montagne avec quelques animaux comme uniques compagnons.

A partir de ce postulat, le cinéaste se livre à une satire virulente qui n’épargne personne. Dans la ligne de mire et en premier lieu, la société de consommation que « le prophète » a tenté de quitter. Risi filme Rome comme une antichambre de l’Enfer : embouteillages monstrueux, vacarme permanent, pollution… Toutes proportions gardées, Le Prophète rappelle deux grands films à charge contre la civilisation de la bagnole : Week-end de Godard et Trafic de Tati. Le cinéaste montre avec une certaine acuité vacharde la manière dont la vie moderne nous avilit : le travail basé sur des gestes répétitifs et absurdes, la télé et la publicité qui envahissent l’espace intime des individus, la déshumanisation au cœur des grandes métropoles (Pietro remarque que Rome serait parfaite « sans les romains »).

Mais là où Le Prophète aurait pu être une fable contestataire prônant de « larguer les amarres », le film se révèle beaucoup plus retors que ça. En effet, notre « prophète » rencontre une jolie hippie (Ann-Margret) et se retrouve au sein d’une communauté vivotant au cœur d’un cimetière de voitures. Et on se rend compte alors que Risi n’épargne pas plus ces marginaux qu’il présente comme des disciples allumés d’une vague secte (ces incantations qui accueillent l’arrivée de Pietro) ou des fils à papa en rupture de ban (voir cette mère qui vient chercher son rejeton). Risi n’a pas plus de sympathie pour ces hippies que  pour les publicitaires branchés ou les bourgeois mondains et il ne renonce même pas à une scène digne d’un épisode d’Astérix et Obélix (vols planés compris !) où Gassman fait un sort à ces jeunes qui viennent de manger sa chèvre.

De plus, comme tous les héros plus ou moins hâbleurs et veules qu’il incarne chez ce cinéaste, Gassman n’a rien d’un modèle de vertu. Lorsqu’il réalise que son statut de « prophète » et de star médiatique peut être monnayable, il n’hésite pas à tourner dans de ridicules publicités (pour des pâtes, évidemment !) et à faire une croix sur tous ses « principes ».

Finalement, s’il fallait trouver une référence à ce Prophète, c’est du côté des premiers films de Jean Yanne qu’il faudrait se tourner : même manière de tirer à boulets rouges sans faire dans la dentelle et en prenant bien soin de n’épargner personne. Le trait est parfois épais mais il faut aussi reconnaître que cette comédie à mille lieues de tout « politiquement correct » est globalement assez réjouissante…

Le Prophète

(Italie, 1967, 88 minutes)

Réalisation : Dino Risi

Scénario : Ruggero Maccari, Dino Risi, Ettore Scola

Acteurs : Vittorio Gassman, Ann-Margret, Oreste Lionello, Liana Orfei

Editeur : ESC éditions

Sortie en DVD-BR le 28 mars 2017

 

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A propos de Vincent ROUSSEL

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