Le procès de Klaus Barbie qui a duré près de quatre mois au cours de l’année 1987 est pour l’histoire le premier procès pour « Crime contre l’Humanité » organisé sur le sol français. Un événement et une mobilisation des médias de l’époque à la hauteur de l’événement, l’année 1987 est en partie celle de Klaus Barbie et à travers lui celle de l’Occupation allemande et ses zones d’ombres. Une actualité brûlante à l’époque d’ailleurs puisque, si Paul Touvier est alors toujours en fuite, René Bousquet approche de l’œil du cyclone médiatico-judiciaire et Maurice Papon se trouve dans la ligne de mire des juges même s’il profitera encore dix pleines années du bon air Seine-et-marnais avant d’être appelé à la barre.
Lorsque Klaus Barbie se présente devant ses juges ce 11 mai 1987 il est déjà emprisonné depuis près de quatre ans et son extradition depuis la Bolivie, sa terre d’accueil puis d’adoption après sa fuite d’Europe. On passera volontiers sur la généreuse bienveillance américaine lors de cette « fuite » qui n’en fut jamais une pour s’attarder plus directement au contenu même du procès.
Pour rappel, Klaus Barbie est un nazi fervent qui officia durant une bonne partie de la Seconde guerre mondiale en tant que responsable de la Gestapo à Lyon, il s’est ainsi rendu coupable soit directement soit indirectement en les ordonnant d’exécutions et/ou actes de torture sur des dizaines de résistants et/ou civils dont le plus célèbre est sans doute l’ancien Préfet et héros de la résistance Jean Moulin. Ses activités le rendirent tout autant directement responsables de la déportation de centaines de juifs. Autant de crimes dont « Le boucher de Lyon » (son surnom) doit désormais rendre en partie compte.
« Crime contre l’humanité » en effet, non pas tant pour l’ensemble de son œuvre que pour des faits précis et notifiés, seules actions et exactions commises par le prévenu qu’il sera possible d’évoquer à la barre (le Juge ne se privera d’ailleurs pas pour le rappeler quelquefois vertement à certains témoins). Il faut dire qu’il fit déjà l’objet de deux procès au tout début des années 50, par contumace, et qu’il y a donc prescription (il fut condamné les deux fois à mort).
Ces crimes contre l’Humanité sont présentement au nombre de trois :
- La rafle de la rue Sainte-Catherine de Lyon (siège de l’UGIF, Union Générale des Israélites de France) de février 1943
- Celle de la Maison d Izieu (nom donné à une colonie d’enfants juifs réfugiés en zone libre) en avril 1944
- La déportation de 600 juifs et résistants lors d’un convoi en août 1944
Après quatre mois de procès Barbie est reconnu coupable et condamné à la perpétuité, il mourra en prison en 1991. Ce coffret se veut la synthèse des quelques 145 heures d’audience (ce procès fut en effet le premier à être filmé intégralement par une équipe de télévision) au cours desquelles 107 témoins ou experts furent entendus à la barre, 39 avocats plaidèrent du côté des parties civiles et 3 pour la défense du prévenu. Quelques noms bien connus de la magistrature sont assis sur les bancs dévolus aux parties civiles, Alain Jakubowicz (futur président de la Licra), Roland Dumas, Paul Lombard, Gilbert Collard et bien entendu Serge Klarsfeld dont le rôle en compagnie de son épouse Beate fut décisif dans l’extradition de Barbie et la tenue du procès. Parmi les trois préposés à la défense trône l’habituel pourfendeur du politiquement correct Jacques Vergès. De nombreux témoins vont se succéder à la barre au fil du procès, parmi eux le couple Aubrac, Jacques Chaban-Delmas ancien résistant et à l’époque Président de l’Assemblée Nationale, Albert Jacquard ou encore Léon Poliakov sans oublier les témoins directs ou indirects de l’époque, anciens déportés ou résistants qui eurent à faire au bourreau qui pose non loin d’eux, une parole capitale ici.
Ce procès on l’a dit a été filmé dans son intégralité même s’il ne fut pas diffusé avant les années 2000 (sur la chaine du câble Histoire étonnamment et non sur TF1 en prime-time), ce fut d’ailleurs un grief important de la Défense d’évoquer un « procès spectacle » et un accusé jeté en pâture aux médias. Cet imposant coffret édité par Arte Video se constitue de six DVD et d’un dense livret pour l’angle frontal, il s’accompagne de compléments essentiels pour aborder ce pan de notre histoire collective de manière transversale. Un lourd travail de montage réalisé conjointement par deux cinéastes Dominique Missika et Philippe Truffaut (qui n’est pas l’auteur de « La Gestapo douce » mais le réalisateur déjà du coffret Philosophie de Raphael Enthoven).
Sont donnés à voir donc un peu plus de 10% seulement de l’intégralité des audiences même si la priorité a été donnée au strict respect de celles-ci, ainsi chaque témoin y apparait même brièvement comme chaque incident relevé comme le départ de Barbie, son retour forcé, les haussements de voix et le bruissement du public consécutif à certains propos entendus, l’intense émotion de plusieurs témoins face à celui qui hante leurs jours et leurs nuits depuis tant d’années et autres amabilités. Montées sans aucun commentaire, ces archives sont ainsi livrées de manière brute au spectateur même si les infos utiles à la bonne appréhension des différentes interventions y apparaissent. A noter que ce parti-pris n’est ni plus ni moins que le fruit d’une obligation judiciaire, le TGI de Paris n’ayant autorisé la commercialisation de ces images qu’à cette seule condition.
L’intérêt de cette édition est double, d’abord en ce qu’elle permet d’approfondir notre connaissance concernant et l’époque en question et les faits précis évoqués, ensuite pour ce qu’elle nous apprend de la tenue d’un procès d’assises, de l’équilibre essentiel entre Défense et Accusation et bien entendu l’élément humain et sensible qui vient se glisser dans le mécanisme de la Loi comme un grain de sable dans une machine supposément huilée bien comme il faut.
Les témoignages nombreux entendus au fil des DVD permettent de saisir à la fois l’ampleur du trauma individuel et collectif mais aussi sa vertigineuse vérité comptable.
Chaque personne interrogée, juif et/ou résistant, parent de disparu(e)s, témoins d’alors, exprime le plus profond de sa souffrance et l’impossible vie qu’il convient pourtant de mener une fois la guerre terminée. Ainsi on entend différents témoignages rendant compte du quotidien d’un juif sous l’Occupation Allemande tant du côté d’historiens patentés que du simple citoyen d’alors qui nous narre cette vie au jour le jour, une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ainsi d’autres (sinon les mêmes) nous racontent la perte d’êtres chers, la vie qui vole en éclat en une matinée, pas même une journée, et le poids de cet « héritage » depuis. Autant de grandes lignes historiques et de zooms sur quelques points qui la composent, autant de destin individuel broyé, autant d’expérience intime du tragique. Il est toujours saisissant en effet d’être confronté à des témoignages aussi nombreux que singuliers, rendant compte d’une seule et profonde expérience familiale et qui, mis bout à bout forment une triste et tragique (macabre) farandole.
Mais ce procès de l’année 1987, sis dans la ville de Lyon, le théâtre des exactions ici jugées, n’est finalement qu’un parmi des centaines d’autres tenus depuis la fin des hostilités, Klaus Barbie n’est qu’un bourreau nazi parmi des centaines d’autres semés aux quatre coins de l’Europe et pareillement responsables de déportations et d’actes de torture sur leur territoire de juridiction, de la Biélorussie à la Belgique, de la Tchécoslovaquie à la Pologne. De quoi donner une fois encore le vertige sur une période encore pour longtemps objet d’analyses et d’études pluridisciplinaire (voir ici les suppléments du coffret) de par la vertigineuse escalade de ses outrances barbares.
En abordant ces heures de procès à travers le prisme franco-français nous vient un lourd regret, celui qu’un pathétique mythomane obsédé par le vedettariat ait assassiné René Bousquet, ancien Secrétaire général à la police de Vichy et à ce titre, entre deux autres saloperies, grand ordonnateur de la Rafle du Vel d’Hiv. Celui-ci faisait en effet l’objet d’une instruction non-achevée au moment de sa mort qui priva ainsi le pays d’un procès pour l’histoire, moment essentiel où le Régime de Vichy à travers l’une de ses figures emblématiques aurait été appelé à la barre.
Revenant au prévenu Barbie et à ce strict segment de l’Histoire, notre Boucher de Lyon, en bonne illustration de banalité du mal, n’a finalement que peu d’arguments à rétorquer pour sa défense si ce n’est cette litanie répétée ad lib :
« C’était la guerre et la guerre est finie »
Une litanie souvent à l’œuvre quand il s’agit pour les tortionnaires d’hier de rendre quelques comptes et qu’ils se cachent derrière 1 les ordres 2 l’état de guerre pour affadir leurs faits et gestes d’alors. Les échanges des différents protagonistes sur ce sujet sont à ce titre parmi les plus intéressants de ce long débat, le concept de responsabilité y étant travaillé au corps et se heurtant systématiquement au récit implacable et livide des victimes rescapées pour qui le Mal s’incarne dans la frêle enveloppe corporelle de ce vieillard malade jadis adepte de la torture sous toutes ses formes
Un mot enfin sur le DVD de compléments du coffret, copieuse somme d’entretiens réalisés avec différentes personnalités (juriste, documentariste, écrivain, historiens, journaliste, magistrats ou encore peintre) autour des pistes de réflexion ouvertes par le procès pour ce qui concerne tant d’un point de vie judiciaire qu’historique ou encore philosophique (notion de transmission, le témoignage, la notion de mémoire etc.).
Cette édition Arte Video du procès Barbie, moment important de notre histoire collective mérite notre pleine attention et constitue un élément poignant de cette période. Elle remplit d’ailleurs la même mission de transmission de la mémoire que les nombreux témoignages de témoins qui y sont entendus, eux qui peu à peu disparaissent et retrouvent enfin, nous leur souhaitons, ceux de leurs proches tragiquement perdus il y a de cela maintenant près de 60 années.
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