La carrière de Don Bluth semblait toute tracée. Émerveillé dans son enfance par Blanche-Neige, il débute en 1956 en bas de l’échelle en tant qu’assistant sur La Belle au bois dormant. Il devient au cours des années 70 l’un des animateurs phares de l’écurie Disney, intervenant sur Les Aventures de Robin des bois, Peter et Eliott le dragon et Les aventures de Bernard et Bianca. Déçu du tournant à la fois économique et artistique que prend le studio, n’hésitant pas à réduire les budgets de leurs productions, Don Bluth démissionne le jour de son anniversaire, le 13 septembre 1979, pour fonder sa propre boite, Don Bluth Production, avec deux autres dissidents de chez Disney, Gary Goldman et John Pomeroy. Et c’est ainsi qu’ils produisent leur premier court métrage, Banjo, le chien malicieux, réalisé par Bluth qui se sent alors poussé des ailes. Les trois compères décident alors d’entamer leur premier long métrage en adaptant librement le roman jeunesse à succès, Madame Brisby et le secret de NIMH de Robert C. Brien, curieusement inspiré par les travaux scientifiques de John Calhoun sur les souris et les rats au National Institute of Mental Health, d’où le sigle NIMH.

Brisby et le secret de Nimh

Copyright Rimini Editions

L’histoire, singulière et ambitieuse, s’écarte des modèles manichéens chers à l’oncle Walt. Mme Brisby, souris des champs, veuve d’un certain Jonathan, est mère de quatre souriceaux. Elle habite au bord d’une ferme dirigée par Fitzibony qui menace les habitations le jour où il entreprend de labourer son champ. Mais Brisby n’a d’autre choix que de rester, d’autant que Timothée, l’un de ses enfants, est atteint de pneumonie. Consciente de la situation précaire, elle n’a d’autre choix que d’aller demander de l’aide à ses voisins, d’étranges rats qui cachent un terrible secret. Ce secret, plus ou moins annoncé dans le titre, se matérialise à l’écran par une série de vision terrifiante et cauchemardesque, savante équation entre un réalisme très poussé et une distorsion inquiétante de ce réel, construits autour de faits scientifiques, au risque de désarçonner les habitudes de nos chères têtes blondes. Car, autant l’annoncer tout de suite, Brisby et le secret de NIMH ne s’adressent pas aux tous petits, mais aux enfants ayant le cœur bien accroché. Nombre d’entre eux, ayant découvert le film à sa sortie en 1982, la même année que l’inoffensif Rox et Rouky, sont encore traumatisés par les multiples séquences chocs et la galerie des personnages tous plus lugubres les uns que les autres, y compris certains censés être du bon côté, tel ce hibou gothique à la voix caverneuse (John Caradine en VO). Le plus déstabilisant reste sans doute l’absence de frontière balisée entre le bien et le mal, cette fracture rassurante, marque de fabrique de nombre de dessins animés outre-Atlantique. La quête de Mme Brisby la contraint à côtoyer un univers nourri de mysticisme, de forces occultes et de sorcellerie, rapprochant le film d’une Heroic Fantasy très « dark », point de rupture avec le roman qui n’allait pas sur ce terrain. Pour atténuer la violence morale et physique des péripéties, les scénaristes ont intégré des personnages cocasses, amenant une touche d’humour nécessaire pour ne pas perdre définitivement le jeune public, comme le corbeau (avec en VF la voix de l’indispensable Roger Carel) ou même les enfants espiègles de Mme Brisby. Cette dernière est aussi un personnage atypique dans les conventions du dessin animé traditionnel. Il s’agit d’une figure féminine qui est avant tout une mère de famille, profil singulier pour une héroïne qui va défier tous les dangers. Sa sagesse et son humilité définissent une protagoniste habituellement relayée en arrière-plan. Enfin, l’anthropomorphisme, et surtout le fait que les animaux parlent et sont d’une intelligence parfois diabolique, est élucidé à mi-parcours par une révélation surprenante – mais pas totalement convaincante, car elle ne permet pas de justifier pourquoi toute la faune s’exprime intelligemment. La force et la faiblesse du métrage émanent en partie de son scénario chaotique et passionnant, parfois brouillon dans ses péripéties et pourtant d’une folle inventivité.

Brisby et le secret de Nimh

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Pourtant, le travail colossal de Don Bluth ne rompt pas avec la tradition disneyienne sur le plan esthétique. Au contraire, il retrouve la patine visuelle de l’âge d’or du studio alliée à une mise en scène inventive dans le choix des cadrages et le rythme d’un montage limpide. Tout un travail plastique autour de la lumière qui passe par l’utilisation de la couleur accentue la dimension onirique et fantastique de cette incroyable odyssée qui n’a rien perdu de sa splendeur. Les décors volontairement figés, série de tableaux gracieux, ne sont animés que lorsqu’ils sont en interaction avec les protagonistes. La fluidité de l’animation et la joliesse d’un graphisme séduisant renvoient au monde de Disney mais ne sombrent pas dans la mièvrerie. Valorisé par la musique démente de Jerry Goldsmith qui n’est pas étrangère à l’atmosphère particulière, Brisby et le secret de NIMH s’impose comme une œuvre essentielle, une aventure épique et tragique ayant marqué toute une génération, une splendeur visuelle au service d’un récit qui n’élude jamais ses thématiques les plus sombres, en l’occurrence la mort, présente dès le prologue par l’absence de celui dont l’ombre plane durant tout le film, Jonathan Brisby.

Brisby et le secret de Nimh

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Après Fievel et le nouveau monde, Charlie mon héros et Rock-O-Rico, Rimini poursuit l’exhumation de l’œuvre de Don Bluth, proposant ainsi le film dans une copie magnifique accompagnée de deux bonus de choix : l’intervention éclairante de Xavier Kawa-Topor qui revient sur la genèse du film et surtout d’un making off d’époque passionnant qui évoque les étapes de fabrication d’un projet pas comme les autres.

 

 

 

 

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