L’Emploi (Il Posto, 1961), le deuxième long métrage d’Ermanno Olmi, est sorti récemment en DVD, concomitamment au film qu’il réalisera peu après : Les Fiancés (1963).
Le récit se déroule à Milan. Olmi est né dans la région, à Bergame, et a travaillé dans la capitale lombarde, notamment pour la société Edison Volta. C’est dans les locaux de celle-ci qu’il a tourné les scènes concernant le poste que vise puis occupe le protagoniste, Domenico Cantoni.
Le réalisateur filme le développement économique galopant de l’Italie du Nord… Milan, qui est modernisée à travers de grands chantiers, et vers laquelle convergent les provinciaux en quête de travail et attirés par la société dite de consommation. Mais le regard olmien est critique ; désabusé, piquant. La vie dans l’entreprise qu’intègre Domenico est glaçante. C’est un pseudo cocon, une cellule lisse, qui regroupe des ronds de cuir rances et égoïstes, aux attitudes de grisons pointilleux. Une famille inhumaine. Indifférente le plus souvent, parfois cruelle, et au fonctionnement résolument absurde.
Le coursier qui prend Domenico sous son aile, et qui est l’un des seuls hommes manifestant un peu de sympathie pour autrui, a cette phrase marquante : « Dans ce monde, il faut toujours faire confiance à tout le monde… sauf à ceux qui ont deux trous dans le nez » [Attention aux sous-titres, le traducteur ou la traductrice a fait à cet endroit un contresens].
Olmi n’a pas son pareil pour filmer les regards vides, muets, désincarnés que les employés – de quelque grade qu’ils soient – portent sur leurs semblables ou collègues ; pour restituer la tristesse qui imprègne manifestement leur vie quotidienne, mais aussi les moments supposés être festifs, sortant de l’ordinaire. De ce point de vue, la scène du bal organisé par l’entreprise dans laquelle travaille Domenico, scène qui est très proche de celle par laquelle commence le récit de Les Fiancés, est édifiante. Cotillons lugubres et chansonnettes poussées par des voix fausses et stridentes.
Devant Il Posto, on peut d’ailleurs parfois penser à Ossessione, le brûlot à travers lequel Luchino Visconti avait montré en 1942 l’horreur triste et ridicule de la société italienne, même si à cette époque le joug sous lequel elle était supposée être placée était, au sens propre, de nature fasciste.
Le film ne raconte pas seulement la vie laborieuse dans laquelle s’engage Domenico, mais aussi la naissance en lui du sentiment amoureux, quand il rencontre Antonia, une jeune milanaise qui, elle aussi, passe les examens d’entrée dans l’entreprise et commence à y travailler. Domenico, qui aurait encore l’âge de faire des études, apparaît timide, gauche, et, comme la jeune fille le lui fait remarquer, un peu décalé, anachronique par rapport aux mœurs de la grande ville en ce début des années soixante – il vient de la petite cité de Meda, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de Milan, et son père n’apprécie que fort peu les nouvelles habitudes de la jeune génération.
Cela dit, ce n’est pas seulement la difficulté de Domenico à avancer dans sa vie affective, à sortir de ce qui pourrait être une voie de garage, qu’Olmi met en scène… c’est aussi le fait que son existence de travailleur en entreprise l’empêche et l’empêchera de s’épanouir en ce domaine… lui qui va devenir très probablement, et comme les autres, un parfait rouage de la machine à produire et reproduire.
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