Francesco Maselli est né dans la capitale italienne en 1930. Durant la guerre, il aurait eu quelques activités au sein de la Résistance. Dans la seconde moitié des années quarante, il est passé par le célèbre Centre Expérimental de la Cinématographie de Rome. Puis il a été assistant-réalisateur de Luigi Chiarini (Patto col diavolo, 1949), de Michelangelo Antonioni (La signora senza camelie, 1953), de Luchino Visconti (l’épisode Anna Magnani, dans Siamo Donne, 1953).
Réalisé en 1955, son premier long métrage, Les Égarés (Gli Sbandati – littéralement : Les Marginaux) est remarqué. Inédite en France, cette œuvre est maintenant disponible en DVD (Tamasa).
Les Égarés n’est pas un très bon film, nous allons en dire un mot, mais il nous paraît présenter quelque intérêt de par la période historique qu’il évoque et de par sa place dans l’histoire du cinéma italien. Gian Piero Brunetta a d’ailleurs écrit à son propos : « (…) c’est l’une des rares œuvres des années cinquante qui traduit la volonté de ne pas rompre le fil de la tradition néo-réaliste et qui, en même temps, cherche à y ajouter un regard plus lucide concernant l’Histoire » (1).
L’action commence en été 1943. L’Armistice, signé le 8 septembre entre l’Italie et les Alliés, ne tarde pas à être annoncé – signature ayant donc eu lieu après la destitution et l’emprisonnement de Mussolini, en juillet, et le débarquement des Anglo-Américains en une Péninsule envahie par les forces allemandes. Plus tard, les personnages apprendront que Naples a été libérée – le 30 septembre, donc.
La cadre est une grande maison de campagne, La Malga, près de Caldaro – ville se situant à environ 200 kilomètres de Milan à vol d’oiseau -, résidence secondaire d’une famille d’aristocrates composée de la mère, la comtesse Luisa – veuve d’un grand industriel -, et du fils Andrea, 19 ans. Dans les lieux, se trouvent aussi Ferruccio, un ami d’enfance, et le cousin Carlo, fils d’un haut dignitaire fasciste en exil depuis le mois de juillet.
L’idée de Maselli est de montrer une frange de la population italienne – notamment les hautes classes sociales – qui s’est accommodée du fascisme quand elle n’y a pas directement adhéré, et qui se tient ou tente de se tenir loin des dangereuses réalités de la guerre. Mais celle-ci approche et des victimes apparaissent – des réfugiés civils, des soldats italiens que les Nazis veulent incarcérer en Allemagne. Arrive le moment où il faut s’engager, faire des choix. Rejeter les infortunés, ou les prendre en charge à ses risques et périls.
Carlo et Andrea font preuve d’humanité et/ou rejoignent ceux qui résistent. Andrea en un premier temps, en tout cas, car l’emprise de sa mère aura raison de sa faiblesse de caractère, malgré une probable prise de conscience – mais son choix n’avait-il pas d’abord été orienté par l’amour qu’il portait à la jeune et belle réfugiée prénommée Lucia ?
Ferruccio, lui, dénonce traitrement ses amis…
Maselli suggère le conflit qui a déchiré l’Italie à partir de l’été 1943, et qui va perdurer jusqu’en avril 1945. Mais, il ne fait que le suggérer. On est en 1955. Les cinéastes italiens ne sont pas encore à même d’affronter, au sens fort du terme, cette réalité de la lutte entre fascistes et antifascistes que certains historiens ont été jusqu’à appeler une « guerre civile » – cf. les travaux de Claudio Pavone. D’ailleurs, l’auteur de Gli Sbandati fait mention des fascistes, mais comme beaucoup de réalisateurs de l’époque : du bout des lèvres… Et, la plupart du temps, en évitant de montrer les Chemises Noires – on ne voit dans Gli Sbandati que des soldats allemands. Il faut rappeler que, pourtant, la République Sociale Italienne, fondée après la libération de Mussolini par les Allemands, choisit Milan et sa région comme centre administratif.
Il semblerait que Maselli, assez proche du PCI, et ses co-scénaristes Ageo Savioli et Eriprando Visconti – neveu de Luchino et lui même futur réalisateur – aient dû mettre de l’eau dans leur vin pour éviter un blocage complet de la part de la censure du gouvernement démocrate-chrétien de Giulio Andreotti. Ils ne sont pas en mesure d’être aussi vifs, politiquement parlant – concernant les rapports de classes – , qu’Aldo Vergano et ses co-scénaristes Guido Aristarco, Carlo Lizzani, Giuseppe De Santis avec leur film Il Sole sorge ancora – réalisé en 1946, en une époque moins contrôlée par le Pouvoir.
Claude Rieffel écrit à ce propos (in Dossier de presse) : « Pour échapper aux tracasseries et aux obstacles prévisibles Maselli et ses collaborateurs ont tourné Gli sbandati à l’automne 1954 presque clandestinement, en production propre, dans la villa Toscanini aux environs de Crema ». Crema est en Lombardie, à une cinquantaine de kilomètres de Milan.
Le film se termine sur l’assassinat par les Allemands de quelques réfugiés et partisans. La dernière image montre deux corps – dont celui de Lucia – allongés sur une route. Sur cette image, apparaît la date du « 5 octobre 1943 ». Il est étonnant que ne lui soit associée aucune information sur le ou les événement(s) qui lui correspond(ent). Comme si le film n’était fait que pour les Italiens ayant vécu de près les événements en question. Difficile pour nous de trouver la raison de ce choix. Référence est peut-être faite à deux événements : la révolte de Lanciano – dans la région des Abruzzes -, qui coûta la vie à de nombreux Italiens – ceux que l’on appelle « I Martiri ottobrini », les « martyres d’octobre » – ; et surtout la déclaration de guerre lancée par l’Italie contre l’Allemagne le 13 octobre. Des faits comme ceux décrits dans Gli Sbandati justifiant symboliquement une telle décision historique.
Du point de vue visuel, le film impressionne quelque peu en sa seconde partie, celle qui concerne l’intervention allemande, par le climat morne et boueux qui plombe significativement le récit, mais il déçoit aussi, malheureusement, du fait de la froideur des acteurs – que nous avons tendance à considérer comme involontaire. Aucun des personnages n’est franchement habité par les émotions censées le traverser. Mention spéciale à Jean-Pierre Mocky – qui a commencé sa carrière en tant qu’acteur, et notamment en Italie où il obtient un certain succès – et qui brille par son étonnante absence d’expressivité et sa présence fort peu photogénique.
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1) Gian Piero Brunetta, Storia del cinema italiano – Dal neorealismo al miracolo economico (1945-1959), volume terzo, Roma, Editori Riuniti, p.524 [Notre traduction]. Pour bien saisir les remarques de l’historien du cinéma italien, il faut savoir que la première période du néo-réalisme d’après-guerre est considérée comme prenant fin au début des années cinquante – circa 1952 – ; et que, d’autre part, a été reproché à ce premier néo-réalisme sa difficulté à prendre une distance suffisante, permettant un regard lucide et critique sur les événements relatés.
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