Franco Prosperi – « La dernière maison sur la plage (La Settima donna) »

Les années 70 et 80 furent celles de toutes les outrances et de tous les excès pour le cinéma « d’exploitation » italien. A l’affût du moindre filon à exploiter, les cinéastes « bis » transalpins ne se privèrent jamais de surenchérir dans la violence, dans l’érotisme crapoteux, n’hésitant pas à outrepasser toutes les limites du mauvais goût . Zombies, cannibalisme, « nazisploitation », « teensploitation » (est-il envisageable qu’un jour soit réédité en DVD La Maladolescenza de Murgia ? J’en doute fortement), péplums sanglants, comédies désolantes, gore et pornographie mêlés (chez Joe d’Amato), monstres marins… Rien n’échappa à la roublardise des artisans (parfois très talentueux) du genre.

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Franco Prosperi (à ne pas confondre avec son homonyme qui co-réalisa de célèbres « mondos » –Mondo Cane et Mondo Cane 2- avec Jacopetti) n’a sans doute pas la renommée d’un Lenzi, d’un Fulci ou d’un Deodato mais il a le profil typique du cinéaste « bis » italien, passant d’un thriller violent à une comédie navrante ou un film d’horreur. La Settima Donna (sorti en VHS sous le titre Terreur et retitré aujourd’hui La dernière maison sur la plage) est une œuvre assez étonnante, assez symptomatique de la manière dont le cinéma bis italien pilla sans vergogne certains films américains fondateurs. L’œuvre relève d’une sous-catégorie du thriller horrifique que l’on nomme désormais le « rape and revenge ». Il s’inspire bien évidemment du classique de Wes Craven La dernière maison sur la gauche et met en scène trois petits malfrats qui se réfugient après un casse dans une maison isolée où vivent une religieuse et cinq jeunes filles d’une institution catholique répétant une pièce de théâtre.

Tous les ingrédients qui faisaient la puissance de l’œuvre de Craven sont présents : humiliations, attouchements et viols atroces avant que le cours des événements ne bascule et que les victimes finissent par se venger cruellement.

A partir du moment où l’on accepte les conventions de ce genre et qu’on met en exergue toutes les réserves morales que peut susciter légitiment ce type de films bien malsains, on peut trouver que La Settima donna est une œuvre très intéressante.

D’abord parce qu’elle est plutôt bien réalisée, avec une belle photographie mettant bien en valeur la beauté des lieux (cette maison perdue dans un décor idyllique de mer et de plage) et de nombreuses bonnes idées de mise en scène, notamment un hold-up en guise de prologue filmé avec un indéniable brio (une caméra qui saisit l’action en filmant les mollets des personnages).

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D’autre part, parce que la nature même de l’œuvre ne cesse de questionner notre place de spectateur et d’interroger nos rapports les plus pulsionnels aux images. Dans une scène assez intense, tout le groupe se retrouve devant un écran de télévision. A l’image, une femme effectue un strip-tease qui finit par échauffer l’assistance (masculine). Et c’est ce film qui finit par pousser les trois compères à violer une des jeunes femmes. Scène terrible, avec un plan au ralenti particulièrement éprouvant, mais qui renvoie aux pulsions les plus enfouies et les plus inavouables du spectateur. Car voir un film, n’est-ce pas aussi désirer jouir de l’image d’une actrice ? Prosperi joue constamment avec le feu, plongeant le spectateur dans un certain malaise et le tiraillant entre deux attitudes contradictoires : d’un côté, un rejet violent pour les actes ignobles commis par les trois voyous ; de l’autre, un désir secret, morbide d’en voir plus et de jouir d’un spectacle à sensation, bien confortablement assis dans son fauteuil (toutes proportions gardées, ce fut aussi  l’un des thèmes fétiches d’Hitchcock qu’on retrouve là).

La Settima donna est donc un film plutôt racoleur, réservant quelques scènes bien traumatisantes, notamment un viol avec un gros bâton (heureusement hors-champ mais filmé de manière hallucinée, avec répétition de plans, grimaces outrancières et ralentis!), mais qui se révèle, au bout du compte, bien moins complaisant qu’un film comme La maison au fond du parc où Deodato allait si loin dans l’innommable que son voyeurisme exacerbé finissait par devenir fascinant.

De la même manière, la revanche finale des victimes est d’une belle ambiguïté (c’était déjà le cas dans le film de Craven). D’un côté, le spectateur ne peut s’empêcher d’applaudir la déroute d’ignobles bourreaux mais, de l’autre, le film fait une fois de plus appel à ses plus viles pulsions pour jouir d’une vengeance aussi barbare (ou presque) que les crimes commis auparavant.

Là encore, Prosperi nous fait marcher sur le fil du rasoir, mettant à nu les instincts les plus sombres de l’espèce humaine lorsque craque le vernis de la civilisation.

Il manque sans doute la dimension « politique » qui faisait l’intensité de La dernière maison sur la gauche de Craven mais si on accepte les codes et conventions d’un certain cinéma d’exploitation, La Settima donna est une jolie curiosité et une petite réussite…

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Bonus.

Une fois de plus, les éditions Artus nous proposent un DVD de grande qualité (copie impeccable, version originale et version française…). En supplément, David Didelot revient longuement sur ce sous-genre que fut le « rape and revenge » italien. Si le rédacteur de Videotopsie n’est sans doute pas totalement rompu à l’exercice de parler devant une caméra, ce qu’il raconte est tellement passionnant qu’on oublie très vite qu’il semble un peu mal à l’aise. Après avoir analysé intelligemment La Settima donna, il nous narre avec force détails croustillants et anecdotes la geste d’un genre tombé en désuétude mais qui savait pourtant si bien soulager les cœurs lourds et apaiser les âmes tourmentées…

La dernière maison sur la plage (La settima donna) (1978) de Franco Prosperi avec Florinda Bolkan, Ray Lovelock

Editions Artus films

Sortie en DVD le 3 février 2015.

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A propos de Vincent ROUSSEL

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