Franco Prosperi – « Les Bêtes féroces attaquent / Belve feroci » (1984)

Franco Prosperi – à ne pas confondre avec son homonyme et compatriote Francesco Prosperi, ayant lui aussi œuvré dans le bis Italien, on lui doit notamment le « Rape and Revenge » La Dernière maison sur la plageLa Settima Donna en VO – ne semblait initialement pas se destiner au 7ème art. Diplômé en sciences de la nature et en agronomie, le futur cinéaste se lance d’abord dans la recherche ethnologique et éthologique avant de se spécialiser en ichtyologie – partie de la zoologie dédiée aux poissons – et diriger plusieurs expéditions. Il commence dans les années 50, à réaliser plusieurs documentaires sur la nature dont certains seront primés – Prosperi jouissant d’un grand prestige dans le monde scientifique – comme Les Voyages Merveilleux, il écrit pour diverses revues et publie également des livres comme Au Royaume des Coraux. Il se rapproche du cinéma et s’éloigne de la science suite à sa rencontre avec Gualtiero Jacopetti, avec qui il réalisera en compagnie d’un troisième réalisateur, Paolo Cavara, Mondo Cane en 1962. Les trois hommes sont ainsi à l’origine de l’un des registres les plus haïs l’histoire du cinéma à savoir le « Mondo » soit des documentaires d’exploitation un brin déviants, caractérisés par l’utilisation d’images très crues, souvent racoleuses et choquantes au service d’un même thème.

Suite au succès de Mondo Cane, Franco Prosperi poursuit dans cette voie et co-réalise plusieurs « Mondo » avec Gualtiero Jacopetti, lesquels seront régulièrement entachés de polémiques. Par exemple, Africa Addio (1965), un documentaire de 2h20 sur la décolonisation africaine qui engendre procès et manifestations en séries, puis rebelote avec Les Négriers (1971), un docu-fiction pensé comme une œuvre anti-raciste qui crée à nouveau le scandale en étant jugé à l’époque « encore plus raciste que Naissance d’une Nation ». La collaboration entre Jacopetti et Prosperi s’arrêtera après Mondo Candido (1975), une adaptation très libre de Candide de Voltaire. Les années suivantes, Franco Prosperi persiste dans le « Mondo » mais uniquement comme producteur – Savana Violenta (1976) & Dolce e selvaggio (1983) du duo Antonio Climati/Mario Morra ou encore Mondo cannibale (1980) de Jess Franco – avant de réaliser son ultime film : Les Bêtes féroces attaquent. À la différence des précédentes réalisations de Franco Prosperi, celle-ci est une pure fiction, s’inscrivant dans un genre fraîchement relancé par le succès monumental des Dents de la Mer quelques années plus tôt : le film d’attaque animale.

Une nuit, Rip Berner (John Aldrich), un jeune vétérinaire travaillant dans le zoo d’une ville d’Europe du Nord, reçoit un appel téléphonique urgent de son ami Nat Werner (Ugo Bologna), un inspecteur de police, l’informant que des milliers de rats se sont échappés des égouts et ont attaqué un jeune couple dans leur voiture. Les rats sont exterminés au lance-flammes, à l’exception de quelques spécimens que Rip décide d’examiner en laboratoire. À son retour au zoo, il découvre que les cages sont ouvertes et vides… Panthères, léopards, ours, éléphants se sont échappés, envahissent la ville et agressent les habitants. Rip Berner et sa collaboratrice, la journaliste Laura Schwartz (Lorraine De Selle), vont essayer de comprendre pourquoi ces animaux sont devenus soudainement aussi dangereux avant qu’il ne soit trop tard…

Au prix d’un tournage chaotique – éparpillé dans plusieurs régions du monde allant de Rome à Johannesburg en passant par la Rhodésie – non dénué de risques, Les Bêtes féroces attaquent se distingue des autres productions du même registre par un refus palpable de recourir aux effets spéciaux et une limitation des trucages au profit d’un réalisme maximal. On peut voir dans cette volonté, une réminiscence du passé de documentariste de Franco Prosperi, également perceptible sur le plan du scénario construit sur une multiplication des intrigues et une accumulation de séquences d’attaques. Le film s’écrit presque directement par son montage – confié à Mario Morra qui avait déjà travaillé sur Mondo Cane 2, Savana Violente ou Dolce e selvaggio – dans lequel les différentes situations se juxtaposent en montage alterné, créant ainsi une progression dramatique montant crescendo, délestée du moindre temps mort. Un peu comme si le cinéaste captait une matière brute de son coté avant de confier à son monteur le soin de la rendre la plus scotchante possible. Il résulte de cette approche, un spectacle souvent impressionnant – des éléphants perturbant la piste d’atterrissage d’un aéroport, une jeune femme en voiture poursuivie par un léopard -, généreux – les diverses attaques sont aussi variées que les différents animaux mis en scène – et jusqu’au-boutiste. Franco Prosperi ne lésine pas sur les images gores, les séquences chocs : le jeune couple dévoré par les rats, l’agression sauvage par son chien d’un aveugle avec musique classique en contrepoint sonore ou encore un écrasement de tête par un éléphant,… Il s’autorise même à introduire le personnage de Suzy, la très jeune fille de Laura par un furtif plan de nu, à la fois racoleur et subversif.

La violence parfois extrême à laquelle se laisse aller le réalisateur se fait le reflet d’une société en pleine détérioration dont les négligences ont conduit au pire. Les plans inauguraux, seules images de jour du long-métrage – flot d’images de la ville alternant architectures modernes, courants d’eau, fontaines, seringues, déchets polluants, animaux et pancartes du zoo… – ancrent immédiatement le récit dans le réel, comme un avertissement sur sa véritable nature, désespérée. L’idée d’un cinéma d’épouvante alarmiste sur la question écologique renvoie au Long Weekend réalisé par Colin Eggleston en 1978, chef-d’œuvre du genre, impressionnante réflexion sur les rapports homme/nature où dans le cauchemar des héros se reflétait l’avenir de notre monde.
On peut noter l’ironie des premières images filmées d’un hélicoptère avant de plonger dans les sous-sols d’un métro jonchés de déchets, comme si Prosperi n’était pas dupe sur sa propre responsabilité de citoyen dans ce qu’il fustige. Ce sous-texte se manifeste on ne peut plus explicitement par le biais du montage lorsqu’une violente séquence d’attaque se croise avec une conférence portant sur le thème suivant : La nature peut-elle se venger ?

La noirceur du film s’affirme sans ambiguïté dans un derniers tiers particulièrement sombre : la lumière disparaît de la ville à la suite d’une coupure d’électricité et le film d’attaque animale bascule vers le film de contamination, le spectacle « insolite » se mêle à l’angoisse la plus primaire. Derrière la série b « décomplexée » on décèle le pessimisme d’un cinéaste qui ne cache ni sa colère et ni son inquiétude, à l’encontre de multiples évolutions en cours : des technologies présumées plus « sûres » remplaçants progressivement les individus, lesquels sont en proie à un égoïsme grandissant, les détournant de leurs devoirs élémentaires comme par exemple l’éducation délaissée au profit d’une carrière professionnelle… La dimension la plus troublante dans cette charge étant que son aspect potentiellement « réactionnaire » épouse des préoccupations plus que jamais d’actualité, le temps confère alors au film un caractère étonnamment avant-gardiste dans son propos. Œuvre presque hybride, tiraillée entre purs instincts « bisseux » et velléités thématiques le rapprochant du film d’auteur, Les Bêtes féroces attaquent est plus qu’une simple curiosité et surtout le précieux témoignage d’un prototype de cinéma qui n’aurait désormais plus aucune chance de voir le jour en l’état.

Saluons tout d’abord l’initiative de l’éditeur The Ecstasy Of Films d’avoir déterré ce film méconnu et permettre à la réhabilitation d’un homme important mais complètement oublié du bis italien. Disponible pour la première fois en France, le film débarque simultanément en Blu-Ray et DVD, dans un nouveau master HD de très bonne facture. L’édition s’accompagne de près de deux heures de suppléments parmi lesquels on recommande tout particulièrement l’entretien avec Franco Prosperi. Un document riche en anecdotes savoureuses sur la genèse du film et son tournage, le réalisateur raconte avec humour et en toute décontraction, les problèmes en cascades qui ont été rencontrés : aussi instructif que savoureux. Intéressant également, l’analyse du film par Sébastien Gayraud (historien du cinéma et auteur notamment de Joe D’Amato : Le réalisateur fantôme) revenant sur le riche parcours de Franco Prosperi avant de se focaliser ensuite sur Les Bêtes féroces attaquent.

 

Disponible en Blu-Ray et DVD chez The Ecstasy of Films.

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A propos de Vincent Nicolet

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