Avec un tel titre, hommage à peine voilé au Sette Notte in nero de Lucio Fulci, 13 notes en rouge confirme la nette évolution du cinéma de François Gaillard après ses premiers essais co-réalisés avec Christophe Robin, Blackaria et Last Caress. Il continue de creuser un sillon peu exploré dans nos contrées, affinant ainsi un univers onirique et fétichiste, évoquant tour à tour Lewis Carrol, le giallo, l’âge d’or du cinéma de Hong Kong et les grands artisans populaires du Japon, tels Seijun Suzuki et Norifumi Suzuki, parmi les nombreuses références qui égrènent le métrage. Malgré son amour indéfectible envers la production italienne des années 60/70, réduire le film à un exercice de style hommage à Dario Argento et Mario Bava serait une erreur, non pas un contresens, mais une approche étriquée d’un cinéma fantasque et débridé, toujours à la limite du pastiche sans verser dans la parodie.
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Copyright Sadique Master – 13 notes en rouge
C’est aussi cet aspect qui empêche 13 notes en rouge de sombrer dans le ridicule, cette distanciation lucide, cette conscience de ses propres limites et de la faiblesse du propos. La minceur de l’intrigue et la pauvreté de certains dialogues alliés à une inégale direction d’acteurs ne freinent pas le plaisir instantané que l’on prend à ce délire visuel ramassé en moins d’une heure quinze minutes. Le scénario puise son inspiration du côté du giallo, amorçant une narration intéressante avant de virer au grand n’importe quoi dans un dernier quart d’heure démentiel. Entre-temps, le film ne cesse de faire des pas de côté à l’image de cette improbable virée nocturne avec l’apparition surréaliste d’un gang de rollers tout droit sorti de Warriors de Walter Hill.
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Copyright Sadique Master – 13 notes en rouge
Pour faire court donc, Charlotte se réveille en pleine nuit après une soirée arrosée. Elle entend sa colocataire gémir. Cris de plaisir ? Pas vraiment, la jouissance n’étant pas au rendez-vous, elle se fait violemment agresser par un homme masqué, tout droit sorti de Vierges pour le bourreau. Charlotte se retrouve ainsi confrontée à ce mystérieux assaillant qui lui réclame un objet qu’elle lui a subtilisé. Ravivant ses souvenirs, elle se remémore le fil de cette nuit de débauche dans une luxueuse villa transformée en club, le Verneuil.
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Copyright Sadique Master – 13 notes en rouge
Après une bonne décennie de gestation (rappelons que le tournage a commencé en 2011), François Gaillard explose les limites du bon goût, déflagration de scènes gores épicées d’un érotisme plus discret – et justifié – que dans ses essais intérieurs. On ne louera jamais assez la qualité des maquillages et effets spéciaux de l’indispensable David Scherer qui transforme le plomb en or avec ses doigts de fée maléfiques. Ce soin apporté aux meurtres graphiques, dominés par la couleur rouge qui inonde littéralement l’écran, participe à la réussite de cette néo-série B qui a l’air de posséder un budget nettement supérieur à ce qu’il en est réellement. On pourra toujours reprocher au film sa gratuité constante dans la violence, mais force est de reconnaître que le résultat procure un effet de sidération par sa constante invention visuelle, de son montage frénétique à ses cadrages sophistiqués en passant par ses mouvements de caméra ingénieux. La dimension outrancière de la direction de la photographie procure une euphorie contagieuse, greffe réussie entre les afféteries du clip vidéo des années 80 et la colorimétrie agressive des classiques du giallo et du fantastique transalpin. Cette approche esthétique cohérente est mise en valeur par le score de Double Dragon qui signe sa meilleure partition, mélange d’électro vintage et de ritournelle enfantine.
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Copyright Sadique Master – 13 notes en rouge
Malgré ses défauts évidents, exhibés sans aucune honte, principe même du cinéma bis décomplexé, 13 notes en rouge se distingue des productions amateures par sa générosité, son désir constant d’amuser le public et surtout sa forme brillante rivalisant sans peine avec des films bien plus argentés. La fin emporte tout sur son passage, par sa sauvagerie et son hystérie pulsionnelles, convoquant Brian de Palma, Tsui Hark et Jim Henson. À voir pour le croire. Édité par le Sadique Master Festival, le Blu-ray contient une intervention de l’équipe lors de l’Avant-première, le trailer et le clip, Dome Sweet dome.
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Romance post mortem
Cela nous donne l’occasion d’évoquer le premier court métrage, assez fascinant, de Tinam Bordage, créateur du Sadique Master Festival. Le thème est simple, une jeune femme se réveille nue dans une caverne à côté de sa copine morte et la tentative de la ranimer se mue en séquence de sexe et d’horreur. Vue la personnalité du réalisateur on aurait pu craindre un simple objet de provocation tentant de repousser les limites le plus loin possible et d’éprouver les nerfs du spectateur, en lui filant un peu la nausée. Or – on ne va pas se mentir – s’il y a de ça, Romance post mortem ne s’arrête pas là. Certes, notre regard est plutôt maltraité dans ce spectacle nécrophile et cannibale, en ce désir absolu de briser les tabous. Les effets spéciaux et maquillages incroyables de David Scherer y sont pour beaucoup : le croquement de téton n’est qu’un début, dira-t-on pudiquement. Mais Tinam Bordage ne se contente pas de faire un doigt d’honneur aux esprits étriqués : il installe une atmosphère tourmentée, putrescente, pas loin de Baudelaire. Romance Post-Mortem courtise évidemment la porn-horror, mais se pare d’une poésie décomposée qui sans atteindre la splendeur de Thanatomorphose d’Eric Falardeau s’en rapproche parfois. On est aussi épaté par les prestations de Vanda Spegler et Hikiko Mori qui tiennent autant de la performance que du jeu d’actrice. Le défaut de Romance Post Mortem est probablement de ressembler un peu à un extrait de film de 12 minutes, comme une séquence finale de long métrage, ce qui rend l’expérience un peu frustrante et la sensation d’une écriture inaboutie, un peu brouillonne. Mais il n’en demeure pas moins unique, et nous laisse curieux quant à la suite de la carrière du réalisateur.
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