Inédit en salles, à une époque où pourtant les distributeurs n’hésitaient pas exploiter ce type de production horrifique intégrant humour et horreur dans un esprit bon enfant, Extra sangsues, sorti en VHS sous le titre de La nuit des sangsues en 87, s’inspire ouvertement de la série B de SF et fantastique des fifties. L’introduction au parfum cheap euphorisant en est la plus éclatante preuve.
Quelque part dans l’espace où personne ne vous entend crier, endroit idéal où peuvent se chamailler des êtres venus d’ailleurs dans l’indifférence totale, un vaisseau dérive. A l’intérieur des ET au look tout droit sorti d’une production Charles Band, vêtus d’un costume en latex possédant un certain charme, rappelant vaguement le bébé du Monstre est vivant de Charles Band, s’invectivent au sujet d’une expérience qui a mal tourné. Pas très écolos, ils éjectent leur « erreur » hors du vaisseau. Évidemment, cette entité non identifiable, atterrit sur la pauvre terre dans l’Amérique des années 50, contrée hostile à toute invasion interne ou externe. Comme dans Hidden, elle s’empare du corps des humains les transformant en machine à tuer. Un couple d’amoureux à bord de leur voiture en fera les frais.
Mis en valeur par un somptueux noir et blanc et une reconstitution d’époque soignée en regard du budget alloué, le prologue se déguste comme une mise en bouche alléchante, augurant le meilleur pour la suite, qui fait un saut dans le temps, 30 ans plus tard. Bienvenue dans les années 80. Dans l’enceinte d’une université d’une petite ville des Etats-Unis, Chris et JC incarnent les archétypes des étudiants boutonneux en quête de sexualité nouvelle. Sans surprise, ils ratent à peu près tout ce qu’ils entreprennent et sont ridiculisés par les cadors du campus. Refrain connu des teen-movie de consommation, loin de la délicatesse des meilleurs productions John Hughes. Mais Chris s’amourache de Cynthia, jolie blonde qui fait partie des Oméga Gramma. Pour intégrer ce club select les deux nigauds doivent mettre un cadavre devant le fief des membres de la fratrie. Ils ne trouvent pas idée plus débile que d’aller voler un corps conservé dans le département de recherches scientifiques du campus. Evidemment ce corps qui n’est autre que celui d’une des victimes présente dans la voiture, est conservé pour la simple raison qu’il est porteur d’un virus inconnu, libérant des sangsues venue d’ailleurs s’emparant des individus pour se reproduire.
Derrière ce scénario gentiment extravagant, renouant avec les productions délirantes d’un Roger Corman, Extra-sangsues ne sait pas trop quelle direction emprunter, tiraillé entre le second degré à la lisière de la parodie et l’hommage révérencieux à tout un pan du cinéma populaire faisant les joies des drive-in. Le spectateur est un peu comme le détective Cameron interprété par l’excellent Tom Atkins, qui, dubitatif se demande s’il s’agit « d’une enquête criminelle ou d’une mauvaise série B ». Entre les deux le cœur balance, car Fred Dekker, véritable amoureux du fantastique , respecte à la lettre les codes du genre, offrant à plus d’une reprise des séquences d’une générosité décomplexée. Les sangsues, visqueuses comme il se doit, à l’animation parfaitement crédible, s’infiltrent partout, prennent possession des résidents qui se transforment alors en infectés, proche de zombis, animés de pulsions meurtrières. Le film ne lésine pas sur les séquences gores ni sur les effets spéciaux complaisamment étalés, multipliant les scènes de meurtres inventives et amusantes, palliant en partie les déficiences d’un récit chaotique.
La sincérité du cinéaste transpire à l’écran, contamine les protagonistes qui semblent s’amuser comme des petits fous dans cette série B débridée marquée par un goût excessif du private joke. Ne pouvant se payer le luxe d’inviter des « stars de l’horreur » pour des caméos comme peuvent se le permettre régulièrement Joe Dante et surtout John Landis, Fred Dekker attribue à ses personnages les noms de ses réalisateurs fétiches. Ainsi, défilent Cronenberg, Carpenter, Raimi, Landis, Cameron, Craven … Cette idée amusante tourne court et révèle néanmoins l’impasse dans laquelle se trouve le film, parasité par ses innombrables références et son absence totale de sérieux, conférant à l’ensemble une sensation de facilité. En refusant le premier degré, Fred Dekker porte atteinte bien malgré lui au cinéma d’épouvante, rejoignant cet esprit très années 80 tournant le dos aux brûlots dérangeant s et progressistes de la décennie précédente. Ce virage, amorcé par Evil Dead en 82, s’inscrit pleinement dans cette idéologie réactionnaire, réactivant des réflexes conservateurs, induisant à la fois que la menace est toujours extérieure à l’Amérique et que tout cela est au fond inoffensif; il ne s’agit que d’un film au demeurant extrêmement plaisant.
Cependant, la dimension la plus problématique concerne l’écriture des personnages, réduite au néant. Les deux teenagers, endossés par deux comédiens transparents, sont insupportables, caricatures pénibles des loosers rencontrés dans des films potaches comme les Porky’s ou Le palace en délire. Leur sort respectif indiffère, ils n’existent pas à l’écran, débitant des dialogues consternants entre vannes débiles et réflexions existentielles niveau primaire sur l’amitié et l’amour. Au point de souhaiter à plusieurs reprises qu’ils meurent dans d’atroces souffrances par les sangsues agiles et voraces.
En dépit de ses défauts que certains par nostalgie déplacée voudraient faire passer pour des qualités, Night of the creep s’avère un premier long métrage visuellement maîtrisé, doté d’une très belle photographie mettant l’accent sur les couleurs vives. Hélas, après cette semi réussite, la carrière de Fred Dekker ne décollera jamais vraiment, même si ‘année suivant il réalise l’excellent The monsters Squad, hommage très réussi et plus équilibré, aux monstres célébrés par la Universal dans les années 30. Il est aussi l’auteur de House de Steve Miner. Mais, sa carrière est stoppée net suite à l’échec de Robocop 3, navet pitoyable pourtant co écrit par Frank Miller, qui ferait presque passer le deuxième opus pour un chef d’oeuvre. L’éternelle histoire d’un petit talent broyé par le système Hollywoodien même si récemment on a retrouvé Fred Dekker derrière le scénario du Predator de Shane Black.
Hésitant entre le teen-movie en vogue et le pur film d’horreur viscéral nimbé de SF à l’ancienne, avec tous ses effets carton pâte de rigueur, Night of the creep s’impose finalement comme une série B modeste et divertissante, (trop?) consciente de ses limites.
Déjà édité en Import, Extra-sangsues débarque grâce à Elephant, pour la première fois en France en HD depuis son édition VHS, de quoi satisfaire pleinement les (nombreux) amateurs de ce petit classique des années 80. Le Blu ray est agrémenté de nombreux bonus issus en partie du disque américain: Making of, scènes coupées et fin originale. Julien Comolli revient également sur le film et sur tout sur la carrière de Fred Dekker dans Black et Dekker.
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