George Romero – "Survival Of The Dead"

6ème opus de l’oeuvre zombiesque de Georges Romero, Survival Of The Dead marque, à l’instar des précédents Land Of The Dead et Diary Of The Dead, le changement dans la continuité. Ou comment tenir la promesse toujours renouvelée d’extrapolations inédites autour d’un canevas inamovible (cette fameuse nuit où tout a basculé).

Oeuvre plus ambitieuse qu’elle n’y paraît (mais n’est-ce pas le cas de tous les films de Romero?), Survival revient à des codes narratifs classiques après l’expérience concluante (car joueuse et vivifiante) de Diary, documenteur qui parvenait – à l’instar du Redacted de De Palma – à émettre un point de vue quand d’autres ne se bornent qu’à enregistrer le réel sans implication. Œuvre de vieux grigou retrouvant le goût du jeu, Diary voyait Romero organiser un habile mélange d’horreur, de comédie et de jeu pop sur les charmes du gothique à l’américaine, celui des fameux E.C. Comics, notamment. Pas une nouveauté en soi pour le réalisateur, on se souvient des hallucinations de Martin, de la course finale dans la mine de Day Of The Dead éclairée rouge et vert ainsi que de son savant fou, de Creepshow, évidemment… Dans Diary, le gothique s’incarnait dans la fausse momie, acteur du film dans le film grimé pour l’éternité car zombifié en état, condamné à jouer le rôle de toute sa non-vie. L’astucieux dispositif permettait une inversion des codes jouant sur la mise en perspective d’un cliché de cinéma s’imprimant sur la pellicule du réel, dans un documenteur oeuvrant nécessairement sur le fameux point de suspension de crédulité, sur la croyance aveugle du voyeur-spectateur. Oeuvre à l’intertextualité passionnante et très intime, Diary avait surpris après un Land Of The Dead ultra politique et à grand spectacle, tourné vers l’extérieur et coléreux. Pourtant, à rebours, le film s’inscrit comme Land dans une approche toujours renouvelée de la scène première, en continuité mais sous un autre angle, avec d’autres armes cinématographiques (pour exemple, Land marquait l’usage pour la première fois pour Romero du format scope). La notion de spin-off est à cette égard primordiale dans toute la saga Of The Dead, puisque chaque épisode, tout indépendant qu’il est, peut se lire comme un récit dérivé de la fameuse Nuit. Romero resserre d’ailleurs les liens aujourd’hui puisque Survival découle directement de Diary, son dernier métrage reprenant les personnages de gardes nationaux-braqueurs croisés dans le précédent. On retrouve d’ailleurs, dans le montage américain de Dawn Of The Dead (le fameux Zombie), peu ou prou les mêmes personnages, croisés cette fois alors que nos héros fuient la ville, policiers et gardes pillant les docks avant de partir pour une hypothétique île. Autre figure récurrente de la saga, cette île nourrissant tous les espoirs de refuge et qui ici s’incarne enfin. Pour tout vous dire, on s’attendrait presque à voir débarquer ce bon vieux Ken Foree, héros magnifique de Zombie, aux commandes de son hélicoptère. Diary ayant rebooté la série, la blague ne l’est qu’à moitié…

On a donc un cinéaste construisant presque à son insu (on a beaucoup glosé sur le fait que Romero ne trouverait des financements qu’à condition qu’il fasse un de ses fameux films de zombie) une oeuvre unique et réellement cohérente, feuilletonesque en diable et infiniment humaine. Nouvelle preuve, ce Survival plutôt généreux en gore (Romero a toujours autant d’imagination dans l’art d’éliminer du zombie) et en péripéties. Astucieusement construit, le scénario commence sur deux lignes narratives, l’une façon road movie à la Diary – les gardes sur la route – l’autre en western insulaire rappelant l’ambiance sur la base militaire de Day Of The Dead. Romero, fin conteur, se sert de la dynamique de la première ligne – ouverte, en mouvement contrairement à l’autre, centré sur la notion de territoire – pour faire vraiment décoller son film lorsque la petite troupe reconstituée débarque sur l’île. Pendant une poignée de scènes, les yeux entre deux eaux, deux lignes narratives se croisent sur une île pleine de chimères. Tranquillement, Romero a l’élégance (et le talent d’écriture) de laisser les enjeux peu à peu se recoller, avant l’inévitable esclandre menant au coeur shakespearien du film, cette scène fabuleuse voyant une mystérieuse cavalière zombie traverser la lande à bride abattues. Un soldat – She’s Beautiful. Le commandant – She’s Dead. Le capitaine – She’s my daughter. S’appuyant sur une image rappelant à la fois Roger Corman et le gothique italien, Romero touche ici au romantisme le plus funeste et pousse le bouchon jusqu’à donner à sa triste cavalière un soeur jumelle encore du monde des vivants, figure fantastique s’il en est permettant les effusions les plus intempérées. Un bien beau noeud dramatique, avouons-le. Le récit peut ensuite se resserrer sur son enjeu insulaire, mâtiné de dogmatisme religieux et de rancoeurs ancestrales, motifs mythiques d’une certaine Grande Histoire Américaine. Puis de se conclure sur une note caustique renvoyant directement à The Crazies, autre classique de Romero ayant été récemment plutôt plaisamment remaké (on s’amusera aussi de la proximité, sur cette note caustique, de Romero avec le Mario Bava de La Baie Sanglante et de Cani Arrabiati, sarcastique et féroce, amateur de twist final en sarcasme).

S’inscrivant comme une nouvelle étape dans la filmographie de Romero, Survival Of The Dead s’avère aussi roboratif que surprenant (la petite indolence au coeur du récit ajoutant au charme de cette île de la mort qui marche). Sans ressasser ni se désintéresser, Romero prouve que la mythologie qu’il a posé il y a maintenant plus de 40 ans est suffisamment ouverte pour accueillir moults récits sans jamais se trahir. On attend impatiemment la suite, forcément.

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