Derrière le titre opportuniste des Rendez-vous de Satan, lié sans doute à sa sortie Française en 1979 pour surfer sur le succès déjà lointain de L’Exorciste ou de son ersatz L’Antéchrist, se cache en réalité un beau giallo dont on préférera la traduction originale : Perche quelle strane gocce di sangue sul corpo Jennifer?
A moins de chercher loin dans de vagues métaphores fumeuses, l’ombre de Satan ne figure pas dans cette histoire policière somme toute classique. Des jeunes femmes sont assassinées dans un même immeuble appartenant à l’architecte Andrea. Un inspecteur bourru, échappé d’un film français des années 50, mène l’enquête. Andrea, rapidement soupçonné, invite un mannequin, Jennifer, au passé trouble à s’installer dans l’immeuble. Sa vie est alors menacée.
L’ouverture ne fait aucun mystère du genre dans lequel le film s’inscrit. Une femme glisse une pièce de monnaie dans une cabine téléphonique. Une voix répond « Ah c’est toi » puis la caméra suit la jeune femme pendant que le générique défile sur la musique hypnotique de Bruno Nicolai. On peut considérer qu’il s’agit du point de vue de l’assassin suivant la jolie blonde jusqu’à l’issue fatale dans un ascenseur. Le travail de Stelvio Massi en tant chef op, futur réalisateur de polars urbains aussi efficaces qu’ultra droitiers, demeure saisissant. D’emblée avec son style imbriquant regard semi documentaire et recherches esthétiques, il instaure une ambiance familière mais envoûtante. Le meurtre dans l’ascenseur fascine par la virtuosité du découpage, l’enchaînement de plans insolites alliant contre plongée et gros plans soigneusement composés.
Cette entrée en matière surprend de la part d’un artisan peu coutumier du genre, davantage habitué à faire fumer les colts dans des westerns décontractés (Django arrive préparez vos cercueils, Bonne funérailles, amis, Sartana paiera) ou à émoustiller le voyeur qui sommeille en nous avec des comédies sexy italiennes (La championne du collège, La vamp du bahut).
Guliano Carnimeo, dissimulé sous son pseudo habituel Anthony Ascott, signe sans doute son meilleur film, le plus ambitieux et maîtrisé de sa carrière. Sur le plan formel, Les rendez-vous de Satan aligne des motifs visuels audacieux tels ces jeux de miroirs très graphiques ou ces cadrages insolites instillant une atmosphère trouble.
Ce thriller transalpin possède également une légèreté singulière. Tous les codes usités sont présents: l’assassin au visage masqué, les meurtres sanglants à l’arme blanche, l’érotisme (discret) lié à la mort, le décor post moderne d’une bâtisse à l’architecture rectiligne.
Mais une décontraction permanente plane sur ce giallo sensuel et plaisant, doté d’un scénario bien structuré, dénué d’invraisemblances grossières, écrit par le stakhanoviste Ernesto Gastaldi. Ce dernier a imaginé une intrigue lointainement inspirée de L’assassin habite au 21 de Henri-Georges Clouzot.
Le film s’éloigne des machinations cyniques qu’affectionnent à l’époque Umberto Lenzi et Sergio Martino pour retrouver le plaisir innocent du whodunit classique dans l’esprit des romans populaires de Stanislas-André Steeman.
Par sa galerie de personnages pittoresques, ce giallo au carré frôle même le pastiche : la danseuse noire, le photographe homosexuel, l’amie délurée de l’héroïne, le flic gaffeur, le bellâtre que tout accuse. Ce défilé de silhouettes stéréotypés et ludiques fonctionne comme une mise en abîme de la part d’un cinéaste qui déjoue les conventions et les codes avec malice. Les nombreuses références, de 6 femmes pour l’assassin aux Diaboliques, prennent des allures de rappels et/ou d’hommages vibrants de la part d’artisans (Carnimeo et surtout Gastaldi) sachant très bien que les modèles sont indépassables. Alors autant s’amuser, prendre le thriller transalpin pour ce qu’il est: un sous-genre gentiment transgressif, un roman photo pervers mêlant violence et érotisme.
Cette absence de prétention empêche le film de côtoyer le ridicule en multipliant les rebondissements éventés ou encore en s’appuyant sur une psychanalyse de comptoir. Derrière ses oripeaux de divertissement pour adultes, Les rendez-vous de Satan prend le pouls de l’Italie du début des années 70. La libéralisation sexuelle et l’évolution de la société sont au cœur du sujet d’une œuvre qui pourrait passer en apparence, via une lecture prosaïque, pour réactionnaire. Hors, en grattant la surface, le film de Carnimeo érige au contraire un discours progressiste singulier.
Le tueur s’en prend à des jolies demoiselles aux mœurs légères (stripteaseuses, lesbiennes, mannequins). On pourrait penser que le film épouse le point de vue puritain et castrateur de l’assassin.
Le récit, à la manière de Mais … qu’avez-vous fait Solange, ? s’engouffre un temps vers une atmosphère déliquescente dénonçant le passé de l’héroïne, tentée par la débauche au sein d’une communauté libertaire un peu douteuse. Mais cette orientation est un leurre, d’autant que le film se dispense du racisme ordinaire et de l’homophobie récurrente de beaucoup de productions bis. Par une ultime pirouette, lors d’un épilogue détonnant, formant une boucle reprenant le même schéma que le début, Les rendez-vous de Satan renverse son idéologie conservatrice en trompe l’oeil. Tous les assassins du monde n’empêcheront pas la société d’évoluer. Une petite touche subversive qui redouble le plaisir à suivre cette récréation ludique, parfaite intronisation pour les néophytes dans l’univers du giallo.
Les courbes de la divine Edwige Fenech n’occultent pas son talent de comédienne. La direction d’acteur s’avère surprenante jusque dans les moindres seconds rôles, de l’excellent Giampiero Albertino, éternel second couteau, parfait en flic à l’ancienne, à la pétulante Paola Quattrini, très drôle en blondinette faussement ingénue.
La copie proposée est magnifique. Le chat qui fume continue à offrir de beaux objets agrémentés de bonus précieux avec des interviews de George Hilton et Paola Quattrini et une intervention éclairante de Francis Barbier soulignant l’originalité de ce giallo précieux et souvent mésestimé.
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