En 1974, le petit âge d’or du giallo commence à prendre fin, supplanté par l’explosion inopiné des polars urbains violents et excessifs calqués sur les modèles combinés de French connection et L’inspecteur Harry. A sa manière, Dario Argento va boucler la boucle avec son méta giallo, Les Frissons de l’angoisse, variation ludique et brillante autour du génial Blow Up d’Antonioni.Quelques artisans continueront à y croire avec des inspirations variables (l’excellent Terreur sur la lagune d’Antonio Bido mais aussi le risible La sœur d’Ursula d’Enzo Milioni) s’évertuant à raviver une flamme en recyclant des histoires faisandées et des motifs visuels et sensoriels répétitifs. C’est un peu la fatalité du cinéma d’exploitation d’évoluer puis de se caricaturer au gré des modes.

L’assassin a réservé 9 fauteuils prend la forme d’un giallo exsangue, réalisé par un cinéaste populaire peu coutumier du genre, ce qui explique en partie les nombreuses maladresses qui jalonnent le métrage très inégal, construit autour d’une histoire classique de whodunit, rappelant vaguement 10 petits indiens ou encore Le chat et le canari:

Les neuf membres de la famille Davenant sont rassemblés à l’occasion de l’anniversaire de Patrick dans un vieux théâtre, propriété familiale fermée depuis des lustres. À peine à l’intérieur, les portes de cet édifice se referment sur les convives comme par magie. Un mystérieux individu, sorte de Don Juan énigmatique, semble tirer les ficelles de cette situation trouble. D’autant qu’un assassin rode, éliminant un par un les pauvres invités qui finissent par se soupçonner les uns les autres à tour de rôle comme dans le roman d’Agatha Christie. À moins qu’une force surnaturelle, liée à une malédiction ancestrale, se soit emparée de la majestueuse demeure.

Le dispositif ne brille pas par son originalité pour celui qui connaît ces classiques. La situation de départ évoque quelques fleurons du bis comme l’amusant Des vierges pour le bourreau de Massimo Pupillo ou encore l’épatant Contronatura de Antonio Margheriti. D’emblée, L’assassin a réservé 9 fauteuils épouse la logique du rêve en s’engouffrant au tréfonds d’un univers gothique magnifié par un décor séduisant à défaut d’être crédible : un siècle après, le théâtre à l’architecture typiquement médiévale, ne comporte aucune trace de poussière, de toiles d’araignée ou autres dégâts liés à l’usure du temps. Cette dimension onirique apporte beaucoup à l’atmosphère d’une œuvre qui jongle constamment entre récit policier cartésien et déambulation fantasmagorique du côté du surnaturel.

Soyons honnête, l’enquête routinière agrémentée de cadavres toutes les 10 minutes, captive rarement, entraîne même une certaine léthargie, notamment lors de ces échanges verbaux interminables où les protagonistes, assis sur les fauteuils du théâtre, débitent des dialogues fustigeant le comportement de chacun. Les intentions de ce petit jeu de massacre sont claires : déboulonner une classe sociale décadente et arrogante, toujours prête à écraser l’autre par opportunisme ou appât du gain.

Cette charge contre une bourgeoisie suffisante, qui vire à la misanthropie la plus cynique, apparaît davantage obéir aux règles du thriller à l’italienne qu’à une volonté politique d’un réalisateur étranger à l’univers en place. Le vétéran Guissepe Bennati, qui signe son dernier long métrage, s’est fait connaître pour des comédies populaires assez insignifiantes (Il microfono é vostro, Operazione notte) mais aussi pour ce qui est considéré parfois comme étant le premier western italien, Marco la bagarre (1953). Le cinéaste italien, certainement effrayé par le cahier des charges imposées, articule parfois maladroitement l’érotisme et la violence, éléments racoleurs indispensables à la réussite relative de ce type de projet, ne pouvant se permettre trop de prudence et de pudibonderie. Les grands gialli frappent par leur démesure, transcendant par la simple mise en scène opératique des scénarios jouxtant romans photos et intrigues outrancières.

Bennati déshabille gratuitement ses jolies actrices aux formes attrayantes sans toujours parvenir à intégrer cet aspect charnel avec les séquences de meurtres, la plupart du temps exécutées en hors champ. Il respecte scrupuleusement les règles fixées par un style ultra codifié mais en juxtaposant successivement quelques effets gores (un clou planté dans une main) et érotiques, le film ne suscite frisson et excitation escomptés que par intermittence.

La mise en scène, timorée en matière d’innovation graphique, illustre avec savoir-faire, un giallo conventionnel. Le réalisateur ne commet aucune faute de goût : il évite de nous bombarder de zoom intempestifs, de faux raccords ou autre fantaisie insolite. Mais c’est bien à l’intérieur de cette petite maîtrise mesquine que le film déçoit par moments, assumant avec parcimonie son héritage transgressif, ses dérapages esthétiques les plus jubilatoires. Techniquement irréprochable, le film obéit aux canons visuels d’un téléfilm d’excellente facture.

Toutefois, L’assassin a réservé 9 fauteuils attire l’attention lorsqu’il bascule résolument du côté du fantastique pur faisant du théâtre l’attraction principale de cette sombre machination (à moins que …), à l’image d’un épilogue tragique et baroque du plus bel effet, qui inverse finalement la structure narrative d’un autre fleuron du genre, le curieux Les diablesses d’Antonio Margheriti.

Ce (faux) giallo interprété par une pléiade de comédiens coutumiers du cinéma bis (Chris Avram, Howard Ross, Janet Agren) s’apparente plus à une curiosité exhumée pour sa rareté qu’à une véritable réussite d’un genre qui a connu ses heures de gloire au début des années 70.

(ITA-1974) de de Guissepe Bennati avec Howard Ross, Lucretia Love, Chris Avram, Janet Agre, Rosanna Schiaffino
Le chat qui fume combo dvd/blu ray
Format : Combo Blu Ray DVD – 1.85. 16/9ème
Langue : Italien
Sous-titres : Français
Durée : 103 mn

Bonus :

-SUSPENDUS À HOWARD avec l’acteur Howard Ross (8 min)

-ÉCRIRE AVEC BIAGIO avec le scénariste Biagio Proietti (29 min)

-THÉÂTRE DE SANG par Francis Barbier (30 min) :

-FILMS-ANNONCES

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