Huitième long-métrage de Gus Van Sant, À la rencontre de Forrester vient conclure le deuxième mouvement de sa filmographie. Figure phare du cinéma indépendant américain et de la contre-culture, à la faveur d’une tétralogie comprenant Mala Noche, Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho et Even Cowgirls Get The Blues, il entame un virage plus grand public en réalisant Prête à tout en 1995. Lors du tournage de ce dernier, Casey Affleck lui soumet un script écrit par son frère Ben et Matt Damon, qui deviendra deux ans plus tard Will Hunting. Succès commercial sans précédent (toujours le plus important de sa carrière à l’heure actuelle), célébré par la critique et le public, récompensé lors de multiples cérémonies (Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour Robin Williams, meilleur scénario original), le cinéaste change de dimension. Ce plébiscite lui permet de concrétiser un projet qu’il tente de porter à l’écran depuis près de dix ans, un remake plan pour plan de Psychose d’Alfred Hitchcock, intitulé Psycho. Le film fait l’objet d’une forte dépréciation qui se traduit par un échec cinglant, tout en stimulant malgré tout l’intérêt par sa démarche singulière. Il n’empêche, le réalisateur se retrouve dans une forme d’impasse, avec la nécessité de se repositionner au sein de l’industrie. En 1998, un scénariste débutant, Mike Rich, se fait remarquer lors d’un concours d’écriture avec une première version d’À la rencontre de Forrester, attirant l’attention de la Columbia Pictures qui l’achète dans la foulée. Le script parvient à un Sean Connery enthousiaste, qui entre alors en co-production, tandis que Rich adapte ses écrits sur mesure pour l’acteur et que Van Sant accepte ensuite de le mettre en scène. Bien reçu, le long-métrage connaît un joli succès à sa sortie, avant d’être progressivement un peu oublié au profit de la veine expérimentale à venir, qui verra la consécration définitive de son auteur. L’Atelier d’images, qui régulièrement au cours des derniers mois, s’est attelé à rééditer des réalisations minorées de grands cinéastes (The Game de David Fincher, L’Anglais de Steven Soderbergh, U-Turn d’Oliver Stone) s’est intéressé à ce titre, inédit en haute-définition dans l’hexagone. L’histoire de Jamal Wallace (Rob Brown), seize ans, féru d’écriture, qui se laisse entraîner dans un pari stupide et entre par effraction dans l’appartement d’un certain William Forrester (Sean Connery). En s’enfuyant précipitamment, il oublie son sac contenant ses manuscrits. Lorsqu’il finit par les récupérer il se rend compte que ses textes ont été corrigés et commentés. Intrigué, Jamal va partir à la rencontre de Forrester…
Lors du plan d’ouverture, un clap du projet Finding Forrester, avec les noms de Gus Van Sant et de son chef opérateur Harris Savides, apparaît devant l’objectif suivi d’un jeune homme se mettant à rapper a capella, tandis qu’est également audible la bande-originale du film, sans rapport avec les paroles. Fausse mise en abyme déconnectée de l’intrigue à venir tout en dévoilant l’un de ses décors principaux, le Bronx, sur la base d’images prises sur le vif, semblant issues d’un documentaire, présentant le quartier sans l’enjoliver, dans un souci de vérité brute rappelant aux débuts du cinéaste. À l’issue de ce générique, un travelling vertical remonte une pile d’ouvrages (les noms de Yukio Mishima, Søren Kierkegaard, Anton Tcheckov, James Joyce etc sont visibles) avant que la caméra n’opère un mouvement latéral suivant le corps en sommeil du héros, Jamal, jusqu’à son réveil capté en gros plan de son œil quasiment au centre de l’écran. Une présentation « continue » quand quelques secondes plus tard, William Forrester est quant à lui introduit par fragments entre vues subjectives et visage partiellement dissimulé (jumelles, rideau et fenêtre interfèrent). L’un et l’autre existent en premier lieu à travers leurs regards, leurs points de vues potentiellement singuliers priment sur leurs environnements respectifs. Une manière pour le réalisateur de se placer immédiatement au-dessus des a priori sociaux éprouvés dans le script qu’il met en scène et de placer les individus au-dessus d’une quelconque forme d’essentialisation. Attentions éparses et audaces furtives, témoignent d’une empreinte discrète mais véritable sur son matériau, un récit factuellement classique. Par exemple, lorsque Jamal s’apprête à disputer son premier match de basket avec sa nouvelle équipe, l’accent est mis sur les coulisses du vestiaire et seules les premières secondes de la partie son filmées, la grosse prestation du joueur fait l’objet d’une ellipse. Il s’agit moins pour lui de transformer le scénario de Mike Rich, que d’éviter l’illustration démonstrative afin de lui donner une forme d’authenticité et une nécessaire force d’incarnation. Cette approche sincère et humble, qui refuse les bons sentiments faciles qui guettent, au profit d’une réelle tendresse pour les personnages et leurs itinéraires, atteste d’une sensibilité pudique sans cesse palpable. À la rencontre de Forrester devient par ces choix, un long-métrage modeste et attachant, parcouru de beaux instants rappelant qu’un grand metteur en scène se trouve derrière la caméra. On pense notamment à cette séquence réunissant Jamal et William seuls dans un stade vide, au cours de laquelle le second se confie enfin sur ses douleurs profondes, où les sons extérieurs se confondent étrangement avec les souvenirs relatés ( flashbacks sonores ou simple bruits de la ville ?).
Dernier rôle important d’un mythe du cinéma, Sean Connery (on omet son ultime participation à La Ligue de Gentlemen Extraordinaires en 2003), ici dans un registre bourru (ses premières répliques sont toujours parsemées de jurons) et touchant, révélant progressivement sa bonté et sa nature au contact d’un jeune homme en qui il se reconnaît. Il relie les deux univers que parcoure Jamal, légende urbaine alimentant les ragots dans son quartier et écrivain de renom à l’aura mystérieuse au sein de son nouveau lycée. Au-delà d’une origine écossaise en commun, l’acteur nourrit sa composition d’éléments réels (l’usage de vraies photos de jeunesse), tend à brouiller les pistes entre lui et celui qu’il interprète, ouvre la voie à certaines extrapolations telles le commentaire en creux d’une carrière dense et fournie, faîte d’horizons multiples. Surnommé « Window » lors de ses premières apparitions, caché derrière sa fenêtre observant de haut et à l’écart le monde extérieur, il rappelle un temps au héros de Fenêtre sur Cour, traduisant l’influence hitchcockienne brûlante dans le travail d’un Gus Van Sant, tout juste sorti de Psycho. Ce n’est pas le seul clin d’œil au maître du suspens, en attestent ces plans zénithaux d’escaliers, renvoyant instinctivement à Vertigo. Si le cinéaste semble davantage s’adapter au scénario, que tourner ce dernier vers ses propres desseins, il parvient tout de même à créer des ponts vers sa filmographie passée et à venir. Ce nouveau récit d’apprentissage entre un mentor et un élève, respectueux et captivé, séparés par une différence d’âge considérable, conduit à un rapprochement facile avec Will Hunting (à noter un petit cameo de Matt Damon), dont il serait le jumeau littéraire. Les deux œuvres partagent l’idée d’une élévation par l’initiation et d’une transformation individuelle, pour ensuite seulement, pouvoir envisager une amélioration collective, un projet plus vaste. Obsession d’une jeunesse pour qui tout est encore possible, rien n’est figé, refusant catégoriquement de céder au déterminisme social et aux barrières imposées (à l’instar de la relation entre Jamal et Claire, campée par la trop rare Anna Paquin), à qui il consacrera par la suite des opus majeurs (Elephant, Paranoid Park). Les plus attentifs remarqueront la présence au casting de Michael Pitt, le futur protagoniste de Last Days. À la rencontre de Forrester conclue une série de films mainstream, avant un fulgurant tournant radical qui débutera deux ans plus tard avec Gerry. S’il n’a pas la prétention de trôner au rang des plus grandes réussites de son auteur, il demeure une réussite appréciable et estimable.
L’édition conçue par l’Atelier d’images, offre un master haute-définition de belle facture et propose plusieurs suppléments inédits en plus de reprendre ceux déjà présents en DVD (un making-of d’époque, un document sur le casting de Rob Brown ainsi que les chants interprétés par la chorale de la DeWitt Clinton High School). On retrouve notamment des extraits de la Leçon de cinéma de Gus Van Sant à la cinémathèque française en 2016, qui revient sur sa collaboration avec Harris Savides et les apports de ce dernier à son travail (il évoque notamment le choix du Slow Motion sur Elephant, un procédé brièvement testé lors d’une entrée sur le terrain dans À la rencontre de Forrester au passage), avant d’évoquer son attrait pour la jeunesse. Une période qu’il décrit comme intuitive et inspirée. Il nous est également mis à disposition une présentation du film par Christophe Narbonne, qui procède à une contextualisation complète et synthétique, en plus de se livrer à l’analyse de deux séquences spécifiques. Des contenus solides et quantitatifs pour un Blu-ray soigné sur tous les plans !
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