Il est rare que la musique électronique dans ses grandes largeurs serve de terreau cinématographique, la faute sans doute à ses codes bien moins usités auprès du grand public que le rock’n’roll (déifié au cinéma dés ses premiers pas ou presque) par exemple. Il est donc heureux de découvrir aujourd’hui Berlin Calling, 4è long-métrage du cinéaste allemand Hannes Stöhr, un film qui évoque le quotidien d’un DJ allemand partagé entre sa musique, sa femme et son goût des drogues dures, pour résumer et simplifier. Bien loin d’être un film visant à éclairer le spectateur sur la vitalité de la scène électronique de Berlin (ses labels, ses DJ, son public, ses lieux), le film se focalise avant tout sur un personnage, par ailleurs DJ et musicien. Stöhr réussit toutefois à faire ressentir cette vibration électronique en calquant son rythme sur la sublime musique composée pour l’occasion par Paul Kalkbrenner, Berlin Calling est ainsi avant tout un film de pulsations.
C’est d’abord la pulsation d’un personnage, celui dessiné par le physique frêle et l’énergie de Paul Kalkbrenner, lui-même par ailleurs DJ et musicien, un personnage de chair et de (coup de) sang. On fait d’abord sa connaissance par une ébauche de relations familiales puis on le suit au fil des dates bookées et on le voit également s’adonner à quelques turpitudes opiacées qui mettent en péril son couple et sa santé. Le côté borderline est tellement peu édulcoré que ses soucis de drogues et son sevrage occupent toute la seconde moitié du film, on le voit alors interné dans un centre et occupé à reconquérir son aimée, en pleine crise existentielle elle-aussi. S’ajoute à cette trame la composition d’un nouvel album et les aléas de l’inspiration, le monde de la Techno non pas comme trame de l’intrigue mais comme ponctuation, un élément indispensable et structurant au propos.
Ce film c’est aussi la pulsation d’une ville, celle de Berlin en l’occurrence, superbement filmée des grandes travées jusqu’aux petits chalets jouxtant un lac et lieux de toutes les turpitudes électroniques. Ce sont aussi ses grands appartements vides ou presque dans lesquels on entre par la fenêtre, une ambiance comparable à celle du New York dessiné par le «Permanent Vacation» de Jim Jarmusch en son temps, influence indéniable ici tant par la mystique urbaine de la ville (NY et Berlin, deux villes à la puissance évocatrice très forte) que par la scène musicale qui l’occupe. Ce film est aussi le portrait de cette ville à la grande créativité artistique, une sorte de dancefloor qui s’étend sur des dizaines de kilomètres, ce petit monde, cette communauté c’est du moins comme cela que Hannes Stöhr a souhaité de montrer ce qui apparait comme la capitale mondiale des musiques électroniques des années 2000.
On peut certes regretter la thématique peu subtile d’un DJ gavé de drogues prénommé qui-plus-est Ikarus (ben voyons, Lelouch n’aurait pas osé) et qui évidemment se brule les ailes lors de son voyage au pays du Sex & drugs & Techno. On peut regretter aussi ce petit côté «Téléfilm de prestige diffusé par Arte le vendredi soir », tant Stöhr ne montre aucun parti-pris formel (si ce n’est deux à trois effets hypnotiques, si ce n’est surtout une superbe séquence sur les toits de la ville à l’aube naissante) et se contente d’une mise en scène efficace et carrée. Ce mode semi-documentaire (et semi-mélodramatique) de Berlin Calling rend toutefois hommage à la musique, à ces vertus curatives comme ses multiples expressions (cf. la jolie séquence où le père joue du Bach dans une église), il serait ainsi bien moins intéressant sans la géniale musique de Paul Kalkbrenner, à la fois minimale et mélancolique sexuelle et fiévreuse. Elle habille les séquences de ses plus beaux effets, elle est sans doute l’intérêt principal de ce film, Berlin Calling est en tous les cas une vraie curiosité
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