Après un bref passage au sein des Marines, Joseph Wambaugh s’engage dans la police de Los Angeles où il fait carrière de 1960 à 1974. De cette expérience, il tirera de nombreux romans inspirés de son vécu, mélange de moments de vie drôles et touchants, et de peinture sans fard de la réalité du métier. Rapidement, le cinéma va s’intéresser à son travail, avec en premier lieu The New Centurions, publié en 1971. Deux ans plus tard, Richard Fleischer porte brillamment le livre sur grand écran et inaugure une série de transpositions, que Bande de flics de Robert Aldrich et Tueurs de flics (tiré d’Onion Field), deuxième long-métrage d’Harold Becker, complèteront. En 1980, l’auteur collabore de nouveau avec ce dernier et adapte lui-même l’un de ses romans : The Black Marble. Natalie Zimmerman (Paula Prentiss, vue dans À Cause d’un assassinat), agent à la carrière exemplaire, est contrainte de faire équipe avec le sergent Valnikov (Robert Foxworth), un quadra usé et alcoolique, sur une affaire de kidnapping de chien de race. Cinéaste inégal, capable du bon (City Hall, Mélodie pour un meurtre) comme du franchement raté (L’Intrus, Code Mercury), Becker se plonge une nouvelle fois dans l’univers de Wambaugh avec un résultat pour le moins surprenant, désormais disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal dans leur collection Make My Day !.
Assez peu aidé par son titre français, Flics-Frac ! (dont Jean-Baptiste Thoret se moque dans son introduction, niant même son existence), The Black Marble vaut bien mieux que ce que ses premières minutes laissent craindre. En à peine quelques plans, le film enchaîne les gags lourdingues (à base d’éructation et de sous-entendus sexuels), évoquant plus un épisode de Police Academy que Les Flics ne dorment pas la nuit. Pourtant, rapidement, ces blagues semblent se révéler plus proches de la mise en contexte et de la pure désacralisation de l’enquête à venir. Valnikov (campé par un très bon Foxworth, principalement connu pour ses rôles à la télévision), est en réalité un homme en perdition, une véritable épave qui ne croit plus en rien, qui survit entre bouteilles de vodka et investigations minables. Un véritable antihéros qui roule en Coccinelle cabossée et est obligé de ranger son appartement en urgence quand une femme doit venir chez lui, entouré d’une réjouissante galerie de losers. Composés de visages familiers tels que James Woods, déjà à l’affiche de Tueurs de flics et de Bande de flics, adapté de Wambaugh, ou Christopher Lloyd, ces seconds rôles font le sel du long-métrage et lui apportent un supplément d’âme bienvenu. Parmi eux, Philo Skinner (Harry Dean Stanton), un toiletteur pour chiens blasé et endetté, dragueur invétéré, constitue probablement la figure la plus touchante de la bande. Hors-la-loi malgré lui, que personne ne prend au sérieux, il se met même à pleurer après avoir appris qu’il avait tué une bête par inadvertance, rompant brutalement avec l’image du kidnappeur chère aux polars hard boiled. Ici, rien n’est glamour, le décor d’Hollywood est résumé par le policier à un « bidonville » hanté par des âmes perdues, et l’une des séquences de tension a lieu dans un banal concours canin. La victime, choisie pour sa supposée fortune, s’avère fauchée et vivant à crédit dans une immense demeure vidée de ses meubles, craquelant peu à peu le vernis des apparences. Sans tomber dans le sordide ou le glauque, Becker prend plaisir à déconstruire le cop movie classique et attendu. Ici, il n’est pas question du sempiternel parcours d’un protagoniste abandonné par sa hiérarchie qui va retrouver son honneur en menant une enquête qui le dépasse. Le dossier lui-même, à base de rançon et d’oreille coupée, n’a rien de reluisant. La plupart du temps, le quotidien des forces de l’ordre se résume à rédiger des rapports ou régler des problèmes internes. Le héros demeure passif, impuissant, il met du temps avant de s’impliquer dans l’affaire et lorsqu’il la résout enfin, c’est par erreur, au détour d’une course-poursuite d’une lenteur hilarante. Pourtant, il demeure une certaine tendresse qui se dégage de The Black Marble, bien éloignée de la farce rigolarde annoncée.
Si le long-métrage s’amuse à déstabiliser son spectateur, c’est aussi en favorisant l’étude de caractères au détriment de la tension et du suspense. Ici, l’intrigue importe peu, Natalie et Valnikov peuvent, en pleine enquête, prendre le temps de s’arrêter pour écouter un violoniste de rue. Le rôle de l’inspectrice est d’ailleurs étonnant dans ce type de production : femme forte, professionnelle, parfois cassante, ou distante, elle prend l’affaire à la légère, contrairement à son collègue qui s’implique plus que de raison. Loin du flic macho et cynique, ce dernier est un homme divorcé, dont le fils a coupé les ponts, aimé par son frère (qui lui demande, lors d’un échange touchant, de prendre soin de lui) et qui vit avec un perroquet et une gerbille. Les animaux revêtent une curieuse importance capitale, du chien kidnappé, au lapin hantant les rêves du protagoniste, en passant par une scène très drôle d’enterrement de raton laveur. C’est une véritable ménagerie qui entoure les acteurs de cette fable chorale, eux-même bêtes en cage, victimes de leur environnement et d’une malchance (la fameuse « bille noire » du titre). La poisse devient le moteur d’un récit aussi drôle (cette séquence de démangeaison collective) qu’émouvant (à l’image de cette jolie valse improvisée dans un salon). Multipliant les plans larges, Harold Becker inscrit ses personnages dans des décors qui parviennent à les définir (telle cette église orthodoxe dans l’introduction). Aidé en cela par Owen Roizman (rien de moins que le chef op de French Connection, Network ou Les Trois jours du condor), le cinéaste fait de Los Angeles un incubateur du mal-être et de la solitude. Auteur d’une « trilogie de l’uniforme », comprenant ce film mais aussi Taps (centré sur une école militaire) et Tueurs de flics, le réalisateur retrouve un peu du nihilisme cher à Wambaugh à travers la figure de Charlie Lightfoot. Souvenir mystérieux, l’ancien partenaire de l’anti héros, qui l’évoque avec pudeur, est un fantôme qui obsède ce dernier depuis des années. Valnikov dévoile la vérité à son sujet très tard, lors d’un simple monologue déchirant, renouant avec les moments les plus poignants de The New Centurions. L’écrivain avait d’ailleurs souhaité que le metteur en scène porte à l’écran son roman Onion Field, persuadé qu’il saurait retranscrire toute l’humanité de ses écrits, il est donc normal que les deux hommes se retrouvent à l’occasion de ce second projet. Vendu comme une banale comédie policière, The Black Marble (pourtant par instants très drôle) dévoile peu à peu sa noirceur et son spleen, jusqu’à un final d’une simplicité et d’une délicatesse désarmantes.
Disponible en combo Blu-Ray / DVD chez Studiocanal.
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