Le point de départ est un recueil de témoignages d’enfants ayant vécu la première explosion atomique, le 6 août 1945. Un ouvrage conçu par Arata Osada (1887-1961), intitulé Les Enfants de la Bombe A : Testament des garçons et des filles d’Hiroshima [il n’a pas été traduit en français], et publié en 1951 par la maison d’édition Iwanami Shoten. Durant les années trente et quarante, cette société créée par Shigeo Iwanami a eu des problèmes avec la Justice du fait de ses positions critiques vis-à-vis du bellicisme nippon.
Arata Osada a été professeur à l’Université des Lettres et des Sciences d’Hiroshima puis, après que celle-ci a été détruite, il a travaillé à sa reconstruction et y a enseigné jusqu’à sa retraite. Il s’est occupé d’Éducation et de protection des enfants dans le Japon d’après-guerre.

C’est l’Union Japonaise des Enseignants qui s’est emparée du sujet des Enfants de la Bombe A dans le but que celui-ci soit porté à l’écran. Ce syndicat a été formé après la guerre, à l’instigation des Alliés, avec pour mission de démocratiser l’éducation. Il est orienté à gauche et s’est notamment opposé à la Guerre de Corée.
L’UJE a d’abord proposé de réaliser une adaptation de l’ouvrage d’Arata Osada au cinéaste Kaneto Shindo – qui se rendra plus tard célèbre avec L’Ile nue (1960). Les Enfants d’Hiroshima sort en 1952 et remporte un certain succès – il est d’ailleurs présenté en compétition au Festival de Cannes, cette année-là. L’UJE n’a cependant pas apprécié sa dimension mélodramatique et l’absence en son sein de message à portée politique. Il demande alors à Hideo Sekigawa d’en réaliser une nouvelle version. Ce sera fait, avec l’aide de la mairie d’Hiroshima.

Hideo Sekigawa (1908-1977) est un cinéaste qui a officié dans la célèbre maison de production Tōhō, mais qui en a été écarté à la fin des années quarante parce que soupçonné d’adhésion aux idées communistes. Parmi ses plus fameuses réalisations, on compte Écoutez les grondements de l’océan, sorti en 1950. L’action se déroule en Birmanie durant la Guerre du Pacifique et s’inspire d’un recueil de lettres d’étudiants japonais qui sont morts dans les combats ; un ouvrage paru en 1949. Michel de Montaigne est cité par Hideo Sekigawa dans son film, à propos des « objets faux » sur lesquels l’âme de l’homme décharge ses passions.

© Carlotta

Hiroshima, dont l’action se déroule à la fois dans le présent de sa réalisation et – par un retour en arrière – juste après les deux explosions nucléaires, est virulent dans son propos. Hideo Sekigawa – et ceux qui ont travaillé avec lui – accuse les Américains d’avoir utilisé les Japonais comme cobayes pour leurs expérimentations militaires. Il reproche à l’ABCC de ne pas soigner les victimes de la Bombe A.
L’ABCC – Commission des Victimes de la Bombe Atomique – a été créée en 1946, à l’instigation du Président Harry Truman, pour étudier les effets des radiations sur la population nippone. En 1975, elle a été remplacée par un autre organisme qui a intégré du personnel japonais.

Sekigawa attaque également les autorités politiques et militaires japonaises qui, alors que la guerre n’est pas terminée, ont voulu cacher à la population les terribles effets de la bombe afin de  les pousser à continuer à se battre contre l’ennemi.

Il faut savoir qu’Hiroshima est réalisé au moment où les États-Unis desserrent l’étau dans lequel est pris depuis plusieurs années le pays vaincu. Le 8 septembre 1951, à San Francisco, un traité de paix est signé par 48 pays alliés durant la Seconde Guerre mondiale et le Japon. Celui-ci est soumis à des obligations, mais en contrepartie, les Américains mettent fin à son « occupation » – mis à part pour quelques îles, dont Okinawa. Le Japon retrouve sa souveraineté. La censure américaine est levée.

Hiroshima a une dimension didactique. Il veut informer les spectateurs sur les effets de la bombe à court et long terme, il veut donner une voix et un nom aux Hibakuchas – personnes affectées par la bombe -, briser la chape de plomb construite par les vainqueurs et pousser les Japonais à ne plus cacher honteusement la partie de la population qui a été touchée par le drame, à mettre fin à l’indifférence dont font preuve ceux qui n’ont pas été directement irradiés. Des chiffres, des données médicales sont fournis. L’introduction d’images d’archives sert à la fois à donner du poids à cette dimension pédagogico-documentaire du film et plus de crédibilité à la représentation du parcours des protagonistes que la caméra suit.

Pour accompagner et contrebalancer cet aspect ci-dessus évoqué, Hideo Sekigawa met en scène et en images la souffrance infinie vécue dans leur chair et leur âme par les victimes de l’explosion atomique. Une longue partie du film montre des hommes et des femmes, des enfants, des bébés ensanglantés, brûlés, irradiés, errant tels des zombies dans les décombres d’Hiroshima, cherchant leurs proches, se tordant de douleur, la hurlant, s’éteignant.
Les séquences concernées sont étonnantes. Le spectateur est à la fois face à des personnes – acteurs, figurants – qui jouent de façon maladroite, trop démonstrative, mais aussi devant un spectacle hautement tragique et théâtral dont le but est de représenter avec une certaine stylisation l’horreur absolue, l’enfer sur terre – tout réalisme étant bien sûr vain. À certains moments, l’écran semble être un écho au travail pictural d’Otto Dix. Sachant que des Japonais qui ont vécu les événements ont participé au tournage, nous avons parfois eu l’impression d’assister à un psychodrame leur permettant d’exorciser la souffrance.
Il ne faut pas oublier la musique élégiaque qui est extrêmement présente – parfois trop, peut-être. Une sorte de longue quérimonie mélodique.

Alain Resnais utilisera des images de ce film pour Hiroshima mon amour (1959) et demandera à Eiji Okada – l’acteur qui, chez Hideo Sekigawa, représente un professeur d’anglais du nom de Kitagawa prenant conscience de la gravité des séquelles dont sont victimes certains de ses élèves et concitoyens – d’incarner « Lui » (1).

© Carlotta

Un dernier point important concernant Hiroshima... il est un appel clair et vibrant à la Paix et contre le nationalisme renaissant. Les protagonistes sont coincés entre le passé atroce qu’ils ont vécu et le futur proche dont ils sentent qu’il pourrait à nouveau être cataclysmique. Yukio Endo, un jeune homme qui a un rôle important dans le récit, refuse de travailler après la guerre dans une usine fabriquant des obus. Rappelons que, en 1952, les Américains se battent en Corée,  et que l’industrie japonaise aide cet allié qui a des bases militaires sur le territoire nippon. En 1950 et 1951, Harry Truman et le général Douglas MacArthur ont menacé les forces de Kim Il-sung et leurs alliés d’utiliser la bombe atomique ou ont souhaité le faire.

Dans les derniers instants du film, une surimpression permet de voir des victimes de la bombe lancée sur Hiroshima – certains visages sont alors familiers pour le spectateur – se lever et marcher… Comment ne pas penser ici au chef d’œuvre pacifiste réalisé à partir du roman de Roland Dorgelès par Raymond Bernard, en 1932 : Les Croix de bois ?

Note :

1) Chez Hideo Sekigawa, c’est le personnage incarné par Eiji Okada qui n’a rien vu à Hiroshima !

Le DVD/BR comporte comme supplément un « essai » de Jasper Sharp intitulé Hiroshima, le cinéma et l’imaginaire du nucléaire au Japon (33mn).

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