En 2016, Hong Sang-soo vient de réaliser Seule sur la plage la nuit – sorti en France au mois de janvier 2018. À l’occasion du Festival de Cannes, où il ne présente pas de films, il tourne en cinq-six jours et de façon relativement improvisée La Caméra de Claire, avec Kim Minh-hee – qui est sur la Croisette pour Mademoiselle de Park Chan-wook -, et avec Isabelle Huppert – dont Elle de Paul Verhoeven est présenté. Le Jour d’après sera réalisé ensuite, même s’il est sorti en France dès le mois de juin 2017.
Comme les deux autres œuvres, La Caméra de Claire aborde un moment de la vie personnelle du cinéaste – sa relation avec l’actrice Kim Min-hee et les problèmes que cette idylle lui pose à lui, homme marié -, se présente comme une oeuvre particulièrement réflexive, donc, et s’ajoute à la longue liste des métafilms de Hong Sang-soo. L’action se déroule à Cannes, durant le Festival, même si on ne voit quasiment rien de cet événement et de ses fastes superflus. Man-hee – on n’est pas loin de Min-hee – travaille à la vente de films pour une productrice coréenne, Nam Yang-hye. Dans leur bureau, on aperçoit une affiche de l’opus que Hong Sang-soo sort en 2016 : Yourself And Yours. Un réalisateur coréen, qui connaît et la productrice et Man-hee, se trouve également à Cannes. Son nom est So Wan-soo. Comme Hong Sang-soo, il est entré dans la cinquantaine, il a enseigné le cinéma et est un grand amateur de soku. Claire, incarnée par Isabelle Huppert, que Hong Sang-soo avait déjà dirigée dans In Another Country (2012), possède et utilise une « caméra »… en fait un appareil photo, mais le lien avec le cinéma est plus qu’évident. Le titre est un possible clin d’œil au Genou de Claire d’Éric Rohmer, que le cinéaste affectionne et imite, et auquel la critique le ramène quasi systématiquement, et à la Chambre claire de Roland Barthes.
Le film n’est pas spécifiquement centré sur les personnages qui sont liés professionnellement ou sentimentalement, qui sont amenés à se séparer, qui parfois se retrouvent, mais plutôt sur une intermédiaire, une sorte d’entremetteuse, un agent extérieur du changement : Claire. Certes, Claire est française en terre française, mais elle n’est pas cannoise et n’est pas concernée par le cinéma ; et elle est étrangère au groupe de Coréens que forment Man-hee, Wan-soo, Yang-hye et ses collaborateurs.
Claire vit, se déplace avec son appareil. Elle prend constamment des photos. La caméra est à la fois son regard, le miroir qu’elle tend à ceux dont elle tire le portrait, le témoignage d’une présence, un révélateur. Elle produit des instantanés, des images fixant cependant pour longtemps ce qui a été vu et qui peut ainsi être posément pris en considération, reconnu avec sincérité.
Claire et son appareil sont parfois intrusifs, mais c’est le plus souvent de façon subtile et douce qu’ils provoquent des modifications d’état d’esprit, de parcours chez les personnes qu’ils rencontrent… d’où le sentiment d’étrangeté et d’étonnement que plusieurs d’entre elles affirment ressentir… le sentiment qu’il se passe quelque chose, bien que ce quelque chose soit difficile à saisir.
Le personnage incarné par Isabelle Huppert est une apparition magique, une – drôle de petite – bonne fée. Ayant accès à des voies de communication qui paraissent obscures au premier abord, ou inaccessibles pour d’autres, elle permet que des situations complexes soient clarifiées, que des imbroglios soient dénoués.
En La Caméra de Claire on retrouvera – faut-il s’en étonner ? – des paysages et des objets, des mots et des sonorités, des situations et des thèmes, des structures et des formes typiques du cinéma de Hong Sang-soo. Certains spectateurs seront lassés, et on peut les comprendre. Mais on saura gré au metteur en scène d’avoir choisi la forme brève – à l’image de C’est tout, le texte de Marguerite Duras dont un court extrait est lu dans le cours du récit. Le film est léger, certes, mais brille d’une indéniable beauté nitescente.
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La Caméra de Claire est disponible en DVD chez Jour2fête depuis le 4 septembre 2018. En bonus, une présentation du film par Charles Tesson. À la fois subjective et savante – avec une jolie évocation du cinéma de Lubitsch.
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Chronique initialement publiée pour la sortie du film en salles le 7 mars 2018.
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