L’INA continue d’ouvrir ses vieux tiroirs pour nous offrir des raretés. Toujours ravis, nous nous délecterons cette fois-ci tout particulièrement des hommes animaux de Pierre Very et de la deuxième saison d’Aux Frontières du possible.
Dans Le vol d’Icare (Daniel Ceccaldi, 1980), l’écrivain Hubert Lubert (Henri Garcin) voit d’un jour à l’autre son personnage principal s’évader de ses pages. Icare, puisque tel était son nom prend forme, et tel le premier homme s’enfuit tout nu pour échapper à son créateur. Tandis que son père spirituel part à sa recherche, ce jeune éphèbe innocent (Pierre Malet) s’affranchit de son créateur, fait tourner les cœurs et stimule les jeunes femmes rougissantes. On l’aura compris, même s’il s’agit d’évoquer l’invasion des êtres de plume dans le réel, nous sommes loin du ton de L’heure du loup de Bergman où les nuits de l’écrivain hanté par ses propres créatures tournaient au cauchemar. Tout droit sortie de l’imagination de Raymond Queneau, chantre de l’oulipo, des jeux de mots, des double sens et des métaphores poétiquement absurdes, Le Vol d’Icare exploite jusqu’à plus soif la pluralité sémantique de son titre. L’écrivain croit avoir été volé, mais c’est son héros qui s’est envolé de l’œuvre, cet Icare lâché de l’imaginaire, passant de l’encre au cœur qui bat, risquant probablement de se bruler les ailes dans le monde réel. L’univers de Queneau est aussi désopilant que celui de Bobby Lapointe, et les quiproquos s’enchainent comme dans un vaudeville, les confusions verbales affluent. Lorsqu’Hubert dit au détective privé qu’il faut qu’il retrouve « son Icare, vite » ce dernier note que le disparu se nomme « Nick Harwiit ». De l’écrivain persuadé qu’il a été pillé par ses collègues écrivains jaloux jusqu’à ce Icare faisant office du sauvage découvrant la civilisation, Le Vol d’Icare fait preuve d’un sens de l’absurde et de la mise en abime savoureux, dans lequel les mots s’emparent de la réalité et l’avalent. Queneau en profite pour éreinter le milieu littéraire et ses turpitudes en ridiculisant toutes les prétentions et autres narcissismes très aristocratiques. Après avoir gagné deux duels contre des écrivains offensés, Hubert déclare au témoin qu’il ne s’agit pas de deux duels mais plutôt d’un « triel ». Et l’autre de rétorquer : « Oh, voilà un néologisme qui passera à la postérité ». « Je lui en fais cadeau » finira Hubert, en s’adressant à la caméra. Rien n’est sérieux, tout est dérision. Pas très loin du Chapeau de paille d’Italie de Labiche, la machine s’emballe. Mais pas assez, justement. Le vol d’Icare poussait à la folie et aurait été plus enthousiasmant si la forme avait été moins classique, et s’était déchainée elle aussi au fil des phrases. C’était typiquement une adaptation propice à la déstructuration libératrice. Mais il manque justement à la réalisation de l’excellent acteur Daniel Ceccaldi un lâcher prise qui aurait pu pousser l’œuvre vers une hystérie salvatrice. Le Vol d’Icare avec ses acteurs qui s’en donnent à cœur joie (Henri Garcin, Michel Galabru, Caroline Cellier en tête) n’en demeure pas moins très agréable à suivre, la singularité du verbe de Queneau transparaissant malgré tout dans cette adaptation trop sage.
Dans un autre épisode, Bergier s’attaquera au renforcement des caméras de surveillance, sous-entendant la disparition des libertés individuelles et les risques, en voulant protéger à l’extrême, de faire apparaître tous les individus comme potentiellement coupables. Il faut peser le pour et le contre lorsque qu’on croit aussi bien aux complots politiques qu’aux envahisseurs.
X-Files n’est pas loin et Aux frontières du possible en serait quasiment l’ancêtre. Si la démarche manque parfois de finesse et paraît sentencieuse, l’air de rien, cet illuminé de Bergier touchait du doigt tous les risques qu’encouraient nos sociétés et rarement le genre « anticipation » n’aura aussi bien porté son nom quand on constate que ce qui pouvait paraître saugrenu à l’époque appartient désormais à notre quotidien.
La nouvelle vient de tomber … notre patience sera mise à l’épreuve. Pas de nouveaux Inédits Fantastiques avant 2014.
DVDs édités par l’INA.
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