Ultime collaboration (la neuvième) entre J. Lee Thompson (dont il s’agit de la dernière réalisation) et Charles Bronson, Kinjite, sujet tabou marque aussi les adieux de l’acteur à la Cannon (il retrouvera Menahem Golan via son autre société la 21st Century Film Corporation en 1994 pour l’atroce Death Wish V : The Face of Death). La firme qui aura réjoui les cinéphiles déviants avec ses productions bas du front tournées à un rythme effréné (on frôle plusieurs fois la quinzaine de longs-métrages par an) durant la décennie 80, allait connaître plus de difficultés lors des nineties jusqu’à devoir mettre la clef sous la porte. L’interprète de Paul Kersey, alors âgé de soixante-huit ans tient là l’un de ses derniers rôles en haut de l’affiche. C’est ainsi davantage par sa dimension de chant du cygne d’une époque finissante et d’associations qui ont pu enthousiasmer par le passé que le film attire l’attention que pour sa réputation assez peu flatteuse. À la base du projet, se trouve un script d’Harold Nebenzal, fils du producteur allemand Seymour Nebenzal (il a produit plusieurs œuvres de Georg Wilhelm Pabst ou Fritz Lang avant de quitter l’Allemagne en 1933), à qui l’on devait en 1975, le scénario du Vent de la violence de Ralph Nelson. Seulement, ce qui était initialement un drame policier, a ensuite été largement remanié par Pancho Kohner (fils de Paul Kohner l’agent de Bronson), producteur proche de la star à partir de Monsieur Saint-Ives en 1975 et J. Lee Thompson afin de le rapprocher au maximum des standards Bronsoniens période Cannon. Peu de dépaysement à l’arrivée pour les connaisseurs qui seront en terrain familier, on découvre l’inspecteur Crowe (Charles Bronson) réputé pour son tempérament et ses interventions musclées. Il mène la vie dure à Duke (Juan Fernández), le chef d’un réseau pédophile qui prostitue les jeunes filles. Lui-même père d’une adolescente, qu’il protège farouchement du monde extérieur, il répond à l’appel d’un riche industriel japonais dont la fille est tombée dans les filets de Duke et de son organisation… Inédit en haute-définition Kinjite, sujet tabou intègre la collection désormais bien fournie consacrée à l’acteur impulsée par Sidonis Calysta. Méritait-il pour autant cette remise en lumière inattendue ?
Ne faisons aucun mystère quant à notre affection débordante pour la figure mythique que fut Charles Bronson et concédons volontiers une possible indulgence vis-à-vis de certains de ses projets, cependant difficile de se satisfaire de ce baroud d’honneur qui se révèle très vite aussi embarrassant que purement et simplement indéfendable. Soutenu par une bande-son ringarde de Greg De Belles, le générique annonce une couleur ultra racoleuse en alternant cartons et images d’une femme en train de se déshabiller. Privée de visage, cadrée uniquement au niveau de ses attributs les plus sexués, les seuls choix de mise en scène affirment d’emblée une misogynie crasse réduisant la gent féminine au statut d’objet. Cette entrée en matière dénuée de portée narrative aligne les pseudos-plans chocs pour flatter les plus bas instincts de son spectateur. Aussi fatigué que son acteur et héros, J. Lee Thompson qui fut autrefois un réalisateur compétent, adopte un rythme d’une coupable mollesse (les scènes de combats grotesques sont dynamisées par des bruitages sonores ridicules), annihilant toute éventuelle tension à travers une mise en scène sans la moindre inspiration, qui ne se réveille qu’au détour de séquences particulièrement douteuses d’agressions sexuelles, orchestrées avec la même subtilité que celle évoquée pour l’ouverture. Kinjite, sujet tabou déroule ainsi péniblement un script jamais haletant, avançant à renfort de ficelles voyantes et grossièretés scénaristiques coupables (une intrigue secondaire demeurera irrésolue) et nous offre à contempler le triste spectacle d’une star en fin de course qui a d’évidence la tête ailleurs (son épouse Jill Ireland était alors gravement malade). La lassitude qu’exprime un protagoniste assurément « trop vieux pour ces conneries » pourrait à la rigueur faire office de piste intéressante, si elle était un tant soit peu traitée scénaristiquement ou visuellement. Autrement, le caractère de dur à cuire de Crowe, pâtît de punchlines foireuses (qui sont rarement autre chose que xénophobes, moralisatrices, puritaines ou paternalistes) et situations à la lisière de la parodie involontaire (le bad guy forcé à manger sa luxueuse montre, un ennemi sodomisé hors champs par un godemichet,…). Cette impression de long-métrage démissionnaire à tous les niveaux exclut l’hypothétique option du plaisir coupable (en comparaison l’inénarrable Death Wish 3 bénéficiait malgré tout du savoir-faire de Michael Winner), à moins de se l’infliger en version française flanquée d’un doublage décrédibilisant le sérieux manifeste de l’entreprise. En effet, le film et ses personnages ont beau compiler un nombre ahurissant d’horreurs sur le fond et la forme, aucun recul ou remise en cause ne transparaît, si ce n’est au détour de timides répliques immédiatement désamorcées (« un peu extrême » selon la fille de l’inspecteur usé) ou tuées dans l’œuf par la faiblesse globale des interprètes. Si l’étiquette de comédien réactionnaire a collé à la peau de Bronson une majeure partie de sa carrière, ici, rien n’est fait (bien au contraire) pour atténuer les a priori, encore moins pour les remettre en cause.
Conçu au cœur d’une séquence marquée par la résurgence d’un véhément racisme anti-japonais outre-Atlantique, suite au déclin de l’industrie lourde américaine et notamment à travers le secteur automobile où les fleurons nationaux (General Motors, Ford et Chrysler) sont délaissés par la population au profit des importations de Toyota et Nissan, Kinjite, sujet tabou véhicule les pires clichés et pensées imaginables. La culture nippone fait l’objet d’une peinture profondément archaïque et ses représentants, à l’instar d’Hiroshi Hada, apparaissent rétrogrades à tous les niveaux (pervers, violeurs, violents) comme pour légitimer les pensées et diatribes racistes du héros, n’hésitant pas à parler « d’invasion asiatique ». Abject sur tous les fronts (les victimes de crimes sexuels présentent leurs excuses), le film ne ménage pas pour autant les autres communautés issues des minorités et affiche une xénophobie aussi décomplexée que fièrement banalisée. Dans ces conditions, les images de policiers outrepassant leurs droits en tuant leurs suspects semblent presque light, idem pour un final plus douteux que jamais célébrant les multiples viols qui attendent le grand méchant Duke en prison. À noter pour les fans de Twin Peaks, dans le rôle de Kathleen Crowe, épouse à l’écran de Charles Bronson, on retrouve Peggy Lipton (aka Norma Jennings). Douloureux navet et sortie de route définitive d’une équipe à bout de souffle, le long-métrage n’a pour lui que sa dimension de témoignage d’une époque révolue, autorisant toutes les bassesses sans craindre l’opprobre. Plus de trente ans après, au-delà de sa très faible facture qualitative, il rappelle à quel point le monde a pu évoluer et dissuade à l’éventuelle envie d’un retour en arrière. En dépit de sa médiocrité sans appel, Kinjite, sujet tabou bénéficie d’une copie assez irréprochable à laquelle s’ajoutent la bande-annonce en VO et VF, le document Charles Bronson, un héros populaire (déjà présent sur l’édition du Justicier de minuit) ainsi qu’un long entretien en compagnie d’Olivier Père. Sans chercher à réhabiliter le métrage, il propose beaucoup d’informations afin de mieux le contextualiser et tente de défendre ce qui peut l’être. On apprend notamment que les personnages de japonais sont incarnés par des acteurs chinois, émettant la très crédible hypothèse que le racisme de l’entreprise a pu dissuader les principaux concernés à l’idée de collaborer à ce dessein qui en contrepartie profite de l’antique rivalité sino-japonaise.
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