L’association entre le producteur Dino de Laurentiis et Charles Bronson aura été décisive dans la carrière du second. Après la réussite commerciale de Cosa Nostra et celle plus en dents de scie du Cercle Noir, leur union connaissait son apogée en 1974 pour Death Wish (Un Justicier dans la Ville). Entre temps, Les Dents de la mer de Steven Spielberg signe la naissance du Blockbuster (en plus de devenir, deux ans avant la sortie de Star Wars, le plus gros succès de tous les temps, sans tenir compte de l’inflation) et modifie en substance les attentes du grand public. Malin et opportuniste, De Laurentiis entend bien capitaliser sur cette nouvelle tendance et fait une très belle affaire avec le remake de King Kong signé John Guillermin en 1976, en plus de lancer dans la foulée la production d’un projet à la proximité évidente avec le classique de Spielberg, Orca de Michael Anderson. La fin de son contrat le liant à Bronson approchant, il entreprend de confronter la notoriété de ce dernier au film de monstre tendance catastrophe (La Tour Infernale est encore dans les têtes), tout en l’inscrivant dans un cadre familier pour sa vedette, le western. Le Bison Blanc, adapté du roman de Richard Sale (en charge du scénario), reprend à son compte une très ancienne légende indienne, tout en ne cachant pas son inspiration du côté de l’œuvre maîtresse d’Herman Melville, Moby Dick, le cachalot étant remplacé par un gigantesque bison. Le script convoque en guise de protagoniste, un authentique mythe du Far West, Wild Bill Hickok, dont les aventures ont imprégnés très tôt et durablement le paysage cinématographique yankee. Dès 1923, il était le héros d’un long-métrage muet de Clifford Smith sous les traits de William S.Hart, interprété par Gary Cooper dans Une Aventure de Buffalo Bill de Cecil B.DeMille en 1936, ou encore soixante ans plus tard par Jeff Bridges chez Walter Hill pour Wild Bill. J.Lee Thompson, qui deviendra à terme le réalisateur ayant le plus dirigé Charles Bronson, le retrouve ici, juste après le polar Monsieur St. Ives, l’acteur âgé alors de cinquante-cinq ans, incarne un homme mort prématurément à trente-neuf. Précédé d’une réputation de tireur infaillible là où qu’il aille, Wild Bill Hickok ne poursuit plus qu’un but : abattre le monstrueux bison blanc qui surgit dans ses cauchemars et le ronge de l’intérieur. Une créature de légende, un fantasme ? Pas vraiment… Quand il apprend qu’un animal répondant à sa description vient d’attaquer un village indien et d’y tuer le fils du chef Crazy Horse, Hickok prend la direction du Dakota…
Crédits rouges sang, photo sombre, musique inquiétante de John Barry, Le Bison Blanc annonce instantanément la couleur d’un film violent et crépusculaire. Ce générique révélant le cauchemar répété de son protagoniste, un vaste décor enneigé au sein duquel apparaissent les visions subjectives (effets de distorsions des images) d’une créature dévoilée ensuite par détails (œil, patte, bouche) avant d’apparaître dans un cadre plus large, se situe à la lisière du cinéma fantastique. Le réveil brutal de Wild Bill Hickok, accentué par une série de coups de feu, se traduit à l’écran par une confusion volontaire amorcée par le montage, où l’inconscient et le conscient se confondent dans sa tête. Un héros fatigué, rongé par ses songes et hanté par un passé se rappelant à lui à plusieurs reprises, multipliant les allusions explicites à la mort. Charles Bronson dans son ultime western, apparaît à la fois marqué par son propre vécu et le poids d’un imaginaire cinématographique conséquent, en attestent ses nombreuses incursions au sein du genre qui l’a fait émerger, de Delmer Daves à Samuel Fuller en passant par Robert Aldrich, John Stuges, Sergio Leone et Michael Winner. Incarnation d’une véritable légende de l’Ouest, il croise sur sa route une autre figure phare de l’Histoire américaine, le chef amérindien Crazy Horse, campé par Will Sampson (révélé deux ans plus tôt chez Miloš Forman, il interprétait Bromden dans Vol au-dessus d’un nid de coucou). Le script de Richard Sale, mêle habilement éléments réels, avérés, à travers ces deux personnages principaux, tout en n’hésitant pas à falsifier les faits (comme l’explique Jean-François Giré dans les suppléments, leur rencontre est quasi impossible). De même, le récit ancestral dont il s’inspire, se voit transformé par ses soins, quitte à aller à l’encontre de la légende originelle, au profit d’une efficacité dramaturgique. L’idée judicieuse d’introduire la bête tel un fantasme dans l’esprit d’Hickok, tend à complexifier la psychologie de ce dernier : est-ce une prémonition ou le délire d’un homme traumatisé ? Revenant attiré par un dernier combat démesuré, auquel il ne semble pouvoir se dérober, devenu une obsession à exorciser coûte que coûte, quelle qu’en soit l’issue.
Mis en scène sèchement par J. Lee Thompson qui signe l’une de ses copies les plus enthousiasmantes avec Bronson, Le Bison Blanc sait prendre son temps, préparer son duel et ne jamais perdre de vue un rythme soutenu. Les scènes d’action attestent d’un savoir-faire non négligeable notamment à travers les nombreuses fusillades violentes et expéditives, délestées de fioritures. Surtout, à travers ses choix, le réalisateur parvient à atténuer l’une des limites évidentes de son projet, à savoir l’aspect graphique partiellement raté de sa créature. À l’instar de cette séquence de destruction du village de Crazy Horse, où s’entrechoquent des plans courts et sanglants, jusqu’à une image finale, presque onirique, aux airs de tableau. Conçue par Roy L.Downey (responsable des effets spéciaux) et conseillé par Carlo Rambaldi (fraîchement récompensé aux Oscars pour son travail sur King Kong), la bête fait à la fois les frais d’une technique animatronique (voyante dans ses mouvements peu convaincants) et d’un soin aléatoire (inquiétante et soignée en plans rapprochés, nettement plus générique et bâclée pleinement dévoilée). Thompson impose un univers sale et mal famé, imprévisible, où les dangers multiples s’additionnent par couches successives (ennemis impromptus, froid, neige), sans surenchère. Les montagne enneigées, cadre principal du dernier acte, l’inscrivent visuellement dans le sillage de La Chevauchée des Bannis d’André de Toth mais aussi Le Grand Silence de Sergio Corbucci, avec lequel il partage son jusqu’au boutisme. On est également prêt à parier que Quentin Tarantino l’avait dans un coin de la tête au moment de réaliser The Hateful Hate cinquante ans plus tard. Derrière ses contours de machine commerciale parfaitement huilée (qui ne connut par réellement le succès, égratignée assez sévèrement à sa sortie), se cache un film plus habité, réussissant la fusion périlleuse entre western et fantastique, anticipant d’une certaine manière la mort annoncée du premier genre et l’avènement à venir du second. Le révisionniste historique opéré au scénario, outre sa quête d’efficacité, se met au service d’un dessein pacifique, observant l’amitié entre un homme Blanc et un Indien tandis que Charlie Zane (Jack Warden) par ses saillies racistes, incarne les relents d’une Amérique de l’Ouest vieillissante, autant qu’il souligne l’impossibilité finale de ce rapprochement. Cette dimension progressiste trouve un écho particulier au moment de venir conclure une page de la carrière de son acteur principal. Charles Bronson dit adieu à un genre à l’intérieur duquel il a beaucoup incarné un représentant des minorités (apaches et mexicaines principalement), en raison d’un physique jugé typé, d’une « ambivalence ethnique », désormais une star, il tient certes le rôle d’un colon potentiel mais en profite finalement pour tendre la main à son tour.
Ambitieux et généreux, Le Bison Blanc, vaut largement mieux que la réputation qui semble l’avoir longtemps poursuivi. Jusqu’à présent uniquement disponible en DVD, le film bénéficie d’un master haute-définition et d’une ressortie chez Sidonis Calysta, dans sa collection Western de Légende en Édition Collection Silver Combo DVD/BR. Il s’accompagne de deux suppléments, une présentation de Patrick Brion, l’autre de Jean-François Giré, plus complète et approfondie, ainsi que d’une bande-annonce.
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